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campagne fut la prise du château de Chaumont-laGuiche1.

Cependant le duc de Bourgogne, qui était allé faire des levées en Flandre, arrivait avec le dessein d'accabler le duc de Bourbon en l'attaquant à la fois dans le Beaujolais et dans les Dombes. La perte de Chaumont lui fut d'autant plus sensible qu'il était exaspéré contre les routiers et qu'il avait juré d'en finir avec eux. Il donna à ses troupes des ordres impitoyables. Elles devaient procéder par le fer et par le feu, sans se laisser fléchir par aucune considération de pitié ni d'intérêt. Pour prêcher d'exemple, il fit noyer d'abord dans la Saône ou accrocher aux arbres plusieurs centaines de prisonniers, en expiation d'outrages qu'avaient essuyés des ambassadeurs venant devers lui'. Au siège de Chaumont, dont il voulut suivre les opérations de ses yeux, deux cents combattants qui tenaient cette place s'étant rendus à discrétion furent tous pendus. Monstrelet rapporte que dans le nombre il y eut un neveu de Rodrigue3.

Les routiers, poussés avec cette fureur, n'eurent pas à chercher un refuge dans l'appui des populations. Leurs dérèglements les avaient rendus odieux à tous les habitants de la contrée, français aussi bien que bourguignons. Le vœu des campagnes était de les voir exterminés, et loin de leur prêter assistance, les

'Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXXII; Monstrelet, l. II, c. CLXII; Garnier, Inventaire sommaire, etc., pp. 6, 40.

* Jean Jouffroy, De Philippo duce Burgundiæ Oratio, dans les Chroniques belges latines publiées par M. Kervyn de Lettenhove, p. 140. Monstrelet, 1. II, ch. CLVI (t. V, p. 90 de la nouvelle édition).

paysans de tous les partis étaient prêts à tomber sur eux, s'ils croyaient pouvoir le faire sans se compromettre. Une lettre de rémission, accordée par Charles VII en 1448, contient le récit d'une de ces vengeances secrètes dont furent victimes deux hommes enrôlés sous Rodrigue de Villandrando'. Le fait se rapporte à l'an 1434; il eut précisément pour théâtre le Beaujolais, à la défense duquel s'employaient alors les compagnies.

Celle à laquelle appartenaient ces routiers, s'étant répandue autour de Villefranche, y commit tant de dégâts, que les habitants d'un village de la contrée, appelé Saint-Just-d'Avray, abandonnèrent la plupart leurs maisons pour se barricader dans l'église du lieu, d'où ils n'osèrent plus sortir.

Un laboureur qui demeurait dans un endroit écarté de la paroisse fut du nombre de ceux qui ne s'effrayèrent pas et voulut rester chez lui, quoi qu'il dût advenir. Deux hommes-d'armes frappèrent un soir à sa porte. Par aventure c'étaient des gens paisibles qui demandèrent, moyennant rétribution, à souper pour eux et du foin pour leurs chevaux, contents d'ailleurs de boire de l'eau et de coucher sur la paille, si on n'avait ni vin ni lit à leur offrir. Ces procédés honnêtes qui, à cause de leur rareté seule, eussent commandé des égards, ne firent qu'affriander la vindicte du se mit à considérer les afflictions, rançons, pilleries et batures, et autres maux énormes et innumérables dommages » que » que le pauvre peuple de son pays avait

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xxxvi.

paysan.

II

supportés et supportait encore, tellement qu'il en vint à conclure que ce serait justice rigoureuse de tuer ces gens-d'armes et de les voler, comme eux ou leurs pareils en avaient tué et volé tant d'autres. Il sortit donc quand il fut assuré que ses hôtes étaient endormis, et s'en alla quérir aux environs plusieurs de ses amis, tant pour arrêter en leur compagnie l'exécution de son dessein que pour l'accomplir avec leur assistance. A cinq qu'ils étaient, ils entrèrent furtivement dans l'étable où dormaient les routiers, enlevèrent leurs armes, les garrottèrent, et les emmenèrent bien loin avec leurs chevaux. Arrivés dans un bois sur le coup de minuit, ils firent halte, puis ordonnèrent à leurs prisonniers de se confesser l'un à l'autre. C'était leur dire le sort qui les attendait. Les autres, loin de s'y résigner, commencèrent à remuer les bras, comme s'ils pensaient se dégager de leurs liens; mais aux premiers mouvements qu'ils firent, on les tua avec leurs propres épées qu'on avait eu soin d'apporter à cet effet. Leurs assassins, après les avoir dépouillés jusqu'à la chemise, délibérèrent que deux d'entre eux iraient déguisés vendre les chevaux, non pas à Villefranche, non pas à Beaujeu, non pas même à Lyon, où on aurait pu les reconnaître, mais à Vienne en Dauphiné. Ainsi fut-il fait, et les neuf écus provenant de la vente furent partagés entre eux cinq; et personne ne sut rien de l'aventure jusqu'après la destruction totale des routiers, que le laboureur de Saint-Just alla se dénoncer et demander grâce au roi, dans la crainte d'être inquiété un jour ou l'autre par la justice du duc de Bourbon.

A la guerre il en est de même qu'au jeu. A une bonne veine succède une mauvaise. Rodrigue cessa de gagner, depuis qu'il eut affaire à la nouvelle armée qu'avait amenée le duc de Bourgogne. La situation où il s'était déjà trouvé en 1431 se renouvela de point en point. Il avait à répondre à l'ennemi à la fois dans le Charolais, dans le Mâconnais et dans les Dombes1. Ses compagnies forcément disséminées ne purent porter aucun coup décisif. Elles n'empêchèrent ni la concentration des forces bourguignonnes à Mâcon, ni l'inva sion du Beaujolais, ni la prise de la forte place de Belleville. L'hiver approchant, les vivres leur manquèrent sur le terrain de leurs opérations. Leur chef fut obligé de les conduire à la pâture dans le pays de Velay3.

Vers le temps de la prise de Belleville, le roi de Castille députa au duc de Bourgogne l'un de ses hérauts d'armes. A quelle fin? Ce n'est que pour traiter une affaire de rançon ou pour apporter quelque réclamation concernant un fait de guerre qu'un émissaire de cette classe avait pu être choisi. On sait que les hérauts d'armes étaient désignés par un sobriquet, qui fut d'ordinaire un nom de fief ou de seigneurie. Celui-ci s'appelait

Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXXII; Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. III, p. 85. Deux passages inintelligibles de Monstrelet se rapportent à cette guerre des Dombes. Le premier dans le chapitre CLVI (livre II), quand l'auteur mentionne, à la suite de la prise de Chaumontla-Guiche, celle de Benain: il faut lire Baneins près de Trévoux; le second à la fin du chapitre CLXII où on lit : « ledit duc de Bourgongne envoia une autre armée de ses pays, gens de doine, en tirant vers Lion sur le Rosne. » Il est vraisemblable que le nom de Dombe se cache sous cette absurde leçon.

Lefèvre de Saint-Remy, 1. c.

Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 485.

Villandrando. Soit que ce nom le désignât à la vindicte bourguignonne, soit que, sa commission ayant été de passer d'abord par le camp de Rodrigue, cette démarche eût fait naître des soupçons, arrivé à Chalon où se tenait alors le duc, il fut déclaré prisonnier. Toutefois on le relâcha au bout de quelque temps; on le dédommagea même de la dépense qu'il avait été obligé de faire durant sa captivité1.

L'aventure est d'un mince intérêt, mais elle devait trouver sa place dans ce récit, comme preuve de la célébrité dont notre capitaine jouissait dès lors dans son pays natal; car c'est assurément en considération de sa personne que le nom de Villandrando fut attaché à l'un des offices de la maison militaire du roi de Castille.

On était en décembre. Le duc de Bourbon, enfermé dans Villefranche et serré de près par une armée de Picards, semblait perdu, lorsque le bruit se répandit tout à coup qu'il était en pourparlers pour faire sa paix avec le duc de Bourgogne. Ce dénouement en effet ne se fit pas longtemps attendre. Il eut pour conséquence, non seulement la cessation des hostilités sur les deux rives de la Saône, mais encore la réconciliation des Français et des Bourguignons, qui fut scellée, plusieurs mois après, par le traité d'Arras.

Pendant que les négociations préliminaires de ce rapprochement si désiré suivaient leur cours, Rodrigue de Villandrando fit à la province de Limousin une visite qui n'était pas celle d'un apôtre de la paix. On

Marcel Canat, Documents inédits, etc., p. 355. * Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXXII.

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