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penser qu'on eût pu faire périr par un crime tant de personnes royales, en laissant vivre le seul qui pouvait les venger. La maladie qui emporta le dauphin duc de Bourgogne, sa femme et son fils, était une rougeole pourprée épidémique. Ce mal fit périr à Paris, en moins d'un mois, plus de cinq cents personnes. M. le duc de Bourbon, petit-fils du prince de Condé, le duc de la Trimouille, madame de la Vrillière, madame de Listenai, en furent attaqués à la cour. Le marquis de Gondrin, fils du duc d'Antin, en mourut en deux jours. Sa femme, depuis comtesse de Toulouse, fut à l'agonie. Cette maladie parcourut toute la France. Elle fit périr en Lorraine les aînés de ce duc de Lorraine, François, destiné à être un jour empereur, et à relever la maison d'Autriche.

Cependant ce fut assez qu'un médecin, nommé Boudin, homme de plaisir, hardi et ignorant, eût proféré ces paroles: «Nous n'entendons rien à de pareilles maladies; » c'en fut assez, dis-je, pour que la calomnie n'eût point de frein.

Philippe, duc d'Orléans, neveu de Louis XIV, avait un laboratoire, et étudiait la chimie, ainsi que beaucoup d'autres arts: c'était une preuve sans réplique. Le cri public était affreux; il faut en avoir été témoin pour le croire. Plusieurs écrits et quelques malheureuses histoires de Louis XIV éterniseraient les soupçons, si des hommes instruits ne prenaient soin de les détruire. J'ose dire que, frappé de tout temps de l'injustice des hommes, j'ai fait bien des recherches pour savoir la vérité. Voici ce que m'a répété plusieurs fois le marquis de Canillac, l'un des plus honnêtes hommes du royaume, intimement attaché à ce prince

soupçonné, dont il eut depuis beaucoup à se plaindre. Le marquis de Canillac, au milieu de cette clameur publique, va le voir dans son palais, Il le trouve étendu à terre, versant des larmes, aliéné par le désespoir. Son chimiste, Humbert, court se rendre à la Bastille pour se constituer prisonnier; mais on n'avait point d'ordre de le recevoir, on le refuse. Le prince (qui le croirait ?) demande lui-même, dans l'excès de sa douleur, à être mis en prison; il veut que des formes juridiques éclaircissent son innocence; sa mère demande avec lui cette justification cruelle. La lettre de cachet s'expédie; mais elle n'est point signée: et le marquis de Canillac, dans cette émotion d'esprit, conserva seul assez de sang-froid pour sentir les conséquences d'une démarche si désespérée. Il fit que la mère du prince s'opposa à cette lettre de cachet ignominieuse. Le monarque, qui l'accordait, et son neveu, qui la demandait, étaient également malheureux. (a)

(a) L'auteur de la vie du duc d'Orléans est le premier qui ait parlé de ces soupçons atroces c'était un jésuite nommé la Motte, le même qui prêcha à Rouen contre ce prince, pendant sa régence, et qui se réfugia ensuite en Hollande sous le nom de la Hode. Il était instruit de quelques faits publics. Il dit, `tome I, page 112, que le prince si injustement soupçonné demanda à se constituer prisonnier; et ce fait est très vrai. Ce jésuite n'était pas à portée de savoir comment M. de Canillac s'opposa à cette démarche trop injurieuse à l'innocence du prince. Toutes les autres anecdotes qu'il rapporte sont fausses. Reboulet, qui l'a copié, dit d'après lui, page 143, tome VIII, que le dernier enfant du duc et de la duchesse de Bourgogne fut sauvé par du contre-poison de Venise. Il n'y a point de contrepoison de Venise qu'on donne ainsi au hasard. La médecine ne connaît point d'antidotes généraux qui puissent guérir un

CHAPITRE XXVIII.

Suite des anecdotes.

LOUIS XIV dévorait sa douleur en public; il se laissa voir à l'ordinaire: mais en secret les ressentiments de tant de malheurs le pénétraient, et lui donnaient des convulsions. Il éprouvait toutes ces pertes domestiques à la suite d'une guerre malheureuse, avant qu'il fût assuré de la paix, et dans un temps où la misère désolait le royaume. On ne le vit pas succomber un moment à ses afflictions.

mal dont on ne connaît point la source. Tous les contes qu'on a répandus dans le public en ces temps malheureux ne sont qu'un amas d'erreurs populaires.

C'est une fausseté de peu de conséquence, dans le compilateur des mémoires de madame de Maintenon, de dire que le duc du Maine fut alors à l'agonie; c'est une calomnie puérile de dire que l'auteur du Siècle de Louis XIV accrédite ces bruits plus qu'il ne les détruit.

Jamais l'histoire n'a été déshonorée par de plus absurdes mensonges que dans ces prétendus mémoires. L'auteur feint de les écrire en 1753. Il s'avise d'imaginer que le duc et la duchesse de Bourgogne, et leur fils aîné, moururent de la petite vérole; il avance cette fausseté pour se donner un prétexte de parler de l'inoculation, qu'on a faite au mois de mai 1756. Ainsi dans la même page il se trouve qu'il parle en 1753 de ce qui est arrivé en 1756.

La littérature a été infectée de tant de sortes d'écrits calomnieux, on a débité en Hollande tant de faux mémoires, tant d'impostures sur le gouvernement et sur les citoyens que c'est un devoir de précautionner les lecteurs contre cetto foule de libelles.

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Le reste de sa vie fut triste. Le dérangement des finances, auquel il ne put remédier, aliéna les coeurs. Sa confiance entière pour le jésuite le Tellier, homme trop violent, acheva de les révolter. C'est une chose très remarquable que le public, qui lui pardonna toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur. Il perdit, les trois dernières années de sa vie, dans l'esprit de la plupart de ses sujets, tout ce qu'il avait fait de grand et de mémorable.

Privé de presque tous ses enfants, sa tendresse qui redoublait pour le duc du Maine et pour le comte de Toulouse, ses fils légitimés, le porta à les déclarer héritiers de la couronne, eux et leurs descendants, au défaut des princes du sang, par un édit qui fut enregistré sans aucune remontrance, en 1714. Il tempérait ainsi, par la loi naturelle, la sévérité des lois de convention qui privent les enfants, nés hors du mariage, de tous droits à la succession paternelle. Les rois dispensent de cette loi. Il crut pouvoir faire pour son sang ce qu'il avait fait en faveur de plusieurs de ses sujets. Il crut surtout pouvoir établir pour deux de ses enfants ce qu'il avait fait passer au parlement, sans opposition, pour les princes de la maison de Lorraine. Il égala ensuite le rang de ses bâtards à celui des princes du sang, en 1715. Le procès que les princes du sang intentèrent depuis aux princes légitimés est connu. Ceux-ci ont conservé pour leurs personnes et pour leurs enfants les honneurs donnés par Louis XIV. Ce qui regarde leur postérité dépendra du temps, du mérite et de la fortune.

Louis XIV fut attaqué, vers le milieu du mois d'auguste 1715, au retour de Marli, de la maladie qui

termina ses jours. Ses jambes s'enflèrent ; la gangrène commença à se manifester. Le comte de Stair, ambassadeur d'Angleterre, paria, selon le génie de sa nation, que le roi ne passerait pas le mois de septembre. Le duc d'Orléans, qui au voyage de Marli avait été absolument seul, eut alors toute la cour auprès de sa personne. Un empirique, dans les derniers jours de la maladie du roi, lui donna un élixir qui ranima ses forces. Il mangea, et l'empirique assura qu'il guérirait. La foule qui entourait le duc d'Orléans diminua dans le moment. « Si le roi mange une seconde fois, « dit le duc d'Orléans, nous n'aurons plus personne. >> Mais la maladie était mortelle. Les mesures étaient prises pour donner la régence absolue au duc d'Orléans. Le roi ne la lui avait laissée que très limitée par son testament déposé au parlement, ou plutôt il ne l'avait établi que chef d'un conscil de régence, dans lequel il n'aurait eu que la voix prépondérante. Cependant il lui dit: Je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre naissance. (a) C'est qu'il no croyait pas qu'il y eût de loi fondamentale qui donnat dans une minorité un pouvoir sans bornes à l'héritier présomptif du royaume. Cette autorité suprême, dont on peut abuser, est dangereuse; mais l'autorité partagée l'est encore davantage. Il crut qu'ayant été si bien obéi pendant sa vie, il le serait après sa mort, et

(a) Les mémoires de madame de Maintenon, tome V, page 194, disent que Louis XIV voulait faire le duc du Maine lieutenant-général du royaume. Il faut avoir des garants authentiques pour avancer une chose aussi extraordinaire et aussi importante. Le duc du Maine eût été au-dessus du duc d'Orléans ; e’cût été tout bouleverser : aussi le fait est-il faux.

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