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fait. Il serait peu important par lui-même, s'il ne prouvait à quel point nous voyons souvent avec des regards différents, dans la triste tranquillité de la vieillesse, ce qui nous a paru si grand et si intéressant dans l'âge où l'esprit plus actif est le jouet de ses désirs et de ses illusions.

Ces disputes, long-temps l'objet de l'attention de la France, ainsi que beaucoup d'autres nées de l'oisiveté, se sont évanouies. On s'étonne aujourd'hui qu'elles aient produit tant d'animosités. L'esprit philosophique, qui gagne de jour en jour, semble assurer la tranquillité publique; et les fanatiques même, qui s'élèvent contre les philosophes, leur doivent la paix dont ils jouissent, et qu'ils cherchent à perdre.

L'affaire du quiétisme, si malheureusement importante sous Louis XIV, aujourd'hui si méprisée et si oubliée, perdit à la cour le cardinal de Bouillon. Il était neveu de ce célèbre Turenne à qui le roi avait dû son salut dans la guerre civile, et, depuis, l'agrandissement du royaume.

Uni par l'amitié avec l'archevêque de Cambrai, et chargé des ordres du roi contre lui, il chercha à concilier ces deux devoirs. Il est constant, par ses lettres,

des libelles diffamatoires. Jamais la littérature n'a été si dés⚫ honorée, ni la vérité si attaquée. Le même auteur nie que M. Ramsay m'ait écrit la lettre dont je parle, et il le nie avec une grossièreté insultante, quoiqu'il ait tiré une grande partie de ses articles du Siècle de Louis XIV. Les plagiaires jausénistes ne sont pas polis : moi qui ne suis ni quiétiste, ni janséniste, ni moliniste, je n'ai autre chose à lui répondre, sinon que j'ai la lettre. Voici les propres paroles: Were he born in a free country, he would have display'd his whole genius and give a full carrier to his own principles never known.

qu'il ne trahit jamais son ministère, en étant fidèle à son ami. Il pressait le jugement du pape, selon les ordres de la cour; mais en même temps il tâchait d'amener les deux partis à une conciliation.

Un prêtre italien, nommé Giori, qui était auprès de lui l'espion de la faction contraire, s'introduisit dans sa confiance, et le calomnia dans ses lettres; et, poussant la perfidie jusqu'au bout, il eut la bassesse de lui demander un secours de mille écus; et après l'avoir obtenu, il ne le revit jamais.

Ce furent les lettres de ce misérable qui perdirent le cardinal de Bouillon à la cour. Le roi l'accabla de reproches, comme s'il avait trahi l'Etat. Il paraît pourtant, par toutes ses dépêches, qu'il s'était conduit avec autant de sagesse que de dignité.

Il obéissait aux ordres du roi, en demandant la condamnation de quelques maximes pieusement ridicules des mystiques qui sont les alchimistes de la religion; mais il était fidèle à l'amitié, en éludant les coups que l'on voulait porter à la personne de Fénélon. Supposé qu'il importât à l'Eglise qu'on n'aimât pas DIEU pour lui-même, il n'importait pas que l'archevêque de Camhrai fût flétri. Mais le roi malheureusement voulut que Fénélon fût condamné; soit aigreur contre lui, ce qui semblait au-dessous d'un grand roi, soit asservisseinent au parti contraire, ce qui semble encore plus audessous de la dignité du trône. Quoi qu'il en soit, il écrivit au cardinal de Bouillon, le 16 mars 1699, une lettre de reproches très-mortifiante. Il déclare, daus cette lettre, qu'il veut la condamnation de l'archevêque de Cambrai: elle est d'un homme piqué. Le Télémaque faisait alors un grand bruit dans toute l'Eu

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rope; et les Maximes des saints, que le roi n'avait point lues, étaient punies des maximes répandues dans le Télémaque, qu'il avait lu.

On rappela aussitôt le cardinal de Bouillon. Il partit; mais ayant appris, à quelques milles de Rome, que le cardinal doyen était mort, il fut obligé de revenir sur ses pas pour prendre possession de cette dignité qui lui appartenait de droit, étant, quoique jeune encore, le plus ancien des cardinaux.

La place de doyen du sacré collège donne à Rome de très-grandes prérogatives; et, selon la manière de penser de ce temps-là, c'était une chose agréable pour la France qu'elle fût occupée par un Français.

Ce n'était point d'ailleurs manquer au roi que de se mettre en possession de son bien, et de partir ensuite. Cependant cette démarche aigrit le roi sans retour. Le cardinal, en arrivant en France, fut exilé, et cet exil dura dix années entières.

Enfin, lassé d'une si longue disgrâce, il prit le parti de sortir de France pour jamais, en 1710, en 1710, dans le temps que Louis XIV semblait accablé par les alliés, et que le royaume était menacé de tous côtés.

Le prince Eugène et le prince d'Auvergne, ses parents, le reçurent sur les frontières de Flandre où ils étaient victorieux. Il envoya au roi la croix de l'ordre du Saint-Esprit et la démission de sa charge de grand aumônier de France, en lui écrivant ces propres paroles : « Je reprends la liberté que me donnaient ma << naissance de prince étranger, fils d'un souverain, ne dépendant que de DIEU, et ma dignité de cardinal « de la sainte Eglise romaine et de doyen du sacré collège.... Je tacherai de travailler le reste de mes jours

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« à servir DIEU et l'Eglise dans la première place après « la suprême, etc. »

Sa prétention de prince indépendant lui paraissait fondée non-seulement sur l'axiome de plusieurs jurisconsultes, qui assurent que qui renonce à tous n'est plus tenu à rien, et que tout homme est libre de choisir son séjour, mais sur ce qu'en effet le cardinal était né à Sédan dans le temps que son père était encore souverain de Sédan : il regardait sa qualité de prince indépendant comme un caractère ineffaçable. Et quant au titre de cardinal doyen, qu'il appelle la première place après la suprême, il se justifiait par l'exemple de tous ses prédécesseurs, qui ont passé incontestablement devant les rois à toutes les cérémonies de Rome.

La cour de France et le parlement de Paris avaient des maximes entièrement différentes. Le procureur général d'Aguesseau, depuis chancelier, l'accusa devant les chambres assemblées, qui rendirent contre lui un décret de prise de corps, et confisquèrent tous ses biens. Il vécut à Rome honoré, quoique pauvre, et mourut victime du quiétisme qu'il méprisait, et de l'amitié qu'il avait noblement conciliée avec son devoir.

Il ne faut pas omettre que, lorsqu'il se retira des Pays-Bas à Rome, on sembla craindre à la cour qu'il ne devînt pape. J'ai entre les mains la lettre du roi au cardinal de la Trimouille, du 26 mai 1710, dans laquelle il manifeste cette crainte. « On peut tout pré«<sumer, dit-il, d'un sujet prévenu de l'opinion qu'il « ne dépend que de lui seul. Il suffira que la place dont «<le cardinal de Bouillon est présentement ébloui, lui

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paraisse inférieure à sa naissance et à ses talents; il << se croira toute voie permise pour parvenir à la pre« mière place de l'Eglise, lorsqu'il en aura contemplé » la splendeur de plus près. »

Ainsi, en décrétant le cardinal de Bouillon, et en donnant ordre qu'on le mít dans les prisons de la conciergerie, si on pouvait se saisir de lui, on craignit qu'il ne montât sur un trône qui est regardé comme le premier de la terre par tous ceux de la religion catholique; et qu'alors, en s'unissant avec les ennemis de Louis XIV, il ne se vengeât encore plus que le prince Eugène; les armes de l'Eglise ne pouvant rien par elles-mêmes, mais pouvant alors beaucoup par celles d'Autriche.

CHAPITRE

XXXIX.

Disputes sur les cérémonies chinoises. Comment ces querelles contribuèrent à faire proscrire le christianisme à la Chine.

Ce n'était pas assez, pour l'inquiétude de notre ésprit, que nous disputassions au bout de dix-sept cents ans sur des points de notre religion: il fallut encore que celle des Chinois entrât dans nos querelles. Cette dispute ne produisit par de grands mouvements; mais elle caractérisa, plus qu'aucune autre, cet esprit actif, contentieux et querelleur qui règne dans nos climats. Le jésuite Matthieu Ricci, sur la fin du dix-septième siècle, avait été un des premiers missionnaires de la Chine. Les Chinois étaient et sont encore, en philoso

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