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fini d'une manière neuve et frappante. Tout a ses bornes.

La haute comédie a les siennes. Il n'y a dans la nature humaine qu'une douzaine, tout au plus, de caractères vraiment comiques et marqués de grands traits. L'abbé du Bos, faute de génie, croit que les hommes de génie peuvent encore trouver une foule de nouveaux caractères; mais il faudrait que la nature en fit. Il s'imagine que ces petites différences, qui sont dans les caractères des hommes, peuvent être maniées aussi heureusement que les grands sujets, Les nuances, à la vérité, sont innombrables, mais les couleurs éclatantes sont en petit nombre; et ce sont ces couleurs primitives qu'un grand artiste ne manque pas d'employer.

L'éloquence de la chaire, et surtout celle des oraisons funèbres, sont dans ce cas. Les vérités morales une fois annoncées avec éloquence, les tableaux des misères et des faiblesses humaines, des vanités de la grandeur, des ravages de la mort, étant faits par des mains habiles, tout cela devient lieu commun. On est réduit ou à imiter ou à s'égarer. Un nombre suffisant de fables étant composé par un la Fontaine, tout ce qu'on y ajoute rentre dans la même morale, et presque dans les mêmes aventures. Ainsi donc le génie n'a qu'un siècle, après quoi il faut qu'il dégénère.

Les genres dont les sujets se renouvellent sans cesse, comme l'histoire, les observations physiques, et qui ne demandent que du travail, du jugement et un esprit commun, peuvent plus aisément se soutemir; et les arts de la main, comme la peinture, la sculpture, peuvent ne pas dégénérer, quand ceux qui

gouvernent ont, à l'exemple de Louis XIV, l'attention de n'employer que les meilleurs artistes. Car on peut, en peinture et en sculpture, traiter cent fois les mêmes sujets: on peint encore la sainte famille, quoique Raphaël ait déployé dans ce sujet toute la supériorité de son art; mais on ne serait pas reçu à traiter Cinna, Andromaque, l'Art poétique, le Tartuffe.

Il faut encore observer que le siècle passé ayant instruit le présent, il est devenu si facile d'écrire des choses médiocres, qu'on a été inondé de livres frivoles; et, ce qui encore est bien pis, de livres sérieux inutiles mais parmi cette multitude de médiocres écrits, mal devenu nécessaire dans une ville immense, opulente et oisive, où une partie des citoyens s'occupe sans cesse à amuser l'autre, il se trouve de temps en temps d'excellents ouvrages, ou d'histoire, ou de réflexion, ou de cette littérature légère qui délasse toutes sortes d'esprits.

La nation française est de toutes les nations celle qui a produit le plus de ces ouvrages. Sa langue est devenue la langue de l'Europe; tout y a contribué : les grands auteurs du siècle de Louis XIV, ceux qui les ont suivis; les pasteurs calvinistes réfugiés, qui ont porté l'éloquence, la méthode dans les pays étrangers; un Bayle surtout qui, écrivant en Hollande, s'est fait lire de toutes les nations; un Rapin de Thoyras qui a donné en français la seule bonne histoire d'Angleterre (*); un Saint- Evremond dont toute la cour de Londres recherchait le commerce; la duchesse de Mazarin, à qui l'on ambitionnait de plaire; madame d'Olbreuse, devenue duchesse de Zell, qui porta en Alle(*) Celle de M. Hume n'avait pas encore paru.

magne toutes les grâces de sa patrie. L'esprit de société est le partage naturel des Français; c'est un mérite et un plaisir dont les autres peuples ont.senti le besoin. La langue française est de toutes les langues celle qui exprime avec le plus de facilité, de netteté et de délicatesse tous les objets de la conversation des honnêtes gens, et par-là elle contribue dans toute l'Europe à un des plus grands agréments de la vie.

CHAPITRE XXXIII.
Suite des arts.

A l'égard des arts qui ne dépendent pas uniquement de l'esprit, comme la musique, la peinture, la sculpture, Farchitecture, ils n'avaient fait que de faibles progrès en France, avant le temps qu'on nomme le siècle de Louis XIV.; La musique était au berceau : quelques chansons languissantes, quelques airs de violon, de guitare et de théorbe, la plupart même composés en Espagne, étaient tout ce qu'on connaissait: Lulli étonna par son goût et par sa science. Il fut le premier en France qui fit des basses, des milieux et des fugues. On avait d'abord quelque peine à exécuter ses compositions qui paraissent aujourd'hui si simples et si aisées. Il y a de nos jours mille personnes qui savent la musique, pour une qui la savait du temps de Louis XIII; et l'art s'est perfectionné dans cette progression. Il n'y a point de grande ville qui n'ait des concerts publics; et Paris même alors n'en avait pas. Vingt-quatre violons du roi étaient toute la musique de la France.

Les connaissances qui appartiennent à la musique et aux arts qui en dépendent, ont fait tant de progrès, que sur la fin du règne de Louis XIV on a inventé l'art de noter la danse; de sorte qu'aujourd'hui il est vrai de dire qu'on danse à livre ouvert.

Nous avions eu de très-grands architectes du temps de la régence de Marie de Médicis. Elle fit élever le palais du Luxembourg dans le goût toscan, pour honorer sa patrie, et pour embellir la nôtre. Le même de Brosse, dont nous avons le portail de Saint-Gervais, bâtit le palais de cette reine, qui n'en jouit jamais. Il s'en fallut beaucoup que le cardinal de Richelieu, avec autant de grandeur dans l'esprit, eût autant de goût qu'elle. Le palais cardinal, qui est aujourd'hui le palais royal, en est la preuve. Nous conçûmes les plus grandes espérances, quand nous vimes élever cette belle façade du Louvre, qui fait tant désirer l'achèvement de ce palais. Beaucoup de citoyens ont construit des édifices magnifiques, mais plus recherchés pour l'intérieur que recommandables par des dehors dans le grand goût, et qui satisfont le luxe des particuliers encore plus qu'ils n'embellissent la ville.

Colbert, le Mécène de tous les arts, forma une académie d'architecture en 1671. C'est peu d'avoir des Vitruves, il faut que les Augustes les emploient.

Il faut aussi que les magistrats municipaux soient animés par le zèle et éclairés par le goût. S'il y avait eu deux ou trois prévôts des marchands comme le président Turgot, on ne reprocherait pas à la ville de Paris cet hôtel-de-ville mal construit et mal situé; cette place si petite et si irrégulière, qui n'est célèbre que par des gibets et de petits feux de joie; ces rues

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étroites dans les quartiers les plus fréquentés, et enfin un reste de barbarie au milieu de la grandeur et dans le sein de tous les arts.

La peinture commença sous Louis XIII avec le Poussin. Il ne faut point compter les peintres médiocres qui l'ont précédé. Nous avons eu toujours depuis lui de grands peintres; non pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l'Italie; mais, sans nous arrêter à un le Sueur, qui n'eut d'autre maître que lui-même, à un le Brun qui égala les Italiens dans le dessin et dans la composition, nous avons eu plus de trente peintres qui ont laissé des morceaux très dignes de recherches. Les étrangers commencent à nous les enlever. J'ai vu chez un grand roi des galeries et des appartements qui ne sont ornés que de nos tableaux, dont peut-être nous ne voulions pas connaître assez le mérite. J'ai vu en France refuser douze mille livres d'un tableau de Santerre. Il n'y a guère dans l'Europe de plus vastes ouvrages de peinture que le plafond de le Moine à Versailles ; et je ne sais s'il y en a de plus beaux. Nous avons eu depuis Vanloo, qui, chez les étrangers même, passait pour le premier de son temps.

Non-seulement Colbert donna à l'académie de peinture la forme qu'elle a aujourd'hui, mais, en 1867, il engagea Louis XIV à en établir une à Rome. On acheta dans cette métropole un palais, où loge le directeur. On y envoie les élèves qui ont remporté des prix à l'académie de Paris. Ils y sont instruits et entretenus aux frais du roi ils y dessinent les antiques; ils étudient Raphaël et Michel-Ange. C'est un noble hommage que rendit à Rome ancienne et nouvelle le désir de l'imiter;

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