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homme qui n'est vestu que de sa peau. Combien d'hommes, et en Turquie surtout, vont nuds par devotion? le ne sçais qui demandoit à un de nos gueux, qu'il voyoit en chemise en plein hyver, aussi scarbillat (a) que tel qui se tient emmitonné dans les martes iusques aux aureilles, comme il pouvoit avoir patience. « Et vous, monsieur, << respondict il, vous avez bien la face descoua verte: or moy, ie suis tout face. » Les Italiens content du fol du duc de Florence, ce me semble, que son maistre s'enquerant comment ainsi mal vestu il pouvoit porter le froid, à quoy il estoit bien empesché luy mesme : « Suyvez, dict il, ma recepte de charger sur vous touts vos accous<< trements, comme ie foys les miens, vous n'en << souffrirez non plus que moy.» Le roy Massinissa (6) iusques à l'extreme vieillesse ne peut estre induict à aller la teste couverte, par froid, orage et pluye qu'il feist; ce qu'on dict aussi de l'empereur Severus. Aux battailles donnees entre les Aegyptiens et les Perses, Herodote dict avoir esté remarqué, et par d'aultres et par luy, que de ceulx qui y demeuroient morts, le test (c) estoit sans comparaison plus dur aux Aegyptiens qu'aux Persiens; à raison que ceulx icy portent leurs

(a) Ou escarbillat, c'est-à-dire, éveillé, gai, de bonne humeur. C.

(b) Cic. de Senectute, c. 10. C. (c) Le crane de la tête. C.

habitants du

testes tousiours couvertes de beguins et puis de turbans; ceulx là rasez dez l'enfance et descouvertes. Et le roy Agesilaus observa iusques à sa decrepitude de porter pareille vesture en hyver qu'en esté. Cæsar, dict Suetone, marchoit tousiours devant sa troupe, et le plus souvent à pied, la teste descouverte, soit qu'il feist soleil ou qu'il pleust; et autant en dict on de Hannibal,

Tum vertice nudo

Excipere insanos imbres, cœlique ruinam. (1)

Tous les Un Venitien, qui s'y est tenu longtemps, et qui Pégu vont les ne faict que d'en venir, escrit qu'au royaume du pieds nus, en tout temps. Pegu, les aultres parties du corps vestues, les hommes et les femmes vont tousiours les pieds nuds, mesme à cheval. Et Platon conseille merveilleusement, pour la santé de tout le corps, de ne donner aux pieds et à la teste aultre couverture que celle que nature y a mise. Celuy que les Polonnois ont choisi pour leur roy (a) aprez le nostre, qui est à la verité l'un des plus grands princes de nostre siecle, ne porte iamais gants, ny ne change, pour hyver et temps qu'il face, le mesme bonnet qu'il porte au couvert. Comme

(1) Qui, tête nue, bravoit les torrents du ciel. SILIUS ITALICUS, 1. V. 250.

(a) Étienne Bathory. Et c'est à lui, si je ne me trompe, et non pas à Henri III, qu'il faut rapporter ces paroles, qui est à la verité l'un des plus grands princes de nostre siecle. C.

ie ne puis souffrir d'aller desboutonné et desta-
ché, les laboureurs de mon voisinage se senti-
roient entravez de l'estre. Varro (a) tient que
quand on ordonna que nous teinssions la teste
descouverte en presence des dieux ou du magis-
trat, on le feit plus pour nostre santé et nous
fermir contre les iniures du temps, que pour
compte de la reverence. Et puisque nous sommes
sur le froid, et François accoustumez à nous
bigarrer (non pas moy, car ie ne m'habille
que de noir ou de blanc, à l'imitation de mon
pere), adioustons d'une aultre piece, que le
capitaine Martin du Bellay recite, au voyage de
Luxembourg, avoir veu les gelees si aspres (6)
que le vin de la munition se coupoit à coups de
hache et de congnee, se debitoit aux soldats par
poids, et qu'ils l'emportoient dans des panniers :
et Ovide,

Nudaque consistunt, formam servantia testæ,

Vina;

gueres

nec hausta meri, sed data frusta, bibunt. (1)

Gelées fort âpres près des des.

Les gelees sont si aspres en l'emboucheure des Palus Maeotides, qu'en la mesme place où le Palus Méotilieutenant de Mithridates avoit livré battaille aux

(a) PLINE, Hist. nat. 1. 28, c. 6. C.

(6) En 1543. Philippe de Comines parle d'un pareil froid arrivé de son temps (en 1469) dans le pays de Liége. C.

(1) Le vin glacé retient la forme du vase qui le renfermoit; on n'y boit pas le vin liquide, mais on le partage en morceaux. OVID. Trist. 1. 3, eleg. 10, v. 23.

Ravages horribles de nei

montagnes d'Arménie.

ennemis à pied sec et les y avoit desfaicts, l'esté venu il y gaigna contre eulx encores une battaille navale. Les Romains (a) souffrirent grand desadvantage, au combat qu'ils eurent contre les Carthaginois, prez de Plaisance, de ce qu'ils allerent à la charge, le sang figé et les membres contraincts de froid: là où Hannibal avoit faict espandre du feu par tout son ost (6) pour eschauffer ses soldats, et distribuer de l'huyle par les bandes, à fin que s'oignants ils rendissent leurs nerfs plus souples et desgourdis, et encroustassent les pores contre les coups de l'air et du vent gelé qui tiroit lors.

La retraicte des Grecs, de Babylone en leurs ges sur les païs, est fameuse des difficultez et mesayses qu'ils eurent à surmonter : cette cy en feut, qu'accueillis aux montaignes d'Armenie d'un horrible ravage de neiges, ils en perdirent la cognoissance du pays et des chemins; et, en estants assiegés tout court, feurent un iour et une nuict sans boire et sans manger, la plupart de leurs bestes mortes, d'entre eulx plusieurs morts, plusieurs aveugles du coup du gresil et lueur de la neige, plusieurs stropiez par les extremitez, plusieurs roides, transis et immobiles de froid, ayants Arbres frui- encores le sens entier (c). Alexandre (d) veid une

tiers enterrés

en hiver.

(a) TITE-LIVE, 1. 20, c. 54. C.

(b) Son armée. E. J.

(c) Voyez XÉNOPHON, Expédition de Cyrus, 1. 4, c. 5. (d) QUINTE-CURCE, 1. 7, c. 3.

nation en laquelle on enterre les arbres fruictiers en hyver, pour les deffendre de la gelee; et nous en pouvons aussi veoir.

de fois le roi

changeoit

jour.

par

Sur le subiect de vestir, le roy de la Mexique Combien changeoit quatre fois par iour d'accoustrements, du Mexique iamais ne les reïteroit, employant sa desferre (a) d'habit à ses continuelles liberalitez et recompenses ; comme aussi ny pot, ny plat, ny ustensile de sa cuisine et de sa table, ne luy estoient servis à deux fois.

CHAPITRE XXXVI.

Du ieune Caton.

I n'ay point cette erreur commune de iuger d'un aultre, selon que ie suis: i'en crois ayseement des choses diverses à moy. Pour me sentir engagé à une forme, ie n'y oblige pas le monde, comme chascun faict; et crois et conçois mille contraires façons de vie ; et, au rebours du commun, reçois plus facilement la difference que la ressemblance en nous. Ie descharge, tant qu'on veult, un aultre estre de mes conditions et principes; et le considere simplement en luy mesme, sans relation, l'estoffant sur son propre modele. Pour n'estre continent, ie ne laisse d'advouer

(a) C'est-à-dire, sa défroque, ou sa dépouille. E. J.

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