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Mais oyons un peu parler ce garçon de seize

ans.

Parce que l'ay trouvé que cet ouvrage (a) a esté depuis mis en lumiere, et à mauvaise fin, par ceulx qui cherchent à troubler et changer l'estat de nostre police, sans se soucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont meslé à d'aultres escripts de leur farine, ie me suis dedict de le loger icy. Et à fin que la memoire de l'aucteur n'en soit interessee en l'endroict de ceulx qui n'ont peu cognoistre de prez ses opinions et ses actions, ie les advise que ce subiect feut traicté par luy en son enfance par maniere d'exercitation seulement, comme subiect vulgaire et tracassé en mille endroicts des livres. Ie ne foys nul doubte qu'il ne creust ce qu'il escrivoit; car il estoit assez conscientieux pour ne mentir pas mesme en se iouant: et sçay davantage que s'il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu'à Sarlac ; et avecques raison. Mais il avoit une aultre maxime souve

Ta mort a dissipé mon bonheur. Avec toi se sont évanouis tous les plaisirs que me donnoit ta douce amitié! Avec toi, mon âme est tout entière ensevelie. Depuis que tu m'as été ravi, j'ai dit adieu aux muses, à tout ce qui faisoit le charme de ma vie!.... Ne pourrai-je donc plus te parler ni t'entendre! O toi qui m'étois plus cher que la vie, ô mon frère! je ne te verrai donc plus! Ah! du moins je t'aimerai toujours! CATULL. eclog. 68, v. 20; eclog. 65, v. 9.

(a) Le Traité de la Servitude volontaire.

rainement empreinte en son ame, d'obeyr et de se soubmettre tresreligieusement aux loix sous lesquelles il estoit nay. Il ne feut iamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son pays, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son temps; il eut bien plustost employé sa suffisance à les esteindre qu'à leur fournir de quoy les esmouvoir davantage : il avoit son esprit moulé au patron d'aultres siecles que ceulx cy. Or, en eschange de cet ouvrage serieux, i'en substitueray un aultre (a), produict en cette mesme saison de son aage, plus gaillard et plus

enioué.

CHAPITRE XXVIII.

Vingt et neuf sonnets d'Estienne de la Boëtie.

A MADAME DE GRAMMONT, COMTESSE DE GUISSEN.

MADAME, ie ne vous offre rien du mien, ou parce qu'il est desia vostre, ou pour ce que ie n'y treuve rien digne de vous; mais i̇'ay voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils se veissent, portassent vostre nom en teste, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande

(a) Les vingt-neuf sonnets de la Boëtie qui se trouvent dans le Chapitre suivant.

Corisande d'Andoins (a). Ce present m'a semblé vous estre propre, d'autant qu'il est peu de dames en France qui iugent mieulx, et se servent plus à propos que vous, de la poësie; et puis, qu'il n'en est point qui la puissent rendre vifve et animee comme vous faictes par ces beaux et riches accords de quoy, parmy un million d'aultres beautez, nature vous a estrenee. Madame, ces vers meritent que vous les cherissiez; car vous serez de mon advis, qu'il n'en est point sorty de Gascoigne qui eussent plus d'invention et de gentillesse, et qui tesmoignent estre sortis d'une plus riche main. Et n'entrez pas en ialousie de quoy que le reste de ce que dez longtemps i'en ay fayct imprimer soubs le nom de monsieur de Foix, vostre bon parent: car, certes, ceulx cy ont ie ne sçay quoy de plus vif et de plus bouillant; comme il les feit en sa plus verte ieunesse, et eschauffé d'une belle et noble ardeur que ie vous diray, madame, un iour à l'aureille. Les aultres furent faicts depuis, comme il estoit à la poursuitte de son mariage, en faveur de sa femme, et sentant desia ie ne sçay quelle froideur maritale. Et moy ie suis de ceulx qui tiennent que la poësie ne rid point ailleurs, comme elle faict en un subiect folastre et desreglé.

vous n'avez

(a) Andoins étoit une baronnie du Béarn, près de Pau. E. J.

SONNETS.

I.

PARDON, amour, pardon; ô Seigneur! ie te vouë
Le reste de mes ans, ma voix et mes escripts,
Mes sanglots, mes souspirs, mes larmes et mes cris :
Rien, rien tenir d'aulcun que de toy, ie n'advouë.
Helas! comment de moy ma fortune se iouë!
De toy n'a pas longtemps, amour, ie me suis ris.
I'ay failly, ie le veoy, ie me rends, ie suis pris.
l'ay trop gardé mon cœur, or ie le desadvouë.

Si i'ay pour le garder retardé ta victoire,

Ne l'en traitte plus mal, plus grande en est ta gloire. Et si du premier coup tu ne m'as abbattu,

Pense qu'un bon vainqueur, et nay pour estre grand, Son nouveau prisonnier, quand un coup il se rend, Il prise et l'ayme mieulx, s'il a bien combattu.

II.

C'est amour, c'est amour,

c'est luy seul, ie le sens :

Mais le plus vif amour, la poison la plus forte,
A qui oncq pauvre cœur ait ouverte la porte.
Ce cruel n'a pas mis un de ses traicts perçants,

Mais arc, traicts et carquois, et luy tout dans mes sens.
Encor un mois n'a pas, que ma franchise est morte,

Que ce venin mortel dans mes veines ie porte,
Et desia i'ay perdu, et le cœur et le sens.

Et quoy? si cet amour à mesure croissoit,

Qui en si grand tourment dedans moy se conçoit?
O croist, si tu peulx croistre, et amende en croissant.

Tu te nourris de pleurs, des pleurs ie te promets,
Et pour te refreschir, des souspirs pour iamais.
Mais que le plus grand mal soit au moings en naissant.

III.

C'est faict, mon cœur, quittons la liberté.
Dequoy meshuy serviroit la deffence,
Que d'aggrandir et la peine et l'offence?
Puis ne suis fort, ainsi que i'ay esté.

La raison feust un temps de mon costé:
Or, revoltee, elle veut que ie pense
Qu'il fault servir, et prendre en recompence
Qu'oncq d'un tel nœud nul ne feust arresté.

S'il se fault rendre, alors il est saison,
Quand on n'a plus devers soy la raison.
le veoy qu'amour, sans que ie le deserve,

Sans aulcun droict, se vient saisir de moy :
Et veoy qu'encor il fault à ce grand roy
Quand il a tort, que la raison luy serve.

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