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remuer: car, à la verité, en ces dernieres necessitez où il n'y a plus que tenir, il seroit à l'adventure plus sagement faict de baisser la teste et prester un peu au coup, que, s'aheurtant, oultre la possibilité, à ne rien relascher, donner occasion à la violence de fouler tout aux pieds; et vauldroit mieulx faire vouloir aux loix ce qu'elles peuvent, puisqu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent. Ainsi feit celuy (a) qui ordonna qu'elles dormisssent vingt et quatre heures; et celuy qui remua pour cette fois un iour du calendrier; et cet aultre (b) qui du mois de iuin feit le second may. Les Lacedemoniens mesmes, tant religieux observateurs des ordonnances de leur païs, estants pressez de leur loy qui deffendoit d'eslire

par deux fois admiral un mesme personnage, et de l'aultre part leurs affaires requerants de toute necessité que Lysander prinst derechef cette charge, ils feirent bien un Aracus admiral, mais Lysander surintendant de la marine (c): et de mesme subtilité, un de leurs ambassadeurs, estant envoyé vers les Atheniens pour obtenir le changement de quelqu'ordonnance, et Pericles luy alleguant qu'il estoit deffendu d'oster le tableau où une loy estoit une fois posee, lui conseilla de le tourner seulement, d'autant que cela

(a) C'est Agésilas. C.

(b) Alexandre-le-Grand. C.

(c) PLUTARQUE, Vie de Lysandre, c. 4. C.

n'estoit pas deffendu (a). C'est ce de quoy Plutarque loue Philopoemen (6), qu'estant nay pour commander, il sçavoit non seulement commander selon les loix, mais aux loix mesmes, quand la necessité publicque le requeroit.

mence du duc

avoit conjuré

sa mort.

CHAPITRE XXIII.

Divers evenements de mesme conseil.

Grande cle- IACQUES AMYOT, grand aumosnier de France, me de Guise en recita un iour cette histoire à l'honneur d'un vers celui qui prince des nostres (et nostre estoit il à tresbonnes enseignes, encores que son origine (c) feust estrangiere), que durant nos premiers troubles, au siege de Rouan (d), ce prince ayant esté adverti, par la d'une entreroyne mere du roy, prinse qu'on faisoit sur sa vie, et instruict particulierement, par ses lettres, de celuy qui la debvoit conduire à chef, qui estoit un gentilhomme angevin, ou manceau, frequentant lors ordinairement pour cet effect la maison de ce prince, il ne communiqua à personne cet ad

(a) PLUTARQUE, Vie de Périclès, c. 18. C.

(b) Dans la comparaison de T. Q. Flaminius avec Philopœmen, vers la fin.

(c) Le duc de Guise, de la maison de Lorraine.
(d) En 1562.

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vertissement: mais se promenant l'endemain au mont saincte Catherine, d'où se faisoit nostre batterie à Rouan, ayant à ses costez ledit seigneur grand aumosnier et un aultre evesque, il apperceut ce gentilhomme qui lui avoit esté remarqué, et le feit appeller. Comme il feut en sa presence, il luy dict ainsi, le voyant desia paslir et fremir des alarmes de sa conscience : « Monsieur de tel

lieu, vous vous doubtez bien de ce que ie vous veulx, et vostre visage le montre. Vous n'avez rien à me cacher; car ie suis instruict de vostre affaire si avant, que vous ne feriez qu'empirer vostre marché d'essayer à le couvrir. Vous sçavez bien telle chose et telle (qui estoyent les tenants et aboutissants des plus secretes pieces de cette menee): ne faillez, sur vostre vie, à me confesser la verité de tout ce desseing. » Quand ce pauvre, homme se trouva prins et convaincu, car le tout avoit esté descouvert à la royne par l'un des complices, il n'eut qu'à ioindre les mains et requerir la grace et misericorde de ce prince, aux pieds duquel il se voulut iecter; mais il l'en garda, suyvant ainsi son propos (a) : « Veneż ça : vous ay ie aultrefois faict desplaisir? ay ie offensé quel qu'un des vostres par haine particuliere? Il n'y a pas trois semaines que ie vous cognoy, quelle

(a) Tout ceci se trouve dans un livre intitulé la Fortune de la Cour, composé par le sieur de Dampmartin, ancien courtisan du règne de Henri III. C.

raison vous a peu mouvoir à entreprendre ma mort? » Le gentilhomme respondit à cela, d'une voix tremblante, que ce n'estoit aulcune occasion particuliere qu'il en eust, mais l'interest de la cause generale de son party, et qu'aulcuns luy avoient persuadé que ce seroit une execution pleine de pieté, d'extirper en quelque maniere que ce feust un si puissant ennemy de leur religion. « Or, suyvit ce prince, ie vous veulx montrer combien la religion que ie tiens est plus doulce que celle de quoy vous faictes profession. La vostre vous a conseillé de me tuer, sans m'ouïr, n'ayant receu de moy aulcune offense; et la mienne me commande que ie vous pardonne, tout convaincu que vous estes de m'avoir voulu tuer sans raison. Allez vous en, retirez vous; que ie ne vous voye plus icy: et, si vous estes sage, prenez doresnavant en vos entreprinses des conseillers plus.gents de bien que ceulx là. » Conjuration L'empereur Auguste (a), estant en la Gaule, receut certain advertissement d'une coniuration que lui brassoit L. Cinna: il delibera de s'en venger, et manda pour cet effect au lendemain le conseil de ses amis. Mais la nuict d'entre deux, il la passa avecques grande inquietude, considerant qu'il avoit à faire mourir un ieune homme de bonne maison et nepveu du grand Pompeius,

contre

guste.

Au

(a) Voyez SÉNÈQUE, dans son traité de la Clémence, 1. 1, d'où cette histoire est transportée ici mot pour mot. C.

et produisoit en se plaignant plusieurs divers
discours : « Quoy doncques, disoit il, sera il vray
que ie demeureray en crainte et en alarme, et
que ie lairray mon meurtrier se promener ce
pendant à son ayse? S'en ira il quitte, ayant
assailly ma teste, que i'ay sauvee de tant de
guerres civiles, de tant de battailles par mer et
par terre, et aprez avoir estably la paix univer-
selle du monde? sera il absoult, ayant deliberé
non de me meurtrir seulement, mais de me sa-
crifier? » (car la coniuration estoit faicte de le
tuer comme il feroit quelque sacrifice.) Aprez
cela, s'estant tenu coy quelque espace de temps,
il recommenceoit d'une voix plus forte, et s'en
prenoit à soy mesme : « Pourquoi vis tu, s'il
importe à tant de gents que tu meures? n'y aura
il point de fin à tes vengeances et à tes cruautez?
Ta vie vault elle que tant de dommage se face
pour la conserver? » Livia, sa femme, le sentant
en ces angoisses : « Et les conseils des femmes y femme.
seront ils receus? luy dict elle: fay ce que font
les medecins; quand les receptes accoustumees ne
peuvent servir, ils en essayent de contraires. Par
severité, tu n'as iusques à cette heure rien prou-
fité; Lepidus a suyvi Salvidienus; Murena, Le-
pidus; Caepio, Murena; Egnatius, Caepio: com-
mence à experimenter comment te succederont
la doulceur et la clemence. Cinna est convaincu;
pardonne luy : de te nuire desormais il ne pourra,
et proufitera à ta gloire.» Auguste feut bien ayse

Avis que lui donne sa

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