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Si minùs esse potest quàm quod nihil esse videmus; (1)

« elle ne vous concerne ny mort ny vif; vif,

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parce que vous estes; mort, parce que vous << n'estes plus. Davantage, nul ne meurt avant << son heure : ce que vous laissez de temps n'es<< toit non plus vostre, que celuy qui s'est passé << avant vostre naissance, et ne vous touche non plus.

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Respice enim quàm nil ad nos anteacta vetustas

Temporis æterni fuerit. (2)

«< Où que vostre vie finisse, elle y est toute. L'utilité du vivre n'est pas en l'espace; elle <«< est en l'usage tel a vescu longtemps, qui a «< peu vescu. Attendez vous y pendant que vous «< y estes : il gist en vostre volonté, non au << nombre des ans, que vous ayez assez vescu. Pensiez vous iamais n'arriver là où vous alliez << sans cesse ? encores n'y a il chemin qui n'ayt «< son issue. Et si la compaignie vous peult soulager, le monde ne va il pas mesme train que << vous allez ?

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Omnia te vitâ perfunctâ sequentur. (3)

(1) LUCRET. 1. 3, v. 939. La phrase précédente est la traduction de ces deux vers.

(2) Considérez les siècles sans nombre qui nous ont précédés; ne sont-ils pas pour nous comme s'ils n'avoient jamais été? LUCRET. 1. 3, v. 985.

(3) Les races futures vont vous suivre. LUCRet. 1. 3, v. 981.

<< Tout ne bransle il pas vostre bransle? y a il <«< chose qui ne vieillisse quant et vous? mille «< hommes, mille animaux et mille aultres crea<< tures meurent en ce mesme instant que vous

« mourez.

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Nam nox nulla diem, neque noctem aurora, sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagitibus ægris

Ploratus mortis comites et funeris atri. (1)

« A quoy faire y reculez vous,
si vous ne pouvez
« tirer arriere? Vous en avez assez veu qui se
<< sont bien trouvez de mourir, eschevant (a)
« par là des grandes miseres : mais quelqu'un
qui s'en soit mal trouvé, en avez vous veu?
<< si est ce grand'simplesse de condemner chose
«< que vous n'avez esprouvee, ny par vous ny
«< par aultre. Pourquoy te plains tu de moy et
<< de la destinee? Te faisons nous tort? Est ce à
<< toy de nous gouverner, ou à nous toy? Encores
<< que ton aage ne soit pas achevé, ta vie l'est:
<< un petit homme est homme entier comme un
grand ny les hommes ny leurs vies ne se
<< mesurent à l'aulne. Chiron refusa l'immor-
<«<talité, informé des conditions d'icelle par le
« dieu mesme du temps et de la duree, Saturne

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(1) Jamais l'aurore, jamais la sombre nuit, n'ont visité ce globe, sans entendre à la fois et les cris plaintifs de l'enfance au berceau, et les sanglots de la douleur éplorée auprès d'un cercueil. LUCRET. 1. 2, v. 579.

(a) Esquivant, évitant. E. J.

L'immortalité refusée par Chiron.

mort est mê

me.

<< son pere. Imaginez, de vray, combien seroit une << vie perdurable moins supportable à l'homme, << et plus penible, que n'est la vie que ie luy ay << donnee. Si vous n'aviez la mort, vous me maul<< diriez sans cesse de vous en avoir privé : i'y ay Pourquoi la «< à escient meslé quelque peu d'amertume, pour lée d'amertu- « vous empescher, voyant la commodité de son << usage, de l'embrasser trop avidement et indis«< crettement. Pour vous loger en cette mode<< ration, ny de fuir la vie, ny de fuir la mort, <«< que ie demande de vous, i'ay temperé l'une <<< et l'aultre, entre la doulceur et l'aigreur. l'apprins à Thales, le premier de vos sages, que le <«< vivre et le mourir estoit indifferent: par où, « à celuy qui luy demanda pourquoy doncques «< il ne mouroit, il respondit tressagement, «< Parce

Pourquoi la

mort nous pa

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qu'il est indifferent. » L'eau, la terre, l'air, le «< feu, et aultres membres de ce mien basti«< ment, ne sont non plus instruments de ta vie, «< qu'instruments de ta mort. Pourquoy crains tu «< ton dernier iour? il ne confere non plus à ta <«< mort que chascun des aultres : le dernier pas <«< ne faict pas la lassitude; il la declare. Touts les «< iours vont à la mort : le dernier y arrive. » Voylà les bons advertissements de nostre mere

nature.

Or l'ay pensé souvent d'où venoit cela, qu'aux roît autre à la guerres le visage de la mort, soit que nous la

guerre que

dans nos mai- voyions en nous ou en aultruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos

sons.

maisons; aultrement ce seroit une armee de medecins et de pleurars : et, elle estant tousiours une, qu'il y ait toutesfois beaucoup plus d'asseurance parmy les gents de village et de basse condition, qu'ez aultres. Ie crois, à la verité, que ce sont ces mines et appareils effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur qu'elle : une toute nouvelle forme de vivre; les cris des meres, des femmes et des enfants; la visitation de personnes estonnees et transies; l'assistance d'un nombre de valets pasles et esplorez ; une chambre sans iour; des cierges allumez; nostre chevet assiegé de medecins et de prescheurs; somme, tout horreur et tout effroy autour de nous nous voylà desia ensepvelis et enterrez. Les enfants ont peur de leurs amis mesmes, quand ils les voyent masquez aussi avons nous. Il fault oster le masque aussi bien des choses que des personnes : osté qu'il sera, nous ne trouverons au dessoubs que cette mesme mort qu'un valet ou simple chambriere passerent dernierement sans peur. Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests de tel equipage!

CHAPITRE XX.

De la force de l'imagination.

Des effets que FORTIS imaginatio generat casum (1), disent

produit l'imagination.

les clercs.

Je suis de ceulx qui sentent tresgrand effort de l'imagination : chascun en est heurté, mais aulcuns en sont renversez. Son impression me perce; et mon art est de luy eschapper, par faulte de force à luy resister. Ie vivroy de la seule assistance de personnes saines et gayes: la veue des angoisses d'aultruy m'angoisse materiellement, et a mon sentiment souvent usurpé le sentiment d'un tiers; un tousseur continuel irrite mon poulmon et mon gosier; ie visite plus mal volontiers les malades auxquels le debvoir m'interesse, que ceulx auxquels ie m'attends moins et que ie considere moins ie saisis le mal que i'estudie, et le couche en moy. Ie ne treuve pas estrange qu'elle donne et les fiebyres et la mort à ceulx qui la laissent faire et qui luy applaudissent. Simon Thomas estoit un grand medecin de son temps: il me souvient que me rencontrant un iour à Toulouse, chez un riche

(1) Une imagination forte produit quelquefois l'événement même, disent les savants, les personnes habiles. C.

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