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Dans les actes d'où sont tirés les faits qu'on vient de lire, le nom de Rodrigue revient à tout propos. On dirait que les mesures de salut public ont été motivées par lui tout seul, et qu'elles sont prises uniquement contre sa personne. Les populations effarées ne voient que lui il est à la fois dans la direction des quatre points cardinaux, et à la tête de toutes les bandes, et derrière les flammes de tous les incendies signalés à l'horizon. Il est vrai que la rapidité habituelle de ses mouvements avait accrédité l'opinion que ni le temps ni la distance ne comptaient pour lui. C'est au point que, depuis qu'il posséda le comté de Ribadeo, par ses apparitions fréquentes en Galice même au plus fort des opérations qu'il dirigeait en France, il devint pour les Basques un personnage proverbial. En Navarre et en Biscaye on disait de ces gens qui sont toujours par voie et par chemin et qu'on ne sait où saisir : « Il est comme Rodrigue de Villandrando, ici aujourd'hui, demain là1.»

Cette fois cependant ce ne ne fut pas le cas. Rodrigue avait des lieutenants pour s'en servir, et sa grandeur lui imposait alors d'autres soins que celui de diriger des razzias.

prouve qu'ils eurent lieu au contraire, et qu'ils votèrent l'impôt de la manière accoutumée. La tenue de l'assemblée et la question qu'on y traita ressortent d'ailleurs assez clairement du voyage d'un courrier député à Béziers par les consuls de Nîmes, au commencement de mars, « per saver novelas de las gens d'arinas de Rodiguo et de mons. de Foix ». Rodrigue, ǝinsi que le comte de Foix, étant alors très éloignés de Réziers, ce qu'on pouvait apprendre sur leur compte, dans cette ville, n'était que les décisions prises à leur égard, ou les nouvelles que les États recevaient d'eux. Rodrigo de Villandran egun emen eta biar an». Esteban Garibay, auteur contemporain de Philippe II, nous a conservé ce dicton, encore usité de son temps. Jose Maria de Eguren, Revista europea du 9 août 1876.

1 «

La chose dont il paraît s'être surtout occupé en ce temps-là fut d'augmenter le nombre de ses alliances et de resserrer davantage celles qu'il avait contractées déjà.

On le voit, sous l'obligation des serments les plus solennels, s'attacher d'amitié (et de ce genre d'amitié qui entraînait l'assistance des armes) avec le vicomte de Turenne, alors le plus puissant seigneur du Limousin1. Le cardinal espagnol don Alfonse Carillo ayant été porté au gouvernement d'Avignon, il entretient une correspondance active avec ce prélat, qui s'était rendu son obligé en lui empruntant de l'argent'. Il est en échange de lettres et de messages avec la cour de Castille, avec le sire de la Trémoille, avec la plupart des barons de la France méridionale, et surtout avec la famille de Bourbon, où il poursuit une affaire de première importance pour lui, et qui est sur le point d'aboutir celle de son établissement.

L'origine des relations de Rodrigue avec les princes de Bourbon a été indiquée précédemment. La connaissance commencée en 1422 était devenue une liaison intime, grâce à des circonstances qu'il faut savoir.

Le duc Jean Ier, chef de la famille, fut fait prisonnier à la bataille d'Azincourt, et taxé pour sa rançon à une somme d'argent si considérable que, depuis dix-huit ans qu'on cherchait à la compléter, on n'y était pas encore parvenu; et l'on n'y parvint jamais. Huit jeunes enfants, tant légitimes que naturels, que cette captivité

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xix.

2 La somme considérable de 2000 ducats. Pièces justificatives, no xi.

avait rendus orphelins, s'élevèrent comme ils purent sous le gouvernement des femmes. Charles, l'aîné, qui portait le titre de comte de Clermont, dut, à sa sortie de tutelle, prendre en main l'administration du duché, Dieu sait au milieu de quels embarras. On était au plus fort de la guerre civile compliquée de la guerre étrangère. Dans les moments de répit où le Bourbonnais n'avait pas besoin d'être défendu contre les Bourguignons ou contre les Savoisiens, il fallait se rendre aux armées du roi, et de toute façon les frais de la guerre retombaient sur une malheureuse petite province qui, en temps de paix, rendait à peine de quoi faire subsister ses seigneurs.

Le prince qui se trouvait en face de ces difficultés jugea bonne à cultiver l'amitié d'un condottiere comme Rodrigue. Il comptait par là disposer à son gré d'une force militaire respectable, pour le payement de laquelle il aurait l'avantage d'obtenir des facilités. Le castillan, reçu dans les châteaux du duc, y fut l'objet d'attentions d'autant plus marquées, qu'il répondit pleinement à ce qu'on avait attendu de lui. Peu à peu il se familiarisa et prit de l'ascendant dans la maison. Il trouva dans l'un des bâtards, qui s'appelait Gui, un homme né pour la guerre il lui donna un commandement dans ses compagnies. Un autre, qu'on avait fait chanoine à Beaujeu, ayant abjuré la profession ecclésiastique, il le prit également à son école, ne prévoyant pas où ses leçons le conduiraient. C'est cet Alexandre de Bourbon dont la mémoire a été perpétuée jusqu'ici à Bar-surAube par un monument érigé sur le milieu du pont,

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à l'endroit d'où il fut précipité dans la rivière et noyé ordre de Charles VII.

par

l'on

La famille comptait en outre deux bâtardes. La beauté ou le blason de l'une d'elles, qui s'appelait Marguerite, firent songer à Rodrigue qu'il n'avait pas à chercher mieux que cette personne pour faire une comtesse de Ribadeo. Il fit part de sa prétention, qui ne fut pas repoussée. L'unique difficulté fut de trouver ce que détacherait du domaine ducal pour constituer une dot à la jeune fille. Soit qu'on ait jugé à propos de se passer du consentement du père, qu'il aurait fallu envoyer chercher à Londres, soit que le duc consulté eût fait savoir qu'il se remettait de tout à son fils aîné, le comte de Clermont fut seul en nom dans toute la conduite de cette affaire.

Le 24 mai 1433, il présenta à l'enregistrement de la chancellerie de Cusset les conventions arrêtées en

tre Rodrigue de Villandrando et lui pour l'établissement de sa sœur naturelle'. La dot se composait de la seigneurie d'Ussel en Bourbonnais, avec un revenu garanti de mille livres, plus une somme une fois payée de deux mille écus pour le trousseau. Vu le mauvais état du château d'Ussel, celui de Châteldon fut provisoirement assigné comme demeure aux conjoints. De son côté, le futur versa une somme de huit mille écus d'or pour constituer le douaire de sa femme, et il prit sur lui l'engagement « d'enjouailler ladite demoiselle bien et deument, selon son estat, » c'est-à

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xxv.

dire de lui acheter les parures et bijoux séant à princesse du sang royal et femme de comte.

La cession d'Ussel, bien qu'Ussel eût le rang de ville fermée, était loin de constituer une fortune. Outre la demeure seigneuriale reconnue inhabitable, le revenu de la terre était si loin du compte que l'on avait fait, qu'une retouche du contrat en date du 2 août 1436 prouve que, durant les trois premières années de son mariage, Rodrigue ne put réaliser que trois cents livres sur les mille qui avaient été stipulées'. Mais, se trouvant déjà posséder une vingtaine de seigneuries en Bourbonnais, et gagnant assez pour enrichir sa femme, il mit au-dessus de l'avantage pécuniaire l'honneur de s'allier à la maison de France.

Son intention paraît avoir été d'abord de célébrer ses noces par une danse générale de ses bandes sur les terres du duc de Bourgogne.

Il avait à cœur de délivrer le Bourbonnais du voisinage d'un aventurier qui faisait mine de prendre dans le parti ennemi une situation analogue à celle que lui, Rodrigue, occupait dans le parti français. C'était aussi un espagnol, mais non pas un castillan. Les nôtres l'appelaient François l'Aragonais, ou, de son nom de famille plus ou moins fidèlement rendu, François Surienne. Les dispositions antifrançaises de la puissance sous laquelle il était né expliquent son hostilité contre tout ce qui tenait à la cause de Charles VII. Il porta pendant tout le temps des guerres la croix rouge, soit

1 Pièces justificatives, no XLI.

2 Hernando del Pulgar, ci-après, p. 209.

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