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dont le résultat valut le gain d'une bataille. Elle eut lieu le 10 août 1452, qui était un dimanche, jour décidément propice aux entreprises de notre capitaine.

Je ne sais si cela tint à sa présence et à ses conseils, mais les Français montrèrent dans toute cette campagne un esprit de conduite, voire même un talent de stratégie, dont ils n'étaient pas coutumiers.

La ville ravitaillée comme on vient de le voir, ils avisèrent d'en faire lever le siège, non point en attaquant les Anglais dans leur camp qui était plus grand que Lagny même1, ni en tentant le sort d'une bataille que le duc de Bedford leur envoya offrir à plusieurs reprises, mais seulement par une démonstration habilement exécutée. Pour cela ils allèrent chercher un passage sur la Marne, aux environs de la Ferté, et remontèrent quelque temps la rive droite, comme s'ils avaient dessein de s'enfoncer dans la Champagne; puis, par un brusque changement de direction, ils se rabattirent sur la France qu'ils coururent jusqu'à Mitry. Dans la crainte qu'eut Bedford de voir Paris attaqué, il y emmena précipitamment toutes ses troupes, laissant devant Lagny camp, artillerie et provisions. On pense

1 « A l'autre bout, en l'abbaye, il avoit fait faire ung pare fossoyé tout autour, plus grant que toute ladicte ville de Lagny. » Jean Chartier.

2 Monstrelet, 1. c. C'est à tort que les mss. et les éditions portent Vitry en France. Il n'y a jamais eu de Vitry ainsi surnommé; la correction Mitry est indiquée par toutes les circonstances du récit.

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« Furent si près prins, qu'ils laissièrent leurs canons et leurs viandes toutes prestes à mangier, et si grant foison de queues de vin, dont on avoit si grant disette à Paris, et de pain par cas pareil, dont le blé à Paris enchery telement, car le sextier monta le sabmedy ensievant de seize solz parisis. » Journal de Paris, ad ann. 1432.

bien que les assiégés ne laissèrent pas à toutes ces choses abandonnées par l'ennemi le temps de se gâter à l'air. Mille bras se mirent à l'œuvre pour transporter le matériel dans la ville et pour détruire les travaux d'investissement. La perte fut de plus de cent cinquante mille saluts, au dire des Parisiens que cet échec exaspéra contre le gouvernement anglais. Rodrigue et les autres capitaines voulurent avoir leur part d'un si riche butin. Ils se la firent donner quelques semaines après, étant revenus pour mettre à Lagny un renfort de garnison.

Si la campagne était finie pour le roi, elle ne l'était pas pour M. de la Trémoille, qui n'estimait les victoires qu'autant qu'il y trouvait son profit, Par ses conseils ou au moins avec son autorisation, le comte de Ribadeo, à son retour de Lagny, se jeta en belligérant sur la province d'Anjou. Yolande d'Aragon, belle-mère du roi, et Charles d'Anjou, son fils puîné, gouvernaient alors ce pays en l'absence de Louis d'Anjou, appelé en Italie comme héritier présomptif de la couronne de Naples. Le castillan réclamait de la princesse et de son fils on ne sait quelle créance, dont il venait, disait-il, pour se payer sur les sujets du duché, si ses débiteurs ne le satisfaisaient pas dans le plus bref délai2.

1

L'intérêt de la Trémoille, dans cette affaire, était de

« Lequel siège, gens ad ce congnoissans affermoient que bien avoit cousté plus de cent cinquante mil salus d'or, dont la pièce valoit vingt deux s. p. bonne monnoie. » Journal de Paris.

2 Guillaume Tringant, Commentaire sur le Jouvencel, § 11. Ms. de l'Arsenal, III, Sciences et arts, n° 233, signalé par M. Camille Favre, de Genève. Voy. Positions des thèses soutenues par les élèves de l'École des chartes, de la promotion 1870-1872.

susciter à Charles d'Anjou des embarras qui l'obligeassent de s'éloigner de la cour, parce qu'il voyait ce prince s'insinuer dans la confiance de Charles VII d'une manière alarmante pour son propre crédit. Mais, malgré tout ce qu'on fit pour l'épouvanter et en dépit des lettres provocantes du comte de Ribadeo, Charles d'Anjou ne quitta pas la place. Il comptait assez de bras à son service pour être sûr que ce qu'il y avait à faire se ferait sans lui. Son espoir reposait principalement sur Jean de Beuil, ami devoué de sa maison et de sa personne, qu'il avait appelé à son aide à la première annonce du danger.

La noblesse du pays fut convoquée. Dès qu'on eut de quoi former une compagnie, Jean de Beuil demanda l'honneur de la conduire à une entreprise contre Rodrigue de Villandrando, qui s'était établi dans un camp très-fort, en avant des Ponts-de-Cé.

Jean de Beuil était un jeune homme de grande espérance, qui ne respirait que la guerre, et qui en savait plus long sur ce point que bien des vieux capitaines aussi s'était-il formé à l'école de La Hire. On eut confiance en lui, et on le laissa se mettre en campagne avec cent lances, contre le castillan qui en avait six cents 1.

Parti de la Touraine, il sut dissimuler sa marche jusqu'à Angers, et lorsqu'il fut dans cette ville, il députa son poursuivant d'armes au camp des Ponts-de-Cé pour intimer à Rodrigue l'ordre de se retirer dans les

1 Guillaume Tringant, Commentaire sur le Jouvencel.

vingt-quatre heures, lui offrant sauf-conduit pour exécuter sa retraite à l'abri de toute agression'.

Comme ce fut là une pure bravade, de l'inutilité de laquelle il ne put pas douter, il semblera qu'il aurait mieux fait de s'en abstenir et de tenter la surprise du camp, sans donner ainsi l'éveil à son adversaire. Mais en guerre il y avait de ces formalités chevaleresques auxquelles n'auraient manqué pour rien au monde les moins scrupuleux à violer toutes les lois divines et humaines, une fois que les hostilités étaient déclarées.

La sommation de Jean de Beuil fit sourire le comte de Ribadeo. Il répondit qu'il soumettrait l'affaire à son conseil pour en délibérer dans la quinzaine. Cela dit, il fit sonner le boute-selle, s'attendant bien à ce que l'ennemi ne tarderait pas à paraître.

gens

Effectivement, Jean de Beuil suivit de près son émissaire. Comme il avait appris que les compagnies de Rodrigue laissaient à désirer sous le rapport des de trait, il s'était pourvu de trois cents arbalétriers d'élite. Lorsqu'il fut devant le camp, il vit des cavaliers en masse, remplissant une large rue dont une forte barricade de charrettes défendait l'accès. Il fit mettre pied à terre à une partie de ses hommes-d'armes, donnant aux autres, qui restèrent à cheval, l'ordre de tournoyer autour du camp, comme s'ils cherchaient à exécuter une seconde attaque. Prenant lui-même le commandement de ses cavaliers démontés et de ses arbalétriers, il les conduisit délibérement à la barricade.

Jean de Beuil, Le Jouvencel. Voy. ci-après, Pièces justificatives,

no* xv et XVI.

La situation des hommes-d'armes de Rodrigue fut la mème que celle de la cavalerie du prince d'Orange dans le bois d'Anthon. Agglomérés en masse profonde, les coudes serrés et la lance sur la cuisse, ils furent mis en désarroi par leurs chevaux qui ruèrent sous l'atteinte des traits. Avant que le capitaine eût avisé à un autre mouvement, la barricade fut franchie et les premiers rangs, qui seuls avaient la possibilité de combattre, furent enfoncés par l'impétuosité des assaillants. Plusieurs des combattants d'élite qui tenaient la tête des routiers, entre autres un Villandrando, frère de Rodrigue1, tombèrent percés de coups, et pendant cette mêlée les gens de trait eurent le temps de se jeter sur le bagage et d'y faire du butin. Comme cela ne pouvait pas être de longue durée, le jeune capitaine donna à temps le signal de la retraite, et sa troupe, joyeuse et fière du coup qu'elle avait fait, s'éloigna plus vite que pas, comme elle était venue.

le

Cette action fit du bruit en son temps, et la « détrousse des Ponts-de-Cé » fut l'une des prouesses qui défrayèrent les conversations des bivouacs'. Jean de Beuil en a fait entrer le récit dans son roman militaire

1

Ignoré de Pellizer, ce frère de Rodrigue ne nous est connu que par le témoignage de Guillaume Tringant.

2 De ce qu'elle est rapportée incidemment à l'an 1438 par Jean Chartier, Bourdigné l'a mise à cette même date dans ses Chroniques d'Anjou (t. II, p. 187 de la nouvelle édition), erreur que ce compilateur a augmentée d'une autre bien plus grave en ajoutant que : « le vaillant capitaine destroussé par Jean de Bueil tenoit le parti des Anglois. » L'extrait des Comptes de la ville de Tours rapporté ci-après, Pièces justificatives, no xvii, établit d'une manière irréfragable la date de l'affaire des Ponts-de-Cé.

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