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tard d'Orléans, le sire de Gaucourt, le maréchal de Rais et l'aîné Xaintrailles'. Il s'agissait d'aller affronter, dans son camp défendu par dix mille hommes, le duc de Bedford, c'est-à-dire la science militaire personnifiée, l'homme dont le talent seul prolongeait la durée de la domination anglaise sur le continent.

Ce grand capitaine faisait alors assiéger, lui présent, la ville de Lagny, où une garnison française s'était maintenue depuis le temps de la Pucelle. Les assiégés, travaillés depuis six mois et manquant de vivres, allaient se rendre. Il fallait à tout prix leur faire parvenir les moyens de prolonger leur résistance, si l'on ne voulait pas voir se relever Paris, le Paris anglobourguignon, que l'occupation de Lagny tenait en dé

tresse.

Rodrigue ne vint pas au rendez-vous qui lui avait été assigné sans laisser çà et là des traces de son passage. Un contemporain prétend qu'il menait cinq mille combattants à sa suite. Un de ses détachements, traversant Pontlevoy, mit à rançon l'abbé du lieu après l'avoir dévalisé. C'étaient là peccadilles de routiers, sur lesquelles on ferma les yeux en considération de l'excellente avant-garde que ces hommes allaient fournir à l'expédition.

1 Monstrelet, 1. II, ch. cxxi (t. V de l'édition Douët d'Arcq).

2

« Le bastart d'Orléans en la compaignie de pluiseurs capitaines.... avec six mille combattans, et Rodigue de Villendras qui avoit aussi bien dessoubz lui en sa compaignie cinq mille combattans. » Chronique des Pays-Bas, de France, d'Angleterre et de Tournay, dans le Recueil des chroniques de Flandre, publié par M. de Smet, t. III, p. 418.

5 Ci-après, Pièces justificatives, no xiv.

La Seine passée à Melun, les capitaines s'avancèrent vers Lagny.

Lorsqu'on marche dans cette direction, on arrive tout près de Lagny sans l'apercevoir, parce qu'on a devant soi un coteau au revers duquel la ville est adossée. Mais ce coteau ne se prolonge qu'à un quart de lieue sur la gauche, de sorte qu'il laisse ouverte la prairie de la Marne, et c'est par là qu'on tourne pour gagner la ville, après avoir traversé un ruisseau qui va du coteau à la rivière. Si le camp des Anglais eût été établi sur ce point, le ravitaillement de Lagny était impossible; mais le duc de Bedford, s'attendant à être attaqué par la Champagne plutôt que par la Brie, s'était posté en amont dans la direction opposée. Ce fut une première erreur de calcul, qui fut suivie d'une seconde en ce que le duc jugea qu'il aurait à soutenir une bataille, et qu'il prit toutes ses dispositions en conséquence.

Le plan des Français était d'éviter la bataille, tout en feignant de la vouloir livrer. Ayant passé la nuit dans le village de Gouverne, à la source du ruisseau dont on a parlé tout à l'heure (on l'appelle à cause de cela le Ru de Gouverne), ils se partagèrent dès le lever du soleil en trois corps, dont deux devaient menacer le camp anglais, tandis que le troisième, composé des routiers sous le commandement de Rodrigue, se lancerait dans la prairie de la Marne pour introduire dans la place, par une porte qui était là, un convoi de vivres

et de munitions.

A peine ce mouvement eut-il été aperçu du duc de Bedford, qu'il forma aussi son armée en trois corps

dont chacun s'avança à la défense des points menacés. L'avantage du nombre n'était pas du côté des Anglais, à cause des hommes laissés pour la garde du camp et des lignes du siège: aussi le duc avait-il résolu de n'en venir à une action générale qu'autant qu'elle serait engagée par l'ennemi. Il commandait une partie de la chevalerie qui allait faire face à ce que nous pouvons appeler les réguliers français; le capitaine détaché sur la droite, afin de barrer le passage au castillan, fut l'ancien instituteur de celui-ci, le maréchal anglo-bourguignon Villiers de l'Isle-Adam 1.

Est-ce une combinaison fortuite, est-ce une provocation comme on s'en faisait alors à la veille des batailles, qui mit ainsi en présence le maître et le disciple? Les chroniqueurs n'en disent rien, mais ce qu'ils laissent voir très clairement, c'est que l'action décisive de la journée se passa entre ces deux capitaines, tandis que sur les autres points il n'y eut que des feintes ou des escarmouches.

L'engagement commença sur le Ru de Gouverne. Là le combat fut une mêlée opiniâtre. Longtemps on vit les deux partis gagner, perdre, ressaisir la rive opposée, et cela, tous les deux à la fois, ondoyant l'un sur l'autre, reculant ici, avançant là. Enfin l'effort des routiers l'emporta; les Anglais, culbutés et dispersés, leur abandonnèrent la possession de la prairie, où Rodrigue refit bien vite son corps de bataille pour courir aux lignes des assiégeants et les traverser; car cette partie de la besogne restait à faire.

Monstrelet, 1. II, ch. cxxi (t. V, p. 34).

Pendant le combat qui venait d'avoir lieu, les Anglais postés devant la ville avaient pris l'offensive contre les assiégés, et s'étaient emparés d'une forte redoute établie devant la porte par où devaient entrer les Français. L'étendard d'Angleterre, arboré sur ce point', portait au loin l'annonce d'un succès qui aurait été de grande conséquence, si la division du comte de Ribadeo eût été repoussée. Au contraire, par suite de la tournure qu'avaient prise les choses, les vainqueurs de la redoute furent écrasés entre les gens de Lagny, qui firent irruption par derrière, tandis que les routiers pressaient en face'. La position perdue fut reconquise par les Français, le terrain nettoyé et rendu libre pour la marche du convoi.

Mais le transport ne se fit pas si rapidement que le duc de Bedford n'eût le temps d'accourir avec une partie des hommes ralliés de l'Isle-Adam et d'autres pelotons retirés de la garde des retranchements. Il parut lorsque les charrettes, accumulées à la tête du pont-levis, prenaient le passage l'une après l'autre, difficilement, lentement.

Faire volte-face, conduire la moitié de son monde à l'ennemi, jeter l'autre moitié dans un ouvrage de terre que venaient d'abandonner les assiégeants, tels furent les mouvements que Rodrigue conçut et exécuta avec une merveilleuse promptitude. Alors commença un troisième engagement, plus meurtrier que les deux autres et plus pénible à cause de l'intensité de la cha

1 Journal de Paris, ad ann. 1432.

2 Jean Chartier, t. I, p. 145.

leur1; car on était au milieu de la journée, et d'une journée d'août. La plupart des hommes-d'armes ayant mis pied à terre, on s'était abordé sur un espace très étroit, à travers les ouvrages du siège, et de part et d'autre on se tenait main à main, la pointe de l'épée sur la gorge. Heureusement pour les Français, ils curent ce retranchement occupé par eux, qui leur servit pour reprendre haleine. Leurs chefs les y envoyèrent dix par dix, vingt par vingt, faire chacun à leur tour une pause de quelques instants, si bien que les premiers rangs ne cessèrent pas d'être tenus par des hommes rafraîchis et dispos3. Les Anglais, qui n'eurent pas la même ressource, s'épuisèrent sans gagner un pouce de terrain. Plusieurs tombèrent morts comme d'apoplexie, étouffés sous leur armure par la presse par le chaud. Enfin le duc de Bedford, qui était sanguin et replet, se sentant lui-même très incommodé, donna le signal de la retraite3. On vit bientôt toutes les divisions anglaises à la fois se ramasser et reculer avec la plus fière contenance dans la direction de leur camp. On ne commit pas l'imprudence de les attaquer. Lorsque toutes les voitures du convoi furent entrées dans la ville, Rodrigue rejoignit le reste de l'armée, et l'on alla coucher au village de Gouverne. On s'était battu depuis huit heures du matin jusqu'à quatre heures du soir".

et

Telle fut l'action du ravitaillement de Lagny, action

1 Monstrelet, ch. cxxi (t. V p. 34).

2 Jean Chartier, t. I, p. 145.

Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXIII.

4 Chronique des Pays-Bas, etc., publiée par M. de Smet, 1. c.

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