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Besgue fut Villiers sous Néaufle-le-Châtel)', bercé avec le récit des exploits de son grand-oncle et induit de bonne heure à espérer que la fortune ne lui serait pas moins propice en France qu'elle ne l'avait été à Pierre Le Besgue en Espagne, lorsqu'il fut d'âge à voler de ses propres ailes, il se dirigea résolûment de ce côté-ci des Pyrénées

Il arriva lorsque s'annonçait la division fomentée par la rivalité des deux maisons d'Orléans et de Bourgogne, à la veille d'une guerre civile où il allait d'abord trouver de l'emploi.

S'il est le même qu'un certain Rodigo, que l'on trouve inscrit sur les rôles d'un corps d'armée répandu dans le Rouergue en 1412 et 1413', il faut admettre qu'il fit ses premières armes sous le fameux Bernard d'Armagnac, lequel avait formé lui-même ce corps d'armée pour s'en servir contre les commissaires du roi en Languedoc3. Il y a lieu toutefois d'hésiter sur l'identification, attendu que d'autres Espagnols du nom de Rodrigue servirent la France en ce temps-là (on en aura la preuve par la suite de ce récit), attendu aussi que notre Rodrigue ne figure jamais sans son nom de famille dans les documents administratifs qui le concernent.

Un témoignage plus positif que le précédent, et qui pourrait à la rigueur se concilier avec lui, nous repré

1 Lettre de rémission communiquée par M. Siméon Luce, JJ 139, n° 104, aux Archives nationales.

2 Archives de l'Aveyron, C. 1345, f. 122, vo, et C. 1369, f. 3, v. Communication de M. Paul Durrieu.

5 Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. III, p. 430.

sente Rodrigue de Villandrando introduit de bonne heure auprès d'un capitaine redouté, qui était en même temps l'un des puissants seigneurs du pays d'origine des Villaines. C'est ce Villiers de l'Isle-Adam1, de sinistre mémoire, à qui il était réservé de conduire l'entreprise nocturne par laquelle Paris fut définitivement livré aux Bourguignons. Mais, lorsque notre jeune castillan s'attacha à lui, on était encore éloigné de ce dénouement funeste. L'Isle-Adam, comme tant d'autres gentilshommes, n'eut point d'abord d'opinion arrêtée. Il prit les armes dans l'intention de servir le roi, et changea volontiers de parti, suivant que les chefs de l'un ou de l'autre parvenaient à confisquer la personne de Charles VI. Mais, à la troisième ou quatrième évolution qu'il voulut faire, il fut repoussé par le comte d'Armagnac'. Alors il devint l'implacable bourguignon que nous ont fait connaître les chroniques.

Par les termes dont s'est servi Hernando del Pulgar pour retracer les débuts de Rodrigue, le représentant comme un ouvrier qu'un patient apprentissage aurait conduit au plein exercice de sa profession3, il faut entendre que le jeune castillan servit d'abord en qualité de page sous le capitaine, quel qu'il fut, qui l'avait premièrement accueilli, et que ce n'est qu'après avoir passé

1 Chronique récemment publiée par M. Kervyn de Lettenhove, sous le titre de Livre des trahisons de la France contre la noble maison de Bourgogne, volume de la grande collection des documents inédits belges, intitulé Chroniques relatives à l'histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne, p. 162.

2 Jean Jouvenel des Ursins, Chronique, ad ann. 1417.

3

« Moço y despues hombre mancebo, etc. » Voy. Pièces justificatives, n° 1.

par les divers degrés de la domesticité militaire qu'il prit rang comme homme-d'armes dans une compagnie.

Personne n'ignore que les compagnies furent les corps de troupes dont se composaient alors les armées; mais, la composition de ces corps eux-mêmes étant moins généralement connue, quelques explications sur ce point sont nécessaires pour l'intelligence de ce qui suivra.

Il n'y avait rien de réglé, même approximativement, quant à l'effectif des compagnies. Cette expression a désigné indistinctement ce qui serait pour nous une brigade, un régiment, un escadron, voire même une compagnie dans la rigueur du terme. Mais, quel qu'ait été le nombre des hommes, pour toutes les compagnies l'organisation fut la même. Elles étaient formées de combattants à cheval, auxquels s'ajoutaient d'ordinaire un tiers ou un quart de fantassins. Ceux-ci maniaient l'arc ou l'arbalète, l'arbalète de préférence à l'arc dans les compagnies françaises. Les cavaliers étaient de deux sortes : les uns appelés hommes-d'armes, parce qu'ils étaient armés de pied en cap; les autres, moins bien montés et plus légèrement équipés, étaient tenus pour les servants ou satellites des premiers. Chaque hommed'armes en menait deux, trois, quatre à sa suite, selon ses facultés. Maîtres et servants, groupés ensemble, constituaient autant d'unités désignées sous le nom de lances, parce que la lance, une longue lance de quatorze pieds, était l'instrument distinctif de l'hommed'armes. Celui-ci représentait le chevalier des anciens temps, et même, dans plus d'un esprit, persistait l'opinion qu'on ne pouvait pas être un homme-d'armes ac

compli, à moins qu'on ne fût chevalier. Mais, en dépit du préjugé, le plus grand nombre des lances étaient tenues dans les compagnies par des écuyers ou soidisant tels, et il n'était pas rare de voir de ces écuyers commander à des hommes-d'armes chevaliers.

Les compagnies n'étaient pas permanentes. Elles étaient formées pour le besoin du moment, celles-ci avec de la noblesse, d'après le principe que la noblesse devait le service militaire en cas d'agression de la puissance dont elle relevait; celles-là, en plus grand nombre, avec des mercenaires de toutes les provinces du royaume, et même de tous les pays étrangers.

En temps de guerre, surtout lorsque la guerre se prolongeait, beaucoup de ces corps de mercenaires n'attendaient point qu'on les formât. Ils se formaient d'eux-mêmes et se soumettaient à des chefs de leur choix, ou qui s'étaient imposés à eux par leur énergie. Les engagements contractés ne mettaient pas le sort de tous les hommes à la merci d'un seul. On le voit par les attributions administratives des capitaines dans les armées royales. Quoiqu'ils se fussent loués eux et leur compagnie, ils ne disposaient point de la solde du corps entier. Ils étaient payés seulement pour eux, leur porteétendard, leur trompette et une petite escouade placée sous leur commandement direct. Les sommes allouées aux autres étaient touchées par des officiers subalternes ou chefs de chambre, qui avaient à leur charge les hommes-d'armes de leur chambrée; et chaque hommed'armes, à son tour, avait à la sienne son escorte de suivants.

L'effectif des chambrées ne fut pas moins variable que celui du corps entier. Telle se composait de cinq à dix hommes, telle de douze à quinze, telle de vingt.

Les gens de pied étaient administrés à part, d'une façon analogue. Lorsqu'ils étaient en nombre suffisant, ils avaient à leur tête un capitaine subordonné au capitaine de la compagnie. Leurs officiers subalternes s'appelaient connétables'.

La compagnie de l'Isle-Adam fut, dès les premières prises d'armes, employée dans l'Orléanais et en Picardie; puis elle alla au secours d'Harfleur assiégé par les Anglais. Rendue maîtresse de Paris sans coup férir, pendant la nuit du 29 mai 1418, mais bientôt. après surprise à son tour par un corps d'armée armagnac, elle eut à soutenir dans les rues une bataille sanglante dont l'avantage lui resta. Elle fut cantonnée ensuite à Pontoise et lieux circonvoisins, d'où elle se livra pendant un an à une guerre d'extermination. Enfin, ayant perdu Pontoise, elle suivit à la réduction de la France centrale son capitaine, que les événements avaient élevé à la dignité de maréchal du royaume.

C'est dans ces campagnes que Villandrando établit sa réputation de hardi combattant par son étude à bien faire et à rechercher les actions d'éclat. Il était toujours le premier à se proposer pour les postes dangereux el les commissions difficiles. Plus d'une fois, lorsqu'on était en présence dans l'attente de la bataille et qu'un champion du parti ennemi venait devant les rangs

1 Tous ces détails sont extraits de la volumineuse collection des Titres scellés, aux manuscrits de la Bibliothèque nationale.

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