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Ces doctrines, propagées dans les montagnes du Forez et du Velay, aboutirent à un éclat d'une violence extrême. L'historien De la Mure a mentionné cette perturbation sans en dire autre chose, sinon qu'elle fut l'ouvrage « de bandits qui étaient de la secte dont il est parlé au troisième tome des Conciles, lesquels, soutenant qu'il ne devait point y avoir d'inégalité de condition parmi les hommes, s'attaquaient aux gens d'église et aux nobles, assaillaient les chasteaux et maisons fortes, et y faisaient des hostilités épouvantables1. »

Le même écrivain ajoute que ces insurgés furent taillés en pièces par la noblesse forésienne. On peut hardiment donner pour auxiliaires aux nobles de Forez ceux du Bourbonnais et les routiers de Rodrigue, c'està dire toute l'armée réunie à Charlieu, laquelle fut empêchée par cet incident de servir à l'objet en vue duquel elle avait été formée. Outre la levée d'un impôt extraordinaire dont le capitaine espagnol eut sa part3, un autre indice que les routiers contribuèrent à la repression est dans ce fait que, vers ce temps-là, ils se transportèrent, en remontant la Loire, jusqu'à la limite du Forez et du Velay.

↑ Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, 1. III, c. XVI (t. II, p. 147).

2 « Notice des sommes payées à Georges Boix, à Rodrigo, au comte de Clermont, à Guichard de Marzé seigneur de Greysieu, et autres, sur les impôts levés en Forez au mois de septembre 1431 et au mois de juin 1432. » Lecoy de la Marche, Titres de la maison ducale de Bourbon, t. II, p. 249. La pièce est au registre P 14022 des Archives nationales, cote 1328, et l'article qui concerne Rodrigue est ainsi conçu : « Item de l'impost, et le doublet, et commissions par nous faictes de la somme de vij treizé escus pour Rodigo, ou moys de novembre l'an dessusdit mil cccc xxxj. »

Sur une sinuosité du fleuve qui séparait autrefois les deux provinces, comme elle sépare encore aujourd'hui les deux départements de Loire et Haute-Loire, se présente en amphithéâtre le pittoresque village d'Aurec. L'église est des plus anciennes de la contrée. On y voyait autrefois, plantée dans l'un des battants de la porte, une bossette en cuivre doré, au sujet de laquelle se débitait un conte qui doit trouver sa place ici, car Rodrigue en est le héros.

Ce seigneur espagnol, disait-on, étant venu à Aurec, entra dans l'église sans daigner mettre pied à terre. Il ne descendit de cheval que lorsqu'il fut au sanctuaire, et là, pour mettre le comble à son insolence sacrilège, il attacha sa monture après une statue de saint Pierre, qui décorait l'autel. Le châtiment ne se fit pas attendre. Le cheval entra en fureur et commença à faire de tels sauts, que son maître remonta dessus pour en venir à bout. Mais il n'y eut bride ni frein qui tinssent. L'animal s'élança de pleine course jusque dans la Loire, où il noya son cavalier. Le corps de Rodrigue fut repêché à Cornillon en Forez. Quant au cheval, il sortit du fleuve sain et sauf, et la bossette de son mors fut consacrée dans l'église d'Aurec en mémoire du jugement de Dieu, dont il avait été l'éxécuteur1.

L'histoire n'a rien à démêler dans cette légende, si ce n'est l'expression d'un sentiment populaire qui n'est pas en faveur de la piété de notre capitaine. Sa destinée n'était pas de périr noyé, ni de payer si chère

De la Mure, Histoire des ducs de Bourbon, t. II, p. 147.

ment une irrévérence, lui à qui il fut permis de commettre impunément, pendant une trentaine d'années qu'il séjourna dans notre pays, tous les excès imaginables.

Des actes nous ont conservé la mémoire d'une dévastation commise auprès de Montbrison, qui semble bien se rapporter encore au soulèvement du Forez.

Une montagne isolée, appelée à cause de sa configuration Saint-Romain le Puy, se présentait avec un triple étage de fortifications au sommet un redoutable château protégeant un prieuré de bénédictins, au milieu une enveloppe de murailles élevées pour la défense du bourg, tandis qu'au bas une autre muraille circonscrivait une première enceinte ou basse-cour, qui était en temps de guerre le refuge des habitants de la campagne.

Dans un moment où cette basse-cour était pleine de fugitifs, les gens-d'armes de Rodrigue fondirent dessus. Ils dispersèrent les hommes, firent proie des provisions et du bétail, et laissèrent les lieux dans un état de délabrement que d'autres compagnies, venues après eux, changèrent en destruction complète. La relation n'ajoute rien de plus, sinon que la population rurale, qui commençait à reparaître en 1433, demanda pour sa sécurité le rétablissement du refuge de Saint-Romain 1.

C'est au cours de ces obscures opérations, le 7 mars 1451, que notre capitaine reçut enfin la concession en règle de la seigneurie de Puzignan 2. L'acte

1 Pièces justificatives, no xxx. 2 Pièces justificatives, no vi.

royal qui consacra ses droits sur cette propriété ne dit rien du don qui lui en avait été fait, ou du moins qui avait été proposé pour lui, par les États du Dauphiné. La chose est présentée comme une faveur venant de l'initiative du prince. Les us monarchiques voulaient qu'il en fût ainsi. Peut-être même auraient-ils exigé que la motion des députés dauphinois fût regardée comme non avenue; mais en temps de calamité on passe pardessus les principes. Il est permis de croire que Rodrigue de Villandrando, très-irrégulièrement remboursé de ses frais de guerre, criait famine, et qu'afin de lui faire prendre patience on lui lâcha d'abord ce morceau qu'il avait le droit de réclamer comme sien. Bientôt, sur sa menace de mettre le Languedoc au pillage (menace à laquelle il donna un commencement d'exécution l'invasion du Rouergue1), on lui procura un supplément de quatre mille écus qui lui furent alloués par la province. Enfin on prit le parti de l'envoyer contre les Anglais de la Guienne, afin de leur reprendre les châteaux de Saint-Exuperi et de Charlus, d'où ils désolaient le Limousin3. La suite des événements donne

à

par

penser qu'à cette mission en fut ajoutée une autre, qui consistait à faire payer cher son passage à des seigneurs dont avait à se plaindre le ministre omnipotent. Il faut savoir que M. de la Trémoille revendiquait en ce temps-là la succession du comté d'Auvergne,

1 Pièces justificatives, n° vill.

2 Jolibois, Inventaire sommaire des archives communales d'Albi, p. 42, à la date du 20 août 1431.

5 Inventaire manuscrit des Archives communales d'Ussel rédigé en 1749. Communication de M. Paul Huot.

qu'il prétendait lui être échue du chef de sa défunte femme, Jeanne de Boulogne.

Rodrigue prit le chemin de la Basse-Auvergne au temps de la récolte, qui était la bonne saison pour les routiers. Il menait avec lui ses associés Andrelin et Chapelle, ayant renvoyé Valette dans les Cévennes. Aux environs de Montpensier, il fait exécuter une battue générale, et tous les gens de la campagne qu'on lui arrête, il les emmène en captivité. Alors la province s'émeut. Jean de Langeac, sénéchal d'Auvergne, lui envoie des propositions d'accommodement, puis vient le trouver lui-même avec un banquier de Clermont pour fixer à l'amiable le chiffre du patis. Les villes joignent leurs soumissions aux politesses du sénéchal. Elles envoient des présents pour se recommander, généreuses à tout prix, même jusqu'à commettre des violences afin de se procurer plus vite les objets qu'elles destinent au terrible capitaine. On trouve que les consuls d'Ambert lui offrirent un cheval qu'ils avaient pris de force au bailli d'Alègre1.

En vertu d'une délibération prise par les États d'Auvergne en 1430, la province, de concert avec celles de Bourbonnais, Beaujolais et Forez, avait créé pour la défense commune un comité de cinq personnes, qui devaient avoir le maniement d'un fonds spécial destiné à entretenir un contingent fixe d'hommes-d'armes et de fantassins. On était convenu que l'argent serait conservé avec toutes les précautions d'usage en ce temps-là, c'est-à-dire mis dans un coffre fermé de cinq serrures 1 Pièces justificatives, n' x.

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