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leur donneroit'. » En effet des hommes habitués comme ceux-là à rechercher le péril en plein air n'étaient pas propres à faire faction dans les antichambres, et ils savaient trop bien prendre pour s'abaisser au rôle de quémandeurs.

Un point reste obscur. Rodrigue, si pcu rémunéré de ses services, si fermement résolu à ne jamais échanger le séjour de son camp contre celui de la cour, Rodrigue ne laissa pas cependant que de mettre sa personne et son épée au service de M. de La Trémoille. Il se lia avec ce seigneur comme s'il lui eût été redevable de beaucoup, et même au risque de compromettre l'amitié que lui avait témoignée jusque-là le comte de Pardiac. Quel peut avoir été le motif de cet attachement? je l'ignore, mais j'en vois très-bien la conséquence, qui fut l'impunité assurée aux routiers pour tous les désordres auxquels ils se livrèrent tant que M. de la Trémoille resta au pouvoir.

Rodrigue, en vertu du titre dont il venait d'être décoré, fut incorporé de nouveau dans l'armée royale. On le chargea, conjointement avec Imbert de Groslée, de la défense de la frontière bourbonnaise. Depuis le mois de septembre 1430, ils ne cessèrent de courir en avant de leurs lignes, faisant tout le mal possible aux Bourguignons du Charolais et du Mâconnais. Leurs ravages s'exercèrent principalement sur les terres de l'abbaye de Cluny, qui furent soumises au régime de l'occupation armée par la prise de Mazille, Pierre-Clos, Bois

1 Analyse du Jouvencel, par M. P. Paris, Les manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, t. III, p. 136.

Sainte-Marie et Sancenay. Le pays était gagné, si les capitaines avaient pu s'emparer de Cluny et de Paray-leMonial; mais ils tentèrent sans succès le siège de ces deux villes1.

Bientôt ils furent forcés de se tenir strictement sur la défensive, par l'arrivée d'un puissant renfort envoyé de Dijon sous la conduite du vicomte d'Avallon et du prince d'Orange, le vaincu d'Anthon, à qui le duc Philippe voulut procurer l'occasion de racheter sa défaite. Pour seconder ces deux grands seigneurs, un troisième capitaine, supérieur par le talent, fut appelé de la Charité-sur-Loire, qu'il tenait contre les Français depuis le commencement de la guerre. Il est célèbre dans les chroniques sous le nom de Perrinet Grasset. Son véritable nom fut Gressart. Il était maçon de son état3; les événements le rendirent homme de guerre. En 1431 il portait le titre d'écuyer et de panetier de la maison de Bourgogne. Il fit de Montcenis son centre d'opérations pour la défense de Charolais*.

Rodrigue, retranché de l'autre côté de la Loire, sut protéger à distance les places dont on s'était emparé,

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., pp. 200, 304, 308; Garnier, Inventaire sommaire des archives de la Côte-d'Or, t. II, p. 5.

2 Quatrième compte de Mahieu Regnault, parmi les comptes de la maison de Bourgogne, aux Archives de la Côte-d'Or, fol. 114, verso; Marcel Canat, Documents inédits, etc., pp. 304, 309, 312.

3 Chronique des Cordeliers, ms. fr. n. 23018 à la Biblioth. nation., fol. 446, v°, ad ann. 1423: « En ce temps fu prinse La Charité sur Loire par subtiveté et sans deffense par ung nommé Perrinet Crasset, machon et capitaine de gens d'armes de la partie des Bourguignons. »

4 Cinquième compte de Mahieu Regnault, fol. 99, aux Archives de la Côte-d'Or. Le titre de panetier du duc de Bourgogne lui était déjà attribué en 1428. Cf. Lecoy de la Marche, Titres de la maison ducale de Bourbon, t. II, p. 238.

et par de fausses démonstrations tenir les Bourguignons en échec pendant plus de six mois. L'un de ses stratagèmes fut de faire croire à une jonction concertée entre lui et Barbasan, qui guerroyait alors en Champagne pour le duc de Bar, allié du roi de France. L'ennemi fut longtemps paralysé par la surveillance à laquelle cette feinte l'obligea 1. A la fin, un hardi coup de main exécuté au profit du parti bourguignon ayant contraint notre capitaine à diviser aussi ses forces, l'avantage conservé jusque-là fut perdu.

On n'a pas oublié ce Varambon, qui paya si cher l'échauffourée du prince d'Orange. Dès qu'il fut rendu à la liberté, il ne songea qu'à réparer son désastre par la première belle prise qui se présenterait à faire.

Nous avons dit qu'il avait été ruiné par l'acquittement de sa rançon. Il l'était au point qu'on manquait de tout dans son château de Varambon, et que sa fille, qui vivait à l'abandon dans cette résidence, n'avait pas de quoi s'habiller pour sortir 2.

Le duc Philippe lui ayant confié d'abord la défense de Mâcon, il se comporta dans cette ville en vrai chef

1 << A Martin Lourdain, le viij jour dud. mois de décembre, la somme de six frans pour aller, lui vingtiesme de hommes d'armes, sur les marches de la rivière de Loire, où l'en disoit estre Rodigue et autres ennemis à grant compaignie pour venir devers le dit Barbasan. » Des commissions semblables furent données depuis le 19 novembre 1430, sans que Rodrigue soit spécifié parmi les ennemis qui les motivaient, mais avec l'indication que Barbasan assiégeait alors le château de Chappes. Quatrième compte de Mahieu Regnault, fol 140 et 143, vo.

2

« Dépense du bailli de Bresse, qui était allé en armes avec quelques chevaliers à Varambon pour y prendre la fille de Varambon et la conduire à sa grand-mère, Aynarde de la Baume. Cette commission ne put être exécutée, parce que la jeune fille fut trouvée dépourvue de vêtemens et presque nue. » Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. III, p. 85.

de routiers. On l'en retira sur la plainte des habitants1. C'est alors qu'il prépara, on dit avec l'approbation du gouvernement anglais, le coup qui devait lui rendre, à son calcul, l'équivalent de ce qu'il avait perdu.

Ayant ses propriétés en Bresse, il connaissait l'état

dù pays des Dombes, dépendance de la couronne ducale de Bourbon, mais dépendance défavorablement placée à cause de son isolement sur la rive gauche de la Saône. Sans tenir compte de la paix qui s'était rétablie entre le duc de Bourbon et le duc de Savoie, lui, vassal de la Savoie, mais plus bourguignon que bressan, il trouva légitime de porter la guerre dans les Dombes. En conséquence, il réunit une armée de pillards qu'il amena sous les murs de Trévoux dans la nuit du 18 mars 1451. La ville, où l'on ne s'altendait à rien de pareil, fut prise par escalade. Le vainqueur, après l'avoir livrée au pillage, s'y établit fortement, bien qu'il n'eût pas pu s'emparer du château 2. Le prince Charles de Bourbon n'eut pas assez de sa noblesse pour le chasser de là. Il lui fallut l'assistance d'une partie des routiers. Il en résulta que, pendant qu'on recouvrait Trévoux, on fut obligé d'évacuer les places conquises du Mâconnais et du Charolais. Dans toute cette région il ne serait pas resté aux Français un seul pouce de terrain, si quelques-uns, au cours de la retraite, n'eussent trouvé l'occasion de se saisir de Mar

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., p. 202-204.

2 Aubret, Mémoires pour servir à l'histoire de Dombes, t. III, p. 535; Costa de Beauregard, Souvenirs du règne d'Amédée VIII, p. 79, et les pièces justificatives du même ouvrage, p. 228 et 233.

5 Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. III, p. 85.

cigny et d'y mettre une garnison que tous les efforts des Bourguignons ne parvinrent point à déloger.

À la suite de ces revers il fut question d'un retour offensif. L'armée bourbonnaise était à Charlieu au mois d'avril 1431 avec les bandes de Rodrigue et de Valette au grand complet, avec six chariots d'artillerie'. On s'attendait à la voir entrer en campagne, et déjà Ferinoso, poursuivant d'armes du castillan, était allé porter le défi de son maître au prince d'Orange et à Varambon, lorsque le Forez fut bouleversé explosion de communisme.

par une

Avoir à contribution sur contribution, et pour payer si peu de résultat, lorsque tant de privilégiés échappaient aux charges dont le pauvre monde était écrasé, avait exaspéré les populations d'entre la Loire et le Rhône. Une fermentation dangereuse s'était manifestée dès le temps de la mort du feu roi. A plusieurs reprises, pendant les dix dernières années, la force publique dut être employée, autour de Lyon, à disperser des rassemblements excités par des prédicateurs de robe courte, qui remontraient que la malédiction prononcée contre Adam avait atteint tous les hommes, sans exception de nobles ni de clercs; que chacun était tenu de gagner son pain à la sueur de son front; qu'il ne fallait plus de seigneurs, et qu'un seul prêtre suffirait pour le service de chaque paroisse3.

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., pp. 308, 316; Garnier, Inventaire sommaire, t. II, p. 5.

2 Marcel Canat, Documents inédits, etc., p. 315.

5 Pierre de Saint-Julien de Baleurre, De l'origine des Bourgongnons, p. 476; Lettre d'Imbert de Groslée au conseil de ville de Lyon (8 juin 1422), aux Archives communales de Lyon, AA, 82.

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