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cemment découverte de la duchesse au cardinal de

Winchester1.

Après la bataille, les capitaines se séparèrent pour aller, chacun de son côté, réduire les places où l'ennemi avait compté trouver ses points d'appui. Rodrigue prit sa direction du côté de Lyon, comme s'il se proposait de porter la guerre en Bresse'. Il laissait dire dans son camp qu'il avait mission de punir le duc de Savoie de sa connivence avec le prince d'Orange, et tous les rapports des espions bressans représentaient l'irruption des routiers comme imminente. Mais le capitaine n'avait en vue que de déjouer un dessein qu'on attribuait au mème duc de Savoie sur Belleville en Beaujolais, propriété de la maison de Bourbon que le duc de Bourgogne, qui en avait l'hommage, aurait vue volontiers passer en d'autres mains. La démonstration fut complétée par l'occupation de Belleville, où Valette alla se loger avec sa compagnie.

Lorsqu'il n'y eut plus d'inquiétude à avoir d'aucun côté, les capitaines se réunirent de nouveau pour fondre sur la principauté d'Orange, retournant contre le prince le fléau de l'invasion qu'il avait voulu faire tomber sur les pays du roi. Aussi bien lui avait-on entendu dire plus d'une fois qu'il regarderait Orange comme perdue, si on lui enlevait Anthon; et le sire de Gaucourt n'eut rien de plus pressé que de lui prouver qu'il avait prophétisé juste. L'armée, grossie du mar

1 Pièces justificatives, no v.

2 Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. III, p. 84. - Processus super insultu, ch. xxxv.

quis de Saluces, du vicomte de Tallard, du seigneur de Grignan, et de maints autres voisins qui avaient de vieilles dettes à se faire payer, arriva sans obstacle au bourg de Saint-Florent sous Orange1.

Cette position fut enlevée dès le premier jour par escalade, et le siége posé sur six points à la fois autour de la ville.

La ruine colossale du théâtre romain, qui émerveille tous ceux qui la voient pour la première fois, formait alors le noyau d'une citadelle imposante. Flanquée de tours sur tout son circuit, elle gagnait par des ouvrages avancés le sommet du mont contre lequel elle s'appuie. On l'appelait Gloriette, et Gloriette possédait tous les genres de défense dont un château féodal fût susceptible au moyen âge. A sa force réelle s'ajoutait le prestige des souvenirs, ou plutôt des récits fabuleux vulgarisés par les romans. C'est là qu'on plaçait le séjour de Guibour l'enchanteresse, une espèce d'Armide convertie à la foi chrétienne, qui avait aidé Guillaume au Court-Nez à s'emparer furtivement d'Orange, pour en partager la possession avec lui. Pendant une absence du héros, Guibour, avec les dames de la ville, avait tenu en échec devant les murs les armées de trente rois Sarrasins.

Sans s'inquiéter de ce que disait la chanson:

Elle ne doute de France tot l'empire,

Ne la prandrez à nul jor de vo vie2,

1 Joseph de la Pise, Tableau de l'histoire des princes et de la principauté d'Orange, p. 122.

2 Junkbloet, Guillaume d'Orange, chanson de geste, t. I, v. 1764. !!

les vainqueurs d'Anthon investirent à la fois le château et la ville.

Pour défendre l'un et l'autre il n'y avait ni magicienne, ni paladins. Lorsque les habitants d'Orange virent l'ennemi de tous les côtés, ils se prirent à réfléchir que leur seigneur était bien loin, que les passages lui étaient fermés pour venir jusqu'à eux, enfin qu'il valait mieux crier vive le roi ! que subir l'assaut de ces Français, qui gâteraient la ville, s'ils la prenaient de force, tandis que, reçus sans résistance, ils ne séjourneraient guère, et par leur retraite laisseraient à la population la liberté de se retourner comme elle voudrait. En conséquence, il y eut soumission et de la ville et du château (3 juillet 1450).

Les vainqueurs firent leur entrée aux acclamations de la foule, ne trouvant sur leur trajet que des visages avenants. Lorsqu'on fut arrivé à la grande salle du château, Gaucourt entouré des capitaines, comme un Charlemagne au milieu de ses pairs, se donna le plaisir d'instituer de nouveaux fonctionnaires et de recevoir les serments au nom de roi. Jonquières, Gigondas, Courthezon, et toute la principauté jusqu'au territoire du pape, se soumirent à l'exemple de la capitale.

Cette conquête fut un résultat brillant, mais peu durable, de la défaite du prince d'Orange. Aussi n'en parla-t-on guère en France; mais au contraire, la bataille d'Anthon, qui avait sauvé la couronne delphinale, fut l'objet de tous les discours, et pour plusieurs une consolation de la perte de Jeanne d'Arc; car il est à noter que la Pucelle fut prise devant Compiègne le

jour même que les routiers s'éloignèrent d'Annonay pour prendre le chemin du Dauphiné. On sut partout la part considérable que Rodrigue de Villandrando avait eue dans la victoire; quelques-uns allèrent même jusqu'à lui en attribuer tout l'honneur 1. Son nom, depuis cette journée, fut familier à tous les Français.

Par une distinction rare pour l'époque, il reçut le témoignage public de la reconnaissance de la province. Un vote des États du Dauphiné lui adjugea la propriété du château et de la châtellenie de Puzignan, confisqués pour forfaiture sur Alice de Varax. C'est cette dame en effet qui avait ouvert le château aux orangistes sur qui Rodrigue eut à le reconquérir 3.

On ne peut pas douter que Charles VII n'ait accueilli avec une satisfaction extrême la nouvelle de la victoire remportée par ses armes. Une autre personne qui ne dut pas moins s'en réjouir fut le seigneur de la Trémoille.

Investi d'un pouvoir de plus en plus absolu sur la direction de toutes les affaires, ce favori portait lourdement la responsabilité d'une suite de revers essuyés depuis qu'il avait mis Jeanne d'Arc à l'écart, de sorte que la défaite du prince d'Orange, quoiqu'il n'y eût

1 Ms. 23018 de la Bibliothèque nationale cité ci-dessus, p. 46. La chronique de Metz, publiée par Don Calmet, dit également : « En celle année fu vaincus le princeps d'Orange par Rodigo, ung capitaine de France. »> Histoire de Lorraine, t. II, pr. col. 207.

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La plassa et terra de Pusignac en el Dalfiné, que le fu ballea et dounaa per les trois Estatz du Dalfinea et confirmea per le roy et le daulphin. » Ci-après, pièce n° LXXXIV.

3 Ci-après, Pièces justificatives, no vi.

contribué en rien, lui servit à justifier sa politique. Il sut même y puiser l'audace et la force de se débarrasser, par un coup d'État, de plusieurs familiers du roi qui lui portaient ombrage1. Un service de cette importance rendu au monarque et à son ministre semblait appeler une récompense peu commune. Cependant on ne voit pas que Rodrigue de Villandrando, après la victoire d'Anthon, ait reçu autre chose que le titre d'écuyer de

l'écurie du roi.

L'usage était d'accorder cette dignité aux débutants dans la carrière militaire, que le gouvernement avait l'intention de s'attacher. Elle était de très-petit rapport. Elle avait pour plus clair avantage de donner entrée à la cour. Or la cour n'était pas un lieu que notre capitaine eût l'envie de fréquenter. Il n'entendait pas briguer par des courbettes ou par des intrigues les faveurs que ses prouesses ne lui rapporteraient pas d'emblée. Il était de l'école du vieux compagnon que Jean de Beuil a mis en scène dans son roman du Jouvencel. A un adolescent qui lui demande s'il ne ferait pas bien de commencer sa carrière par un voyage en cour, le vétéran répond : « Ha! voulez-vous jà aller faire la beste! Ha! beau sire, puisque vous avez voulenté d'estre homme de guerre, ne vous vault-il pas mieux d'estre monté et armé à vostre adventure pour la guerre, que d'aller à la court prier le roy ne faire l'ennuyeux après les seigneurs, despendant vostre argent et perdant temps, comme font plusieurs qui ne sçauroient vivre, qui ne

1 Arrestation et mise en jugement d'Antoine de Vivonne, André de Beaumont et Louis d'Amboise, au mois d'août 1430.

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