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de la province, qui étaient à la veille de se réunir, puis, muni d'une bonne somme d'argent, il s'éloigna en compagnie du sénéchal de Lyon. Ils n'avaient dit à personne où ils se proposaient d'aller, et, pour ne pas attirer les regards, ils avaient poussé la précaution jusqu'à se dépouiller de leurs armes1. Mis comme des gens qui partaient en promenade, ils prirent sans être remarqués le chemin d'Annonay.

Rodrigue de Villandrando et plusieurs de ses subordonnés, Valette entre autres, tenaient pour le moment leurs quartiers autour de cette ville. Il s'agissait de les enrôler pour la défense du Dauphiné. Les offres du gouverneur furent trouvées acceptables, puisque les bandes ne tardèrent pas à s'ébranler pour descendre dans la vallée du Rhône. Elles traversèrent le pont de Vienne dans la nuit du 26 mai 1430 et furent menées tout d'une traite devant Auberive, possession du prince d'Orange à deux lieues de là. La garnison logée dans cette place avait déjà commencé les hostilités; on ne s'aventurait plus aux alentours sans risquer d'être capturé et mis à rançon. Plus de trente personnes notables du pays, victimes de ce genre de violence, altendaient dans les prisons du château que leurs familles eussent réuni de quoi les racheter.

L'attaque fut d'une vigueur extrême. En quelques heures les routiers emportèrent le bourg, puis la première cour du château, puis la seconde; mais le donjon, tenu par une centaine d'hommes qui s'y étaient

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« Secrete et sine armis ». Processus super insultu.

retranchés, résista pendant deux jours. Pour amener ces gens à se rendre, il fallut commencer la démolition de la tour à coups de canon.

Quand on sut dans le pays la prise du château, il vint des ouvriers en foule pour travailler à la démolition de ce dangereux repaire. Il n'en serait pas resté une seule pierre debout, sans un ordre du gouverneur qui enjoignit d'épargner quelques pans de murs, afin de perpétuer le souvenir de la félonie du prince.

Cependant les États réunis à La Côte Saint-André décrétaient toutes les mesures de salut public dictées par la circonstance. Ce qu'on avait pu rassembler de troupes, joint aux compagnies de Rodrigue et de Valette, fut dirigé du côté où l'on s'attendait à voir paraître l'ennemi. L'armée enleva, chemin faisant, les châteaux d'Azieu et de Puzignan, où il y avait garnison d'orangistes. Elle s'arrêta devant le Colombier, qui ne voulut pas se rendre sans avoir eu l'honneur de subir un siège. C'est alors seulement que le prince d'Orange, qui s'était avancé par la Bresse, se trouva en mesure d'entrer en Dauphiné. Il passa le Rhône au bac d'Anthon dans la journée du 9 juin 1430.

Anthon est situé sur la rive gauche du Rhône en face du confluent de l'Ain. La berge dauphinoise, peu élevée en cet endroit, forme le premier gradin d'un massif montueux et boisé qui s'étend en longueur du nord au midi. Du côté de l'ouest, c'est la plate plaine jusqu'à Lyon, sauf une arête étroite qui se détache du massif et qui finit bientôt en un promontoire couronné par le château de Puzignan. A une lieue derrière cette

arête, sur le versant du massif, on voit le Colombier.

Reçu en grande révérence dans le château d'Anthon, le prince d'Orange, dès le lendemain de son arrivée, y tint cour plénière comme dauphin de Viennois, et à ce titre, il partagea entre ses fidèles les offices de la province. A ceux qui n'eurent rien dans cette distribution il promit monts et merveilles. II parla de la présence des Français devant le Colombier comme du prélude d'un triomphe certain pour ses armes. L'extermination du ramas d'aventuriers que lui opposait le sire de Gaucourt serait d'autant plus facile, qu'ils auraient à se défendre du côté de la place qu'ils assiégeaient. L'important était de se hâter. Dès le lendemain matin, quoique le lendemain fût un dimanche et la fête de la Trinité, on marcherait à la délivrance du Colombier.

En guerre on a beau proposer; le plus souvent c'est la fortune qui dispose. Il arriva que la garnison du Colombier se rendit dans la nuit du samedi à ce même dimanche, qui était le 11 juin, de sorte que les Français, libres sur leurs derrières, purent se préparer à recevoir avec toutes leurs forces l'armée qui venait les attaquer.

Pendant qu'on réglait l'ordre de bataille, Rodrigue demanda que la conduite de l'avant-garde lui fût confiée. Il savait que ce commandement appartenait de droit au maréchal de Dauphiné; mais il espérait qu'on voudrait bien pour cette fois déroger à l'usage, en considération de sa qualité d'étranger et de la composition des troupes qu'il avait amenées avec lui. C'étaient des hommes de tous pays, qu'il importait de ne

pas laisser un seul instant dans l'inaction. En les engageant tout d'abord, on n'aurait pas à craindre leurs écarts, et, si le malheur voulait qu'ils eussent le dessous, les Lombards et la chevalerie dauphinoise, qui formaient le reste de l'armée, pourraient, en se retirant à temps, conserver au pays le noyau d'une force nécessaire à son salut1.

Le maréchal de Dauphiné était Imbert de Groslée, qui se trouvait joindre cette dignité au commandement du Lyonnais. Il essaya vainement de défendre sa prérogative; le sire de Gaucourt décida, en vertu de son autorité de général en chef, qu'il serait fait selon le désir du capitaine espagnol. Rodrigue prit donc les devants et se mit en embuscade sur la lisière d'un bois qui, aujourd'hui encore, couvre presque tout le massif depuis Anthon jusqu'à une plaine creuse d'une lieue de large, en avant du Colombier.

L'ordre était que l'avant-garde s'appuierait sur les compagnies de Valette et d'un autre routier, composant la division de droite. Les Lombards, sous les ordres des deux capitaines piémontais Georges Boys et Borno de Caqueran, devaient se tenir à gauche et surveiller

Pro

1 Processus super insultu, et Thomassin, Registre delphinal. 2 « Vocatum Vallete et Petrum Churro, capitaneos ructarum ». cessus super insultu. Ce nom de Churro, qui a l'air espagnol, figure sous la forme française Churre au contrat de mariage de Rodrigue (ci-après, pièce xxv); c'est assurément le même qui a été lu Charre par M. Marcel Canat, dans une lettre du capitaine de Charolles, écrite au commencement de 1431, pour annoncer aux gens du conseil de Bourgogne, à Dijon, que ce Charre, en compagnie du bailli de Mâcon, de Rodrigue et de Valette, se préparait à envahir la Bourgogne. Documents inédits pour servir à l'histoire de Bourgogne, p. 315.

le charroi qui s'acheminait du côté d'Anthon, escorté d'un fort détachement d'infanterie. Le sire de Gaucourt et Imbert de Groslée prirent le commandement de la division du centre, où avait été mise la noblesse du pays. Ce corps se mit le dernier en marche pour occuper le milieu de la plaine.

L'armée ennemie, de son côté, s'avançait par le bois, croyant surprendre les Français. Le prince, détrompé par ses éclaireurs, dissimula son étonnement, et, afin de donner le change, envoya demander la bataille au gouverneur de Dauphiné.

Il allait, lui et les siens, déboucher dans la plaine, lorsque des traits volant de droite et de gauche l'avertirent que les fourrés entre lesquels on marchait n'étaient plus ceux d'une forêt déserte. Le trouble commença à se mettre dans les rangs par le fait des chevaux qui se cabraient quand ils étaient touchés. Rodrigue se présenta alors avec ses hommes-d'armes, la lance en arrêt. Le voilà poussant cette cavalerie qui se trouvait massée dans un chemin montant, entre deux rangées d'arbres qui valaient autant que des murailles. La position n'était pas tenable. Les orangistes rétrogradèrent pêle-mêle pour aller chercher d'autres issues, et c'est à la débandade qu'ils arrivèrent sur le champ de bataille, occupé déjà par l'ennemi'.

1 Je me conforme ici aux indications de Monstrelet, éclaircies par l'étude du terrain. Le témoignage du chroniqueur picard est que : « les Bourguignons venoient par mi ung bois, et ne se porrent bonnement du tout rassembler ne mettre en pleine ordonnance de bataille, pour ce que icculx François les envayrent soudainement et vigueureusement. » La chronique du ms. français, n° 23018, de la Bibliothèque nationale (fol.

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