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La ville finit par convenir que ce qu'elle avait de mieux à faire était de fournir de l'argent au sénéchal et de le laisser conduire les choses au plus grand avantage d'elle-même et du pays. On arrive toujours à s'entendre entre compagnons d'armes. L'accommodement eut lieu, et Rodrigue se retira sans laisser de lui une trop mauvaise impression. On le voit, à quelques années de là, placer des fonds chez un habitant de Lyon et correspondre avec l'Hôtel-de-Ville, pour le soin de ses affaires, dans les termes d'une bienveillance affectueuse. Mieux que cela nous avons le compte acquitté d'une livraison de confitures et de torches de cire, que la ville lui fit faire en présent.

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Il ne se comporta pas dans le Languedoc, après qu'il fut retourné, de façon à nouer des relations aussi agréables avec les consulats des villes. A Nîmes, à Uzès, à Alais, il était en horreur. Ces communes auraient volontiers payé sa tête au poids de l'or à celui qui la leur eût apportée.

Nous arrivons à la mémorable année 1429, qui fut marquée par l'apparition de Jeanne la Pucelle. La fièvre d'enthousiasme qui se répandit partout fit partir pour les armées de la Loire tous les méridionaux qui se sentaient le goût des aventures. Les compagnies ne demandaient qu'à en faire autant. Sans doute celle de Rodrigue et les autres de son alliance se disposaient à suivre le comte de Pardiac; mais ce seigneur, lorsqu'il s'était déjà avancé jusqu'à Beaugency, reçut l'ordre de

1 Pièces justificatives, no xxxIII. 2 Pièces justificatives, no xxvIII.

rétrograder. Sa place, lui fut-il dit, était à la frontière, du côté de Bordeaux. Mécontent et réduit d'ailleurs à de très faibles ressources, il abandonna à ellesmêmes les compagnies de routiers. Celles-ci alors se retournèrent du côté du Languedoc.

Le comte de Foix avait établi si bonne garde dans la province, qu'il n'était pas facile d'y pénétrer; mais la même politique, qui avait confiné le comte de Pardiac en Guienne, fut employée à faire sortir le comte de Foix du Languedoc. Il fut déclaré nécessaire que ce prince vînt avec ses meilleures troupes renforcer l'armée du roi, et, comme il ne s'y montrait pas disposé, on acheta par des faveurs son obéissance.

Son départ fut marqué par un incident qui prouva combien il avait eu raison de vouloir rester. Valette osa lui tendre une embûche au passage des Cévennes. Le comte en reçut l'avis lorsqu'il venait de se mettre en route, quittant à peine Montpellier. Aussitôt il fit doubler le pas à son escorte, et toujours au trot, jusqu'à faire dix-sept lieues en une seule nuit (on était en décembre), il se trouva le lendemain matin en présence des routiers qu'il investit dans leur camp. Un vigoureux assaut contre lequel ils ne purent pas tenir mit le plus grand nombre d'entre eux en son pouvoir. Valette était parmi les prisonniers. Aussi déconcerté qu'un loup pris au piège, il confessa toute la conduite

1 Guillaume Gruel, Chronique du connétable de Richemond, ad ann. 1429.

2 Monstrelet, 1. II, ch. LXIII (édit. Douët d'Arcq, t. IV, p. 336). 5 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 475.

de sa damnable entreprise. Son procès fut promptement expédié, sans écritures ni plaidoiries. Le surlendemain on le pendit à Nîmes 1.

Il arriva ce à quoi l'on devait s'attendre. Lorsque les compagnies furent assurées de l'éloignement du comte de Foix, elles se mirent de concert au ravage de la province, d'autant plus impitoyables qu'elles avaient à venger la défaite infligéc à l'une d'elles. Rodrigue se réserva le Gévaudan et le Velay, tandis qu'un second Valette, Guilhem Valette, prit le commandement des gensd'armes de son frère défunt, et les conduisit plus avant dans la plaine qu'ils n'étaient allés jusque-là. D'une place forte nommée Cabrières, dont il se rendit maître auprès de Pézenas, il fit rage autour de Pézenas d'abord, puis jusque sous les murs de Montpellier. C'était une contrée vierge de pillage, où il faisait si bon vivre, que deux autres capitaines de la même alliance, Oudinet de la Rivière et Archambault, vinrent se joindre à Valette et y trouvèrent leur profit*.

Cependant les habitants de Nîmes, menacés par des détachements du corps de Rodrigue, qu'on voyait à tout

1 Chronique béarnaise de Miguel del Verms, dans le Panthéon littéraire, volume intitulé: Chroniques et mémoires sur l'histoire de France au quatorzième siècle, p. 594.

2 Le Valette supplicié par l'ordre du comte de Foix avait pour prénom Jean, au témoignage des actes conservés dans les Archives de Nimes, dont Ménard a fait usage, Histoire de Nîmes, t. III, p. 152. Le volume CIX des Titres scellés de Clérambault, à la Bibliothèque nationale, contient plusieurs quittances des deux Valette servant comme écuyers chargés de commandements: l'un capitaine d'arbalétriers, l'autre chef de chambre dans la compagnie du vicomte de Narbonne. Guilhem y est toujours appelé Guillonnet, et l'autre, Forton.

- Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 476. 4 Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 152.

moment descendre sur Alais et sur Anduze, députaient au comte de Foix ambassade sur ambassade pour le presser de revenir. Le comte, qui au lieu d'ennemis à combattre n'avait trouvé en France que des intrigues à démêler, n'entendait pas perdre pour cela le fruit de sa campagne. Il ne bougea pas qu'il n'eût obtenu ce qu'il était allé chercher. Enfin il annonça son retour pour le temps de Pâques 1430, et les routiers, qui furent des premiers à en avoir la nouvelle, reprirent le chemin de la montagne pour gagner le Vivarais, où le castillan leur avait donné rendez-vous.

Là se présenta pour eux une affaire comme ils n'en faisaient pas souvent, une affaire où il y eut à gagner à la fois du butin et de la gloire1.

A la faveur des manœuvres qui avaient brusquement arrêté les succès de Jeanne d'Arc, manoeuvres dont tous les familiers de la cour de Bourgogne avaient le secret, le prince d'Orange, grand ami de Philippe le Bon et encore plus de son profit, forma le dessein de s'emparer du Dauphiné par un coup de main. Par l'acquisition de cette province, qui était comme le trait d'union entre sa principauté et d'immenses domaines qu'il possédait dans toute la longueur du mont Jura, il fût

1 Deux relations composées avec beaucoup de soin, l'une par feu Vallet de Viriville (Histoire de Charles VII, t. II, p. 257), l'autre par M. le marquis Costa de Beauregard (Souvenirs d'Amédée VIII, premier duc de Savoie, Chambéry, 1859), et la publication intégrale, par l'abbé Chevalier, de l'enquête sur l'agression d'Anthon, Processus super insultu guerre Anthonis (Bulletin de la Société de statistique de l'Isère, 3° série, t. VI, 1874), m'ont permis de rétablir dans tous ses détails cet épisode de la vie de Rodrigue, qui laissait trop à désirer dans ma première rédaction.

devenu l'un des potentats de l'occident. Malgré son hostilité déclarée contre la couronne de France, on avait eu l'indulgence, pour ne pas dire la faiblesse, de lui laisser prendre possession de plusieurs châteaux du Dauphiné, dont il se prétendait héritier. Il en profita pour mettre secrètement des garnisons partout et pour induire ses amis à le servir quand l'heure serait venue. En même temps, il attira le duc de Savoie dans son entreprise et, moyennant l'offre du Graisivaudan qu'il lui laissait à prendre sur sa future conquête, il obtint de lui la permission de faire dans ses États une levée

de trois cents lances.

Le complot ne fut pas tenu si secret que le sire de Gaucourt, gouverneur du Dauphiné, n'en apprît au moins le principal. Il informa le roi de ce qui se préparait, lui représentant combien la situation était périlleuse; car la chevalerie dauphinoise avait été exterminée à la bataille de Verneuil, et tout ce que lui, gouverneur, pouvait faire, était de réunir au restant de la noblesse du pays deux compagnies de Lombards dont Imbert de Groslée disposait comme sénéchal de Lyon. La réponse de Charles VII fut qu'il n'avait pas de troupes disponibles pour la défense d'un point si éloigné, et que le gouverneur n'avait qu'à faire de son mieux le salut du pays1.

pour

Dans cette extrémité Gaucourt, qui était un homme de résolution, eut bientôt fait de prendre son parti. Il contracta un emprunt sur l'impôt à voter par les États

1 Fragment du Registre delphinal de Thomassin, publié par Berriat Saint-Prix, dans sa Jeanne d'Arc, p. 321.

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