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du chef de la famille, bien que, d'après ce qu'on savait de son origine, rien ne justifiât cette qualité1. Comment expliquer que le grand seigneur dont le nom servait encore à rallier le parti français fît de ce nom la sauvegarde de tous les altentals commis contre la France?

C'est que le comte d'Armagnac touchait sa part des contributions de guerre levées par André de Ribes, et qu'en même temps, par les courses de ce partisan, il se donnait le plaisir de causer des insomnies au comte de Foix, son rival, qui venait d'être, de préférence à lui, gratifié du gouvernement du Languedoc. Sa perversité ne s'arrêta pas en si beau chemin. Afin d'extorquer la riche succession du maréchal de Séverac, qu'il savait dévolue à son frère Bernard, il séquestra ce vieux capitaine dans l'un de ses châteaux, et, après l'avoir contraint de changer ses dispositions en sa faveur, il le fit étrangler. Par ce crime, qu'il mit impudemment

1 Abolition accordée en 1449 au comte d'Armagnac, dans le registre JJ, 160, pièce 127 du Trésor des chartes, aux Archives nationales. Les griefs articulés dans cette pièce sont déjà énoncés dans un mémoire en béarnais, rédigé du vivant d'André de Ribes, qui existe aux Archives des Basses-Pyrénées, E, 246: « El (le comte d'Armagnac) a receubut dever si un capitani dels Angles nomnat Andrieu de Ribas, loqual, jassia que sia homme inconegut, e non sap hom propriament dont el es hyssit ni qui es, lo dich conte l'a volgut retenir per bastart de l'ostal d'Armanach, non sap hom per qual titol, e ayssi lo far tot de son hostal. Item al dich Andrieu, angles e de la hobediensa dels Angles, le conte a balhas et donatz en pur don los castels, locs e senhorias de Torno, de Fumel en Agenes, de Gordo en Querci,.... item lo loc de Corbarrieu,... item del castel de Combefa, item de Rieupeyros, etc. » L'abolition ajoute qu'André de Ribes s'était emparé de Châteauneuf de Randon.

2 Le P. Anselme, dans son Histoire généalogique de la maison de France, t. VI, p. 69, accuse à tort de ce crime le comte de Pardiac. Le comte d'Armagnac en est déclaré l'auteur dans un acte authentique de

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sur le compte de son frère, il déchaîna sur le Languedoc les compagnies que le maréchal de Séverac, l'un des grands condottieri de son temps, avait entretenues à sa solde.

Pendant qu'il s'employait à défendre contre elles la sénéchaussée de Nîmes', Jacques de Bourbon, beau-père du cadet d'Armagnac, jugea le moment propice pour délivrer de la présence d'André de Ribes ses propriétés de l'Albigeois; car Jacques de Bourbon était comte de Castres en même temps que de la Marche. Il se fit prêter par son gendre l'assistance de Rodrigue de Villandrando, et lança ce capitaine à la poursuite du routier anglais. Celui-ci fut atteint en rase campagne, battu et pris capture glorieuse qui fournit au vainqueur l'occasion de montrer une fois de plus sa loyauté; car, malgré les instances et les offres magnifiques du comte d'Armagnac, qui réclamait son cher bâtard afin de le punir, disait-il, Rodrigue le livra au comte de la Marche, par les soins de qui il fut sur-le-champ mis à mort 2.

Ce comte de la Marche, soit dit en passant, était le mari, mais mari fugitif, de la reine Jeanne de Naples : aussi lui donnait-on le titre de roi. Par un destin étrange, il goûta de la captivité sous toutes ses formes d'abord prisonnier des Turcs à la bataille de Nicopolis, puis des Armagnacs au commencement de la guerre civile,

1445, rapporté par Mathieu d'Escouchy, ch. vII de sa Chronique, d'après un original où le nom du maréchal Séverac avait été laissé en blanc (édit. de Beaucourt, t. I, p. 63).

1 Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 145.

2 Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. IV, p. 473.

puis de sa femme, des mains de qui il s'évada. En dernier lieu, il se confina dans un couvent de Besançon, où il finit ses jours.

Son cerveau n'était sain qu'à moitié, à en juger par les actes qui nous restent de lui. On en cite un, entre autres, qui est une donation au monastère de SaintAntoine en Viennois, pour qu'il y eût dans cette maison une cloche du poids de huit mille livres qui sonnerait tous les jours, pendant sa vie, autant de coups qu'il aurait d'années 1.

Il faut que dans le trésor de ce singulier monarque il n'y ait pas eu de quoi payer la campagne qui venait d'ètre faite à son profit, car presque aussitôt après Rodrigue affilia à sa compagnie deux des bandes ci-devant de Séverac qui s'étaient mises à vivre sur le Languedoc, et ce fut pour prendre la conduite de leurs opérations.

Jamais guerre de pillage ne fut menée avec un tel ensemble. Le nom du castillan, devenant inséparable de celui des deux chefs avec lesquels il avait fait société, résonna comme un glas incessant aux oreilles des populations Rodrigue, Valette, Andrelin! Ils avaient établi leur quartier général entre le mont Lozère et la chaîne du Vivarais. De là ils dirigèrent leurs courses tantôt au nord, à des distances considérables, tantôt dans la sénéchaussée de Nîmes ou dans celle de Carcassonne. La rapidité de leurs manœuvres est quel

Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 491.

2 Ménard, Histoire de Nimes, t. III, p. 148, et les Pièces justificatives du mème ouvrige, p. 223-227.

que chose de surprenant. A la fin de septembre 1428, le comte de Foix recevait à l'autre extrémité du Languedoc la nouvelle de leurs ravages autour du Puy; un mois après, nous voyons l'Hôtel-de-Ville de Lyon délibérant sur le moyen de les éloigner de la marche beaujolaise envahie par eux, et en novembre, ils occupaient les routes entre Avignon et Nîmes'.

Les registres consulaires de Lyon nous apprennent quelle fut l'attitude de la ville en leur présence'.

Lorsque l'on commença à entrer en arrangement avec eux, ils étaient postés sous les murs d'Anse, s'étendant en amont dans toute la vallée de l'Azergue. Au rapport d'un gentilhomme qui s'était fait leur intermédiaire officieux, ils étaient prêts à se retirer, pourvu qu'on leur payât la modique somme de quatre cents écus d'or. Le Corps de ville en délibéra le 16 octobre. L'archevêque et le clergé étaient prêts à contribuer pour une bonne partie des quatre cents écus, et la majorité tenait le marché pour avantageux, lorsque la conclusion fut entravée par trois ou quatre des conseillers, qui représentèrent qu'on allait entrer dans une voie déplorable; que jamais leur cité n'avait souscrit à de semblables accords et que, si l'on commençait une fois, la servitude n'aurait plus de fin; les routiers congédiés de la sorte ne tarderaient pas à revenir, ou d'autres à leur place. On se sépara sans avoir rien résolu.

Les compagnies, ne recevant pas de réponse, appatissèrent les villages entre Chazey et Bibost. Après plus

Ménard, Ilistoire de Nimcs, t. III, p. 149.

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d'une semaine écoulée, on leur envoya dire que les leurs capitaines

quatre cents écus étaient prêts, et que les recevraient aussitôt qu'ils se seraient engagés à battre en retraite.

A cela les capitaines répondirent que ce n'était plus quatre cents écus qu'il leur fallait, mais huit cents, et que, jusqu'à parfait payement de la somme, ils continueraient à faire contribuer le pays, n'entendant pas d'ailleurs que l'argent qu'ils avaient déjà levé comptât dans les huit cents écus.

Ces paroles rapportées à l'Hôtel-de-Ville de Lyon mirent les conseillers en grande indignation. Il n'y eut qu'une voix pour dire qu'il valait mieux recourir au parti de la résistance; qu'avec huit cents écus d'or on se procurerait une compagnie de cent hommes-d'armes, laquelle, secondée par les milices du pays, suffirait bien pour donner la chasse à un ramas de bandits. La seule difficulté était de se procurer vite de l'argent : on y parviendrait par des emprunts.

Cependant le lendemain il fallut reconnaître que les prêts ne se feraient pas avec autant de promptitude qu'on se l'était figuré. On parla alors de mettre en campagne la noblesse du pays, en attendant qu'on cût de quoi solder des hommes-d'armes; mais le capitaine qui avait accepté de conduire des hommes-d'armes contre les routiers refusa d'y conduire des gentilshommes sans expérience de la guerre. Ce capitaine était le sénéchal de Lyon, Imbert de Groslée, que nous avons vu servir sous le même commandement que Rodrigue en 1422.

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