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en effet qu'il donna tant d'accroissement à l'effectif de sa compagnie et que, sa renommée appelant sous sa bannière autant d'hommes qu'il en voulait, il lui fut possible de maintenir cette compagnie sur le pied d'un corps d'armée imposant, malgré les pertes qu'il avait à réparer sans cesse.

Il ne faudrait pas attribuer le succès de Rodrigue seulement à son audace et à son bonheur. Au dire de son biographe il possédait au suprême degré les qualités et les talents nécessaires pour le métier qu'il avait choisi juste, d'une sévérité inflexible, fidèle observateur de sa parole, par-dessus tout cela, général vigilant et bon tacticien. Il ne souffrait dans son camp ni querelle, ni violence, ni pillerie. Si quelque excès de ce genre lui était dénoncé, il faisait venir le coupable et le tuait de sa propre main. Impossible avec lui que le partage du butin amenât des discordes, parce que rien n'appartenait à personne, qu'il n'eût entendu les rapports de ses lieutenants. Jusque-là toutes les prises de la journée étaient tenues en réserve, pour être ensuite distribuées à chacun selon son mérite. Avait-il donné sauf-conduit à quelqu'un ou passé contrat avec une ville, malheur à celui des siens qui l'enfreignait; car, à moins de fuir, le coupable était pendu sans rémission.

Mais ce capitaine, qui comptait pour si peu la vie d'un homme lorsqu'il s'agissait de maintenir la discipline, en revanche, il était tout soin, tout étude pour le bien-être de sa compagnie. Il voyait sans cesse l'état des vivres, du fourrage, de l'équipement, et, s'il y

manquait quelque chose, il ne dormait pas qu'il n'y

eût été pourvu.

Avant un engagement, toutes les mesures avaient été prises pour qu'il rapportât le plus et coûtât le moins possible. Nul ne savait mieux dresser une embûche, ni asseoir un camp, ni trouver le point faible pour attaquer, le côté fort pour se défendre. Attentif, calculateur, impassible jusqu'au signal du combat. L'affaire engagée, il se jetait au milieu de l'ennemi avec une fureur aveugle, si plein d'assurance en son impétuosité, qu'il avait coutume de dire: « Il n'est résistance qui vaille contre la tête d'un Espagnol en colère. »

J'emprunte tous ces traits à Hernando del Pulgar. Leur assemblage sent un peu le panégyque, et il y a grande apparence que, sous la plume d'un Français, l'éloge eût été plus mesuré; mais personne, assurément, en France ni ailleurs, n'aurait contesté les droits du routier espagnol au renom d'un vaillant et savant capitaine.

Le héraut d'armes Berry, que sa profession tint altaché aux armées pendant toute la première moitié du quinzième siècle, affirme, dans sa chronique, que les Français avaient oublié le métier de la guerre pendant les années pacifiques du règne de Charles VI, el qu'ils ne le rapprirent qu'au milieu des alertes où ils furent tenus si longtemps par les Anglais. Quelques

1 << Or doibt l'on sçavoir que le mestier des armes se doibl apprendre; car quant les Anglois vindrent et entrèrent en France, les François ne sçavoient presque riens de la guerre; mais par longuement apprendre,

hommes, guidés par leurs dispositions naturelles, restaurèrent les principes et furent les instituteurs de leur génération. Rodrigue de Villandrando a sa place marquée parmi eux.

Un autre côté par où il eut l'avantage sur la plupart des hommes de guerre de son temps fut l'instruction. Le sort ne l'avait pas fait naître en vain dans une ville d'université. Lui et ses frères furent mis aux écoles de Valladolid. L'un de ses puînés, appelé Pierre de Corral, du nom de leur mère, composa un livre d'histoire'; lui-même sut écrire en espagnol et en français. Sa signature nous a été conservée au bas de plusieurs actes; elle est élégante et dénote une main assurée. Sur une lettre que possèdent les Archives communales de Lyon, elle est accompagnée de quelques mots dont l'écriture est meilleure que celle du scribe qui a tracé le reste. Rodrigue, homme de loisir, aurait pu tenir sa correspondance et administrer ses affaires sans le secours de personne; mais Rodrigue, capitaine, et plus tard grand seigneur, fut obligé d'entretenir à son service des secrétaires, un trésorier, un maître des comptes, enfin tout le personnel d'une maison bien ordonnée.

ils sont devenuz maistres à leurs dépens, et à la fin ont deffaict les Anglois. » Dans Godefroy, Histoire de Charles VI, p. 437.

:

1 C'est Çurita qui nous apprend que Pierre de Corral était frère de Rodrigue « un hermano suyo que se llamava Pedro de Corral. » Anales de la corona de Aragon, 1. XIII, c. LXXI. Fernan Perez de Guzman parle d'ailleurs avec peu de considération de cet écrivain: «< Como en estos nuestros tiempos hizo un liviano y presuncioso hombre, llamado Pedro de Corral, en una que llamó Coronica Serracina, que mas propriamente se puede llamar trufa o mentira paladina. » Generaciones, semblanzas e obras de D. Enrique III y D. Juan el II, etc., cap. I.

2 Pièces justificatives, n° xxx, et le fac-similé ci-contre.

Il est temps de reprendre le fil des événements.

On était au déclin de l'année 1427. Toute la région de l'ouest, depuis les possessions anglaises de la Guienne jusqu'à la Loire, était plongée dans le désordre précurseur d'une guerre civile; car le sort de cette malheureuse France, si amoindrie, si cruellement maltraitée par l'ennemi sur tout son pourtour, était de voir à tout moment ses défenseurs armés les uns contre les autres.

Présentement, un parti à la tête duquel figuraient le connétable de France, les princes de Bourbon et le comte de Pardiac, poussait à outrance le seigneur de La Trémoille, ministre en faveur, qui prétendait gouverner sans rendre compte à personne, et qui s'était prémuni contre les attaques de ses adversaires en remplissant de routiers à sa dévotion la plupart des forteresses du Poitou. Les mécontents ne s'étaient pas fait plus de scrupule de retirer les compagnies de devant l'ennemi pour se préparer à la lutte. On s'observait des deux côtés, et, le cas échéant, on escarmouchait. Là est l'explication d'une aventure qui nous remet sur la trace de Villandrando, en nous le montrant campé autour de Ruffec, sur la route de Poitiers à Angoulême.

Deux hommes-d'armes espagnols de sa compagnie rencontrèrent, en battant l'estrade, un gentilhomme et son page qui leur semblèrent suspects. Il se trouva que c'était un Du Plessis, qui était capitaine pour le roi du château d'Angle en Poitou. Il allait, disait-il, visiter une de ses terres en Angoumois. Les autres jugèrent probablement qu'il allait en commission pour

M. de la Trémoille: ils le déclarèrent de bonne prise et le mirent à rançon. La somme était forte. Le prisonnier en paya une partie et demanda à être relâché pour aller recueillir le reste; mais, lorsqu'il fut libre, il porta plainte au roi, le suppliant d'interposer son autorité pour lui faire rendre ce qu'il avait déjà soldé. Charles VII en effet décerna un ordre de restitution, dont un poursuivant d'armes porta la signification à Rodrigue de Villandrando 1.

Cependant les choses allaient au plus mal à l'autre. extrémité de la province anglo-gasconne. Non seulement la Dordogne, mais le Lot, avaient été franchis. Le Quercy dans toute son étendue et la partie septentrionale du Toulousain étaient ravagés par les partisans à croix rouge. Un de leurs capitaines, nommé André de Ribes, s'était emparé de Lautrec. De là il appatissait Lombez, menaçait Castres, poussait des reconnaissances jusque dans le Rouergue et le Gévaudan. Renvoyé de Lautrec à prix d'argent, il n'avait pas quitté le pays 2.

Des choses étranges se passaient à son égard. Les châteaux du comte d'Armagnac lui étaient ouverts pour mettre en sûreté le fruit de ses déprédations. Plusieurs places fortes du domaine de la maison d'Armagnac, dont il s'était rendu maître dans l'Agenais et dans le Quercy, lui avaient été cédées en légitime propriété, et il en montrait les contrats; enfin il se faisait appeler << bâtard d'Armagnac », avec l'assentiment

1 Ci-après, Pièces justificatives, no ш.

2 Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. IV,

p. 469.

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