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qu'il avait le prénom de Bernard, porté par son défunt père, le connétable d'Armagnac. Par son entremise, Rodrigue fut introduit dans la maison de Bourbon; car Bernard d'Armagnac, en ce temps-là, fut fiancé avec une princesse de cette famille, et en considération de cette illustre alliance, le nouveau roi le décora du titre de lieutenant-général en Charolais, Mâconnais et pays environnants 1.

Un titre comme celui-là était une provocation à l'adresse du duc de Bourgogne, héritier légitime du Charolais et seigneur en espérance du Mâconnais, dont il comptait obtenir la cession du gouvernement anglofrançais. Le prince n'étant d'humeur à se dessaisir ni de son droit, ni de ses prétentions, se prépara à tous les sacrifices pour retenir, ainsi qu'il les retint en effet, les pays menacés; et comme ses adversaires ne se lassèrent pas non plus de les attaquer, il s'établit là une lutte sans fin, dont le théâtre s'élargit à maintes reprises, de sorte que le Beaujolais, le Forez, le Velay même, furent de la partie chacun à son tour, et par moments tous ensemble. On verra Rodrigue jouer son rôle dans cette guerre, dont les péripéties ne durèrent pas moins de douze ans. Il ne tarda pas à y paraître avec le titre et la fonction de capitaine, ayant déjà sous son commandement une compagnie entière et se disant au service du comte de Pardiac.

Lorsque le roi n'avait pas de quoi solder les compagnies, les princes et grands seigneurs les retenaient à

1 Histoire généalogique de la maison de France, t. III,

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leur compte, et ne leur faisaient pas voir davantage la couleur de leur argent; mais ils les laissaient se pourvoir comme elles l'entendaient, et souffraient tout de leur part, pourvu que de temps en temps on pût dire qu'elles s'étaient rencontrées avec l'ennemi.

Cependant la situation du royaume ne faisait qu'empirer. Réduit déjà à moins du tiers de la France actuelle, il allait se diminuant tous les jours de quelque nouveau lambeau, soit par le progrès des armées ennemies, soit par la défection des villes, qui répudiaient un gouvernement si manifestement incapable de les protéger. Le monarque de vingt ans, qui avait à se débattre au milieu de ce naufrage, ne sachant où donner de la tête, cédait à toutes les suggestions. Il se laissa persuader que le mal venait de ce qu'il y avait trop de Français sous les armes ; qu'à part la noblesse, élevée dans le sentiment de l'honneur militaire, ses sujets n'étaient bons qu'au pillage; que, s'il voulait reconquérir ses États, il fallait qu'il se servît de troupes étrangères. Alors il envoya demander des Écossais au roi d'Écosse, des Lombards au duc de Milan', et il décréta le licenciement de toutes les compagnies qui couraient les champs, à l'exception de quatre cents lances (environ deux mille hommes), qui seraient conservées pour désarmer les autres2.

Rodrigue de Villandrando, en sa qualité d'étranger et sans doute aussi par le crédit du comte de Pardiac,

1 Chronique du héraut Berry, dans Godefroy, Histoire de Charles VII, p. 570; Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, p. 391 et suiv. 2 Pièces justificatives, no 11.

fut du nombre des capitaines maintenus. Presque aussitôt on le mit dans une petite armée formée sous le commandement de Louis de Culant, amiral de France, pour agir, non pas contre les routiers, mais contre les Anglais et Bourguignons vainqueurs à Cravant1.

Après leur succès, ceux-ci s'étaient concentrés dans le Nivernais. Par une enclave de cette province, située en face du bec d'Allier sur la rive gauche de la Loire, ils tenaient en échec Bourges, considérée à ce moment comme la capitale de la France. C'est pour les chasser de là que l'amiral arriva en toute hâte.

Sous un pareil chef, Villandrando ne put que redoubler d'ardeur. Louis de Culant avait combattu pour la Castille contre les Maures. Il fut à ce fameux siège d'Antequera, qui aujourd'hui encore est l'un des plus glorieux souvenirs militaires de l'Espagne. Le capitaine castillan était engagé d'honneur à faire aussi bien pour la France que son général avait fait naguère pour son propre pays.

Les Anglo-Bourguignons furent rejetés de l'autre côté du fleuve par la prise de Cuffy et de la Guerche, qui étaient les places d'armes d'où ils s'avançaient jusqu'au cœur du Berry.

Cette opération eut lieu peu de temps avant la bataille de Verneuil, où il n'est pas dit expressément que Rodrigue ait assisté, mais où l'on sait que donnèrent

1 Chronique de Raoulet, publiée par Vallet de Viriville à la suite de Jean Chartier, t. III, .. 183.

2 Cabaret d'Oronville, Vie du duc Louis III de Bourbon, éd. Chazaud, p. 206.

3

5 Chronique de Raoulet, 1. c.; Chronique du héraut Berri, p. 371.

les troupes qui avaient fait la campagne du Nivernais. Il est même spécifié que les Espagnols y furent réunis en un seul corps, sous le commandement du vicomte de Narbonne1.

Ce capitaine est celui auquel on impute la perte de la journée. Le gros de l'armée française, composé de gendarmerie mise à pied selon la tactique des Anglais, ne formait qu'une masse profonde. Le vicomte de Narbonne, placé à la tête de la colonne, aurait fait prendre de trop loin le pas accéléré, de sorte que sa division, harassée par la distance qu'elle eut à franchir, se trouva sans force pour entamer les lignes ennemies 2.

La vérité est que cette division, renversée au premier choc, couvrit le terrain de morts, parmi lesquels son général et quantité d'hommes de marque; mais les Écossais, qui venaient derrière, tinrent ferme et si longtemps, qu'on ne se souvenait pas d'avoir jamais vu pareille résistance. Ils auraient eu le dessus, sans une faute du duc d'Alençon. C'est sur ce prince que doit retomber la responsabilité de la défaite. En élevant une sotte question de préséance au milieu de l'engagement, il fit manquer un mouvement de la cavalerie d'où dépendait la victoire.

La conséquence de la bataille de Verneuil fut l'ajournement des projets de réforme militaire. Les Écossais furent exterminés, les Lombards, occupés à

1 « Le visconte de Nerbonne et sa bataille, en laquelle estoient touz les Espaignols.» Raoulet, p. 186.

2

Chronique de la Pucelle, éd. Vallet de Viriville,

p. 225.
416.

3 Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p.

piller le bagage des Anglais, ne furent d'aucun secours; et, bien que cette leçon n'eût pas dissipé l'illusion où l'on était à l'égard des troupes étrangères1, les pertes qu'on avait faites obligèrent de remettre à une autre saison le désarmement des compagnies franches. Les routiers reprirent de plus belle le cours de leurs exploits.

Le silence qui a commencé sur les actions de notre capitaine se prolonge pendant trois ans. Il nous est permis d'affirmer que ce long espace de temps ne se passa pas pour lui dans l'inaction; car aucun des hommes qui eurent alors la lance au poing ne trouva un scul jour pour se reposer. Occupé dans des lieux dont l'histoire ne nous est pas parvenue, se signalant de son mieux contre les Bourguignons et les Anglais, appatissant les villes ennemies, et, lorsque la faim le pressait, les villes de son propre parti, il traversa, sans trop indisposer contre lui ses protecteurs, la période fortunée pendant laquelle Hernando del Pulgar dit que le cœur lui croissait en raison de ses prouesses, et ses prouesses en raison de ses recrues, et ses recrues en raison des profits qu'il procurait aux gens-d'armes. C'est alors

1 Hector Boethius témoigne que d'autres Écossais furent envoyés à Charles VII pour remplacer le contingent qui avait été anéanti à la bataille de Verneuil, Historia Scotorum, 1. XVI. Dans le Ms. latin 6024 de la Bibliothèque nationale, il y a les instructions d'une ambassade envoyée Charles VII au roi de Castille, en mars 1425-6. On y lit cet article : <«< Le requerront (le roi de Castille) que ceste saison il lui vueille aidier de deux mille hommes d'armes bien montez et armez, et en icelui nombre de gens d'armes ait deux ou trois cens hommes à la genete, se il samble audit roy expedient que ainsi se face. » Fol. 18.

par

2 « Cresciendo de dia en dia el coraçon con las hazañas, y las hazañas con la gente, y la gente con el interesse.» Voy. Pièces justificatives, no 1.

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