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qu'elle y ait attaché fut d'avoir appartenu à un malfaiteur. Voici en effet dans quels termes nous est parvenu le dernier écho de la renommée de Rodrigue, recueilli

il

y a deux cents ans par l'annaliste du Limousin : « Cet homme estoit si méchant et cruel, que son nom est tourné en proverbe dans la Gascogne, et pour signifier un homme brutal et cruel, on l'appelle méchant Rodrigue1. >>

L'érudition ne s'est pas plus mise en peine du personnage historique que du personnage légendaire. Dans toute notre littérature savante on ne trouve rien qui le concerne particulièrement, si ce n'est un article de dix lignes que lui a consacré Moréri', et un autre, d'égale dimension, inséré dans l'Histoire généalogique de la maison de France3. Ceux de nos historiens qui l'ont mentionné n'ont pas fait autre chose que de prendre dans les chroniques françaises du quinzième siècle son nom, qui n'y apparaît guère autrement qu'associé à d'autres noms de capitaines, et presque toujours sous la forme altérée de Villandras. Nul n'a eu la curiosité de recourir aux sources espagnoles, pour voir si elles ne

1 Bonaventure de Saint-Amable, Histoire de saint Martial, apôtre des Gaules et notamment de l'Aquitaine et du Limousin, t. III, p. 701. 2 Dictionnaire historique, t. X, p. 619.

5 Tome Ier, p. 304.

4 L'altération n'est pas si profonde que semblerait l'indiquer l'orthographe. C'est à tort qu'on ferait sentir la finale de Villandras, comme celle de Ménélas ou Agésilas. As final se prononçait, dans les noms propres, comme dans les noms communs ou adjectifs bas, las, chasselas : Carpentrâ et non Carpentrasse, Mornâ et non pas Mornasse, Villandrâ et non pas Villandrasse. Villandrâ n'était pas très éloigné de la prononciation Villandrando avec la pénultième fortement accentuée. D'ailleurs on a écrit aussi en français Villandrant.

fourniraient pas quelque renseignement de plus sur cet Espagnol; de sorte qu'une notice consacrée à sa mémoire par Hernando del Pulgar1 est demeurée jusqu'ici comme non avenue pour nous autres Français, qu'elle intéressait le plus.

Mais Hernando del Pulgar n'est pas plus connu chez nous que Rodrigue de Villandrando. C'est le Plutarque espagnol du quinzième siècle, et il doit à la France l'idée du livre qui a établi sa réputation. Luimême en a fait l'aveu. Dans un voyage accompli pour s'acquitter d'une mission diplomatique3, il eut communication d'un recueil des hommes illustres du règne de Charles VII, composé par un certain Georges de la Vernade qui avait été secrétaire de ce roi3. La vue de cet ouvrage, qui ne nous est point parvenu, éveilla en lui le désir d'en faire un pareil pour son pays.

Je serais tenté de croire qu'il emprunta quelque chose de plus à Georges de la Vernade. Rodrigue ne pouvait pas manquer d'avoir sa place dans le livre qui frappa si vivement l'attention de son compatriote. Le secrétaire de Charles VII serait alors l'auteur où Hernando del Pulgar a puisé ses renseignements pour la

1 Claros Varones de Castilla. Voy. ci-après, Pièces justificati

ves, n° 1.

2 «< Esso mismo vi en Francia el compendio que hizo un maestro Jorge de la Vernada, secretario del rey Carlos, en que copiló los hechos notables de algunos cavalleros y perlados de aquel reño, que fueron en su tiempo. » Claros Varones, Prologo.

3 Envoyé à Louis XI par la reine Isabelle la Catholique dont il était secrétaire. Nous avons sa lettre de créance, qu'il présenta le 18 mars 1475 (Ms. lat. 6024, fol. 188, à la Biblioth. nat.), et la mention d'un cadeau d'argenterie (deux flacons et douże hanaps) que le roi de France lui fit à cette occasion. Ms. français 20685, f. 632.

partie de la vie du capitaine espagnol qui se passa en France.

Villandrando ou, conformément à la signature de Rodrigue lui-même, Villa-Andrando, est un village de la Vieille Castille entre Burgos et Valladolid. La famille qui porta ce nom ne fit pas d'abord très-grande figure, malgré l'illustre origine qui lui a été assignée par Josef Pellizer. Suivant ce généalogiste, elle serait descendue des comtes souverains de Biscaye. Le même auteur ajoute qu'elle fut partagée, depuis le treizième siècle, en deux branches, dont l'une se perpétua à Valladolid, tandis que l'autre émigra en France. La branche française aurait fondé la seigneurie de Villandraut en Guienne, qui ne tarda pas d'être portée dans la maison de Goth par une femme, et cette femme serait la mère pape Clément V1.

du

Il est notoire que Clément V, de son nom de gentilhomme Bertrand de Goth, naquit à Villandraut; mais tout le reste du récit de Pellizer est un tissu d'hypothèses et de rapprochements forcés, qui a pour unique fondement l'identité apparente des deux noms Villandrando et Villandraut. Or Villandraut n'est que la pro-. nonciation altérée d'un nom qui s'est dit d'abord en latin vinea Andraldi et qui, au quatorzième siècle, s'écrivait encore dans sa forme romane Vinhandraut.

1 D. Josef Pellizer, Informe del origen, antiguedad, calidad y succesion de la excelentissima casa de Sarmiento de Villamayor. Madrid, 1665, fol. 95.

2 Charte de 1313 dans la Bibliothèque de l'École des chartes, IV° série, t. IV, p. 81; Bladé, Notice sur la vicomté de Bezeaume, le comté de Benauges, les vicomtés de Breuilhois et d'Auvillars et les pays de Villandraut et de Cayran, p. 73. Bordeaux, 1878.

Ce qu'on rapporte des Villandrando de Valladolid offre plus de certitude. De père en fils ils exercèrent dans cette ville des fonctions administratives. Lorsque les Français entrèrent en Espagne sous le commandement de Du Guesclin, don Garcia Gutierrez de Villandrando, alors chef de la famille, se joignit à eux comme partisan du prince Henri de Transtamarre. Il se lia avec le chevalier Pierre Le Besgue de Villaines, le même qui, au dire de Froissart, arrêta de ses mains le roi don Pèdre, lorsque celui-ci cherchait à s'évader du château de Montiel1.

Cette amitié formée sous le drapeaux amena le mariage de Garcia Gutierrez avec la sœur de Pierre Le Besgue union brillante lorsqu'elle fut conclue, parce que le gentilhomme français venait d'obtenir, pour prix de ses services, le rang de grand de Castille avec le comté de Ribadeo en Galice'.

Garcia Gutierrez donna le jour à Ruy Garcia de Villandrando, qui fut regidor de Valladolid, et à don Pedro, seigneur de Bambiella, qui mourut en 1400, jeune et veuf déjà depuis plusieurs années, laissant la dot de feu Aldonça de Corral, sa femme, fortement endommagée, et trois fils au moins dont l'aîné, Rodrigue, est celui que concerne cette notice.

Lors du décès de don Pedro, Rodrigue pouvait avoir d'âge treize ou quatorze ans. Ses frères et lui

1

Froissart, 1. I, 2o partie, ch. CCL.

2 Josef Pellizer, Informe del origen, etc., fol. 94, ro.

5 Elle est appelée Inez par le P. Anselme, ainsi que dans le Dictionnaire de Moréri. Le témoignage de Josef Pellizer présente plus de certitude.

restèrent sous la tutelle de leur oncle, Ruy Garcia, et de leur grand'mère, Térésa de Villaines. Il paraît bien que quelque chose leur avait été assigné, sur le revenu du comté de Ribadeo, par Pierre Le Besgue, qui vivait toujours; mais ce seigneur, accablé de vieillesse, négociait alors la vente d'un bénéfice sur lequel il avait trop à perdre à cause de l'éloignement'. Il se défit de son comté afin d'acheter, du prix qu'il en tira, la riche et libre seigneurie normande que l'usage était déjà d'appeler le « royaume d'Yvetot. » Sa sœur, désespérée, fit tout ce qu'elle put pour retenir ce que cette aliénation faisait perdre à ses petits-enfants. Un procès dans lequel elle s'engagea ne lui réussit pas; elle mourut, et les pauvres orphelins n'eurent plus d'appui qu'en leur oncle le régidor, lequel n'était pas en situation de faire beaucoup pour eux, ayant une fille à marier, et préparant les choses de loin pour que le gouvernement de Valladolid lui servît de dot un jour à venir.

Voilà bien de la généalogie, mais qui n'est pas sans avoir son opportunité. Nul doute que les traditions de famille n'aient été pour beaucoup dans la destinée de Rodrigue de Villandrando. Issu ́ par sa grand❜mère d'une famille des environs de Paris (Villaines est près de Pontoise, et la résidence habituelle de Pierre Le

1 Jose Maria de Eguren, Noticia histórica del origen y fundacion del condado de Rivadeo, dans la Revista europea, t. VII (1876), p. 213.

2 Contrat passé au Châtelet de Paris, le 2 mai 1401. Notice sur les rois d'Yvetot dans l'Annuaire de la noblesse pour 1871-1872, p. 287.

3 Pellizer, Informe del origen, etc., fol. 94, v°.

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