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paré le travail et pourvu à tous les moyens d'exécution. Le triage se fit sans éprouver de résistance. Les hommes. qu'on élimina furent désarmés, groupés par nations et confiés à des commissaires qui les conduisirent, sous bonne escorte, jusqu'aux frontières de leurs pays respectifs 1.

La compagnie où furent incorporés ceux des Rodrigais que l'on conserva fut appelée, à cause de sa composition, la compagnie des Espagnols. Le roi en donna le commandement à ce Martin Enriquez dont il a été parlé ci-dessus. Quant à Salazar, il fut congédié de nouveau, et pour longtemps, car sa disgrâce dura jusqu'à la mort de Charles VII.

Ainsi fut consommée, cinq ans et demi après l'éloignement de Rodrigue, une révolution qu'il avait prévue, et dans laquelle il n'eut garde de revenir se compromettre. Il comprit qu'il ne fallait pas essayer de prolonger un état de choses dont le gouvernement de la France avait juré l'anéantissement. En pliant sa bannière à temps, il s'épargna la mortification de la voir poursuivie et abattue par l'autorité des lois.

La sagesse dont il fit preuve en cette circonstance apparaît dans tout ce qu'on peut discerner de la conduite qu'il tint en Castille.

Il eut le bon esprit, dans une cour qui était la patrie des cabales, de ne s'afficher ni comme meneur, ni comme créature, et, lorsque sa science était la guerre, de ne pas faire l'homme entendu aux intrigues. La ru

1 Mathieu d'Escouchy, édition de Beaucourt, t. I, pp. 36, 51 et suiv. Jean Chartier, t. II, p. 265.

desse de son abord, sa mine fière jusqu'à la dureté1, lui assuraient le respect, en même temps que sa loyauté bien connue le mettait hors des atteintes de la médisance. Il était ouvertement le partisan d'Alvaro de Luna, jusqu'à souffrir d'être compté au nombre de ses pensionnaires. Au contraire, le prince des Asturies, dont il fut maréchal 3, ne trouva jamais d'assistance en lui dans ses continuelles révoltes contre le roi, son père. Quant à ce roi, digne de commisération à cause de sa faiblesse et de ses infortunes, on peut dire que ce fut sur lui que le comte de Ribadeo concentra tout ce qu'il avait de soumission et d'attachement. La seule gloire qu'il connut et rechercha dans sa nouvelle vie fut celle de se rendre utile à ce prince malheureux; et la charge de conseiller, qu'il remplit auprès de sa personne, ne lui servit pas à satisfaire d'autre ambition *.

Il acheva sa carrière militaire au milieu des mouvements qui ramenèrent au pouvoir Alvaro de Luna. En 1444, il eut la charge de s'assurer de Cuellar pendant que Juan II allait mettre le siège devant Peñafiel; en 1445, il commanda une partie de la maison du roi

1 « La catadura feroz. » Hernando del Pulgar.

2 <«< Condes e perlados e nobles varones e muchos senhores de villas cercadas vivian en la su casa (del condestable) e avian continua soldada d'el. Los condes eran, el conde de Medina-Celi, don Luis de la Cerda, el conde de Alva, don Fernando Alvarez de Toledo, etc.... don Rodrigo de Villandrando conde de Ribadeo e don Pedro de Villandrando, su fijo, que despues fue conde d'este condado, etc. » Coronica del condestable D. Alvaro, Epilogo, p. 389.

3 Fernan Perez de Guzman, Cronica del rey don Juan II, p. 406. 4 Son nom est inscrit parmi ceux des grands qui assistèrent aux cortès de Valladolid, en 1442, et d'Olmedo, en 1445. Cortes de los antiguos reinos de Leon y de Castilla, recueil publié par l'Académie royale d'histoire, t. III, p. 393 et 457. In-4°, Madrid, 1866.

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à la bataille d'Olmedo, gagnée par le connétable; en 1446, il fut d'un grand secours au siège d'Atiença, un des plus difficiles qui aient eu lieu dans ce temps là, à cause de l'inexpugnable position de la ville'. Depuis lors son nom ne paraît plus dans l'histoire; mais celui de sa femme est mêlé à un évènement trop grave pour qu'il n'en soit point parlé ici.

Marguerite de Bourbon n'avait pas longtemps vécu en Espagne où elle était allée s'établir avec son mari. Celui-ci, resté veuf avec des enfants en qui son nom allait s'éteindre, se remaria dans la maison de Zuñiga avec dona Béatriz, fille du seigneur de Monterey'. Cette dame fut en grande autorité auprès de la reine Isabelle, femme de Juan II. Or il faut savoir que la reine Isabelle était Portugaise, et qu'elle ne cessa jamais de l'être de caractère comme d'affection; de telle sorte qu'ayant éprouvé souvent de grandes impatiences à l'égard du connétable, elle finit par l'avoir tout à fait en aversion lorsqu'elle sut qu'il donnait des conseils au roi, son mari, contre l'extension des établissements portugais sur la côte d'Afrique. Cela se passait dans le temps où Alvaro de Luna avait façonné à son joug tous les cabaleurs du temps passé, hormis un seul, qui était Pedro de Zuñiga, comte de Ledesma, devenu récemment comte de Plasencia. La comtesse de Ribadeo étant la nièce de ce seigneur, il ne tarda pas de se faire que, par son entremise, la reine et lui ne connussent

1 Fernan Perez de Guzman, pp. 486, 492, 507.

2 Josef Pelizer, 1. c.

3 Histoire du connétable de Lune, p. 308. Paris, 1720, in-12.

leurs ressentiments respectifs. Une ligue s'ensuivit, et bientôt la tranchée fut ouverte contre le connétable, bien secrètement, bien profondément, mais avec la certitude de rencontrer et de s'adjoindre, à mesure qu'on avancerait, assez d'autres ouvriers souterrains.

Comme ces choses se tramaient, la cour, qui était à Valladolid, reçut l'ordre de se rendre à Burgos, à cause de quelque soupçon que conçut Alvaro de Luna. La reine comprit alors qu'il fallait brusquer le dénoûment. Elle obtint, ou peut-être contrefit une lettre à l'adresse du comte de Plasencia, dans laquelle le roi, se plaignant de la tyrannie de son connétable, assurait de sa reconnaissance le sujet fidèle qui l'en délivrerait. Cette lettre, avec des instructions en conséquence, fut confiée à la comtesse de Ribadeo, qui s'échappa dans le plus grand mystère lorsqu'on allait quitter Valladolid. Elle arriva au château de Béjar, résidence de son oncle, dans la nuit du 12 avril 1453. Là elle expliqua bien longuement sa commission; puis, quand elle eut achevé (il était deux heures du matin), le comte, qui était vieux et infirme, fit venir son fils aîné Alvaro de Zuñiga, lui montra la lettre du roi, lui dit ce qu'il y avait à faire, et ajouta, avec le ton d'un homme qui se dispose à sauver l'État, lorsqu'en effet il ne s'agissait pour lui que de mettre le baume sur les plaies de son orgueil : « Mon fils, si j'étais libre de mes mains, je ne «< cèderais à personne la gloire ni le danger de cette << entreprise. Mais, puisque Dieu le Tout-Puissant a << éteint la force de mon corps, je ne puis mieux mon«trer l'affection que j'ai au service du roi, mon sou

« verain seigneur, qu'en exposant la vie de mon pre«<mier-né pour que son bon plaisir soit accompli. Allez << donc; faites de votre mieux, comme il convient à un << loyal chevalier, et que l'étoile qui guida les Trois rois << vous conduise1. >>

Le reste appartient à l'histoire d'Espagne. Alvaro de Luna se perdit par excès de confiance. Redoutable jusqu'à la fin, mais arrêté dans un guet-apens; mis au secret à l'égard du roi, qu'on fit dès lors agir comme on voulut; livré à un tribunal exceptionnel, qui ne prit pas seulement la peine d'écrire son procès; atteint, mais non convaincu d'avoir empoisonné une infinité de personnes dont la mort violente ne reposait que sur des bruits semés jadis dans la fureur des guerres civiles; d'avoir tenu le diable dans une fiole, pour gouverner la Castille par ses conseils; d'avoir parlé maintes fois à son souverain le chapeau sur la tête; d'avoir fait porter au roi, avec serment de ne jamais l'ouvrir, une bague sous le chaton de laquelle Sa Majesté était peinte dans une posture ridicule à la queue d'une bourrique2; condamné sans rémission sur de tels griefs, lui qui avait préparé l'œuvre d'Isabelle la Catholique, il se présenta à la mort le dédain sur les lèvres et la constance dans le cœur (22 juin 1455).

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1 Fernan Perez de Guzman, p. 557 et suiv.

E le mostro dentro del anillo al mismo rey pintado, é una aca, é el dicho rey la estaba besando en parte cuyo nombre no se permite alla decencia de esta historia. » Abarca, Anales de Aragon, part. II, cap. 8. Abarca a indiqué ces griefs d'après une enquête qui fut faite quarante ans après la mort du connétable, pour recorder son procès et l'écrire, puisqu'on ne l'avait pas fait au moment du jugement. Voy. les appendices à la chronique d'Alvaro de Luna, édition Sancha, p. 475.

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