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Ribadeo ne se soit agité pour faire réformer la décision dont il était victime. Ses démarches restèrent sans effet de son vivant. Après sa mort, l'archevêque de Tolède les reprit, auprès des puissances temporelles, pour le compte de Pierre de Villandrando, fils de Rodrigue. Le prélat écrivit à Louis XI, afin de l'intéresser en faveur de l'orphelin injustement frustré1. C'était en 1462, dans un moment où Louis XI était au mieux avec le saint-père et avec le comte de Foix, de sorte que les réclamations apportées au nom du fils eurent le même sort que celles du père.

Si l'on me demandait de préciser l'époque où Rodrigue cessa d'exercer tout commandement en France, je désignerais l'année 1442, parce que depuis lors son nom n'apparaît plus dans les documents où il est question de ses routiers. Le nom de Salazar a définitivement remplacé le sien.

Jean de Salazar est un castillan qui appartient à l'histoire de France encore plus que Rodrigue de Villandrando; car sa vie entière se passa au service de notre pays et il y fit race. Il est le père de ce Tristan de Salazar, archevêque de Sens, qui fit construire l'un des deux seuls hôtels à la façon du moyen âge existant encore à Paris, et qui fut aussi le dernier de nos prélats qu'on ait vu se montrer armé de toutes pièces sur un champ de bataille'.

Pour ses débuts, il se distingua à la bataille d'Anthon,

1 Ci-après, Pièces justificatives, no Lxxxv.

2 Au combat devant Gênes en 1507. Voy. Jean d'Auton, Chroniques, t. III, p. 338.

en combattant comme page aux côtés de Rodrigue1. Son avancement fut rapide. Dans les commandements qui lui furent confiés, il se comporta de façon à devenir en peu de temps l'homme de confiance de son maître.

Un détracteur de sa famille a prétendu qu'il y eut chez lui plus de savoir-faire que de vaillance, et que le principal instrument de sa gloire fut une insigne hâblerie. «Quand il vint d'Espaigne en France, dit cet auteur, il estoit autant garny de biens qu'est un singe de queue. Toutes fois il fit si bien, contre droit et sans nul mérite, qu'il s'enrichit tant par mariage que par pillerie. Il fut page de Rodrigues, qui fut empereur des pillards de France; toutes fois Sallezart en ce mestier le passa. Quand quelque destrousse se faisoit en France de son temps, il donnoit de l'argent pour dire ès villes et partout que c'estoit luy. Il disoit prou et n'en faisoit guères2. >>

Il est hors de toute vraisemblance que Rodrigue de Villandrando aurait choisi pour son successeur l'original de ce portrait. Les talents militaires et la valeur de Salazar nous sont garantis au contraire par le cas que Louis XI fit de lui. Ce roi, si difficile à contenter, l'estima et l'employa tant qu'il vécut comme l'un de ses meilleurs généraux. Aussi bien avait-il été surnommé dans l'armée française « le grand chevalier3 ».

En 1442, il n'avait pas encore d'autre ambition que de continuer le rôle de Rodrigue. Il venait d'épouser

4 Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXX.

2 Paulin Paris, Analyse de la Marguerite historiale, dans Les manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, t. VII, p. 525.

3 Raynal, Histoire du Berri, t. III, p. 45.

une bâtarde de La Trémoille', et du même coup plusieurs seigneuries en Champagne', qui lui donnaient parmi la noblesse française une situation analogue à celle de son maître. Quoiqu'il fût de la retenue du roi et de plus bénéficié, sur le domaine royal, de la châtellenie d'Issoudun, il se mit à correspondre avec les puissances, comme aurait fait un condottiere indépendant. Il alla jusqu'à traiter avec le duc de Bourgogne en s'obligeant à servir ce prince envers et contre tous, sans faire d'exception pour le roi de France quand il eut soin d'un faire une pour le roi de Castille. Il fit plus. Il se déclara pour le comte d'Armagnac lorsque ce seigneur, enhardi par l'impunité de ses crimes, conçut la folle pensée de s'affranchir de ses devoirs envers la

couronne.

C'était aller trop loin, si loin, que les Rodrigais euxmêmes hésitèrent devant l'énormité du cas. Salazar, assiégé dans Rodez avec des hommes qu'il vit mollir, fut obligé de souscrire à une capitulation dont le pre

Elle s'appelait Marguerite et était née d'une demoiselle de ChâteauGuillaume en Berri. Le contrat est du 31 octobre 1441, et les grands services rendus par Salazar au seigneur de La Trémoille y sont allégués Cabinet des Titres de la Bibliothèque nationale, dossier Salazar.

2 Saint-Just en l'Angle, Marcilly-sur-Seine, Fontaine-Bethon, Potangis et Waugonières.

5

Raynal, Histoire du Berri, 1. c.

4 Ci-après, Pièces justificatives, n° LXXII.

5 Chronique du héraut Berry, dans Godefroy, p. 424. Il existe dans le dossier Armagnac du Cabinet des Titres, à la Bibliothèque nationale, la déposition d'un chanoine de Lectoure révélant que le comte d'Armagnac avait acheté la complicité de Salazar en lui donnant la seigneurie de Chaudesaigues, qui faisait partie de la succession Séverac, et qui n'avait été attribuée audit comte qu'à la condition de servir d'apanage aux aînés d'Armagnac, ou sinon de retourner au roi.

mier article était qu'il résilierait son commandement1. Le dauphin, qui l'avait réduit à cette extrémité, mit à sa place un autre Espagnol, aimé de Charles VII et recommandé par vingt ans d'un service assidu auprès de la personne du roi. Les chroniqueurs français donnent à ce capitaine le nom de Martin Garcie. Fernan Perez de Guzman, dans son histoire de Juan II, l'appelle Martin Enriquez, et nous apprend qu'il était fils du comte de Guijon. C'est lui qui opéra l'arrestation du comte d'Armagnac à l'Ile-en-Jourdain, où l'armée royale se rendit en quittant Rodez.

Une partie des compagnies qui avaient obéi à Rodrigue tenaient toujours la frontière contre les Anglogascons. Elles se mirent en route pour venir au secours de Salazar, lorsqu'elles apprirent qu'il était en danger. Le dauphin alla à leur rencontre et, au nom de la fidélité qu'elles devaient au roi, les conduisit à l'assaut des places de Séverac et de Capdenac, où la rébellion suscitée par le comte d'Armagnac acheva d'être étouffée *

Aussitôt après, les mêmes compagnies furent versées dans la grande armée des Écorcheurs, par qui le roi fit envahir l'Alsace. Les Rodrigais, remis pour cette campagne sous le commandement de Salazar, eurent le

1 Berri, p. 425.

2 Berri, ibid. Jean Chartier, t. II, pp. 265, 314, 318; Compte de l'argenterie de Charles VII, dans le supplément aux preuves du Mathieu d'Escouchy de M. de Beaucourt.

3 Cronica del rey don Juan el II, part. II, c. LVIII.

4 Berry, p. 425.

5 Une relation latine qui fait partie des pièces justificatives des Écorcheurs de M. Tuetey (t. II, p. 517) établit que Salazar était secondé dans

double honneur de fournir l'escorte du général en chef' et d'être placés à l'avant-garde de l'armée. Ils gagnèrent à cela d'être horriblement maltraités à la bataille de Saint-Jacques, ayant été les premiers qui éprouvèrent la vigueur du poignet des Suisses. Presque toutes les pertes de la journée furent à leur compte, et, qui est, ils avaient reculé. Ce fut leur dernier exploit.

Pendant l'éloignement des bandes, on avait trouvé enfin, dans les conseils de la couronne, le moyen de se débarrasser d'elles une fois pour toutes. Le système adopté était celui d'une armée permanente, maintenue à un effectif constant, payée de mois en mois, et disséminée par petites escouades dans les villes et bourgs. Les routiers, à leur rentrée en France, trouvèrent des capitaines déjà institués qui les attendaient, avec l'appui d'une force respectable, pour désigner ceux d'entre eux qui seraient admis dans la nouvelle armée. Un homme d'une énergie extraordinaire, dont tout le monde a entendu prononcer le nom, Tristan l'Hermite, avait pré

son commandement par deux capitaines appelés Conques et Guntsales. Le premier de ces noms répond à l'espagnol Concha, et le second, à Gonzales. Un Gonzalès Dars, possesseur de la seigneurie de Larpentis, eut pour héritier naturel, en 1477, Jean de Salazar lui-même. Cabinet des Titres de la Bibliothèque nationale, dossier Salazar.

1

«< Les Espaignoz qui sont gardes du corps de Mgr le daulphin, dont est capitaine un nommé Chausse de Savac (?) ou nombre de environ cccc chevaulx.» Du Fresne de Beaucourt, Pièces justificatives aux Mémoires de Mathieu d'Escouchy, t. III, p. 93.

2 Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, t. I, P. 167.

3 <«< Et fut ainsi trouvée à ceste heure l'ordonnance de vivre aux gens d'armes de France, » Guillaume Gruel, Mémoires du connétable de Richemond, p. 782.

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