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cagne. Telle était en effet la richesse de la contrée, qu'on ne s'y ressentait déjà plus de leurs déprédations de l'année précédente.

Le roi, extrêmement irrité à la nouvelle de ces désordres, vint exprès en Languedoc pour en hàter la répression. Les sénéchaux de la province reçurent l'injonction de se mettre à la tête de toutes les forces disponibles', tandis que les États, convoqués à Narbonne, feraient les fonds nécessaires pour solder la dépense. Mais au plus fort de ces préparatifs, éclata la sédition connue dans l'histoire sous le nom de Praguerie.

Les princes français, à l'exemple des grands de la Castille, avaient comploté entre eux de réduire le roi à se défaire de deux ou trois personnes de son entourage qui les offusquaient. Ils profitèrent du mécontentement général que causait dans l'armée la contrainte de la garnison, pour attirer à leur parti la plupart des capitaines. Disposant ainsi d'un bon nombre des compagnies réformées, ils ne doutaient pas de l'appui des compagnies réfractaires, d'autant que le duc de Bourbon était à la tête du mouvement, et que les Rodrigais avaient toujours été considérés comme une milice au service du duc de Bourbon. Mais on avait compté sans la diligence du roi.

Au lieu de se laisser prévenir, comme avait fait le malheureux roi de Castille, Charles VII gagna de vi

1

« Avons esté et sommes deuement informez que ledit bastart de Béarn, accompagné d'ung appelé Salazar, et plusieurs autres routiers, en grant nombre de gens d'armes et de traict, sont puiz n'a guières entrez en nostre pays de Languedoc, etc. » (5 janvier 1439 v. st.), Vaissete, t. IV, preuves, col. 454.

tesse ses ennemis; il arriva le premier partout où il y avait à prendre barre sur eux. Salazar était déjà gagné, avant d'avoir reçu les propositions des rebelles1. L'argent qu'on s'était proposé de demander aux États du Languedoc pour lui donner la chasse, fut voté pour lui faire une gratification considérable, qui le rendit l'un des plus fermes soutiens de la couronne.

Le premier gage qu'il donna de sa fidélité fut de laisser, peut-être même de faire arrêter dans ses rangs l'un des écuyers du dauphin qui s'y était introduit, sans doute afin de cabaler, quoiqu'il se donnât pour un paisible pèlerin qui revenait de Saint-Jacques de Compostelle. Ni suggestions secrètes ni promesses ne furent capables de détourner le capitaine de son engagement; il opéra sa jonction au jour convenu.

L'étendard de Rodrigue de Villandrando flottant à côté de celui du roi produisit sur les révoltés un effet désastreux. Ce spectacle inattendu ne fut pas la moindre cause du découragement qui s'empara des troupes qu'on avait débauchées au nom de l'indépendance et de la dignité du soldat".

La déroute de la Praguerie valut à Salazar la dignité d'écuyer du roi de France, qu'il joignit à celle d'écuyer du roi de Castille; car il avait rapporté de l'expédition d'Espagne ce titre honorifique. Mais quelle fut sa situation dans l'armée française après l'apaisement des troubles? que devint le commandement général, si peu

1 Vaissete, t. IV, p. 494.

2 Ci-après, Pièces justificatives, n° LXXVII.

5 Chronique du héraut Berri, dans Godefroy, p. 409. Ci-après, Pièces justificatives, n° LXXXII.

compatible avec la nouvelle ordonnance, qu'il exerçait naguère sur tous les capitaines du serment de Rodrigue1?

Les documents sont en trop petit nombre pour fournir une réponse précise à ces questions. Dans un acte de 1442, Salazar se donne pour un chef de compagnie ayant puissance sur d'autres hommes que ceux dont son corps était composé'. D'autre part nous trouvons en 1440 et 1441, Alonzo de Zamora et Sancho de Tovar occupant à tour de rôle, en qualité de lieutenants de Rodrigue, la ville de Fumel en Agenais, et rien n'indique que, pour agir, ils aient eu besoin de prendre

les ordres de Salazar3.

Le rôle de Sancho de Tovar eut de l'importance. Les Anglais ayant profité de la Praguerie pour se saisir encore une fois d'une partie des forteresses du Quercy, il les en chassa. A l'occasion de cette campagne, la province s'imposa une contribution dont le produit fut partagé entre le comte de Ribadeo et son lieutenant. Celui-ci ne se trouva pas suffisamment dédommagé de ses frais de guerre par la portion qui lui revint; il fit

1

« Sallezar qui avoit entièrement le gouvernement des gens d'armes qui estoient pour Rodigues, ou païs de Guienne. » Chronique du Berri.

2 Pièces justificatives, n° LXXXII.

3

L'an 1440, Cahors payoit contribution en bled au capitaine de Fumel, apelé Sumorte.... L'an 1441, les Étatz du Quercy, assemblés à Caylus,... demandent qu'on chasse les Anglois de Clermont (Soubiran). Sanchon de Tours, lieutenant du comte de Rieux, appelé dans les comptes Ribadious, y alla au mois de septembre, fit quelque composition qui ne fut pas gardée, s'en alla en Rouergue, volant partout; et les consuls de Cahors le font suivre, pour le prier de leur rendre ce qu'il n'avoit pas pris sur l'ennemi. » De Fouilhac, Notes manuscrites sur le Querci.

une razzia sur le Rouergue, absolument comme si l'ordonnance de 1439 n'avait pas existé1.

Concluons de tout cela qu'il est plus facile de coucher les réformes sur le papier que d'en obtenir l'accomplissement; que la régularisation de l'armée fut retardée encore une fois, parce que le roi dut fermer les yeux sur plus d'un écart de ces routiers qui venaient de lui rendre un si grand service; enfin qu'une partie des compagnies franches prolongeant leur existence, le comte de Ribadeo trouva bon de partager le gain de celles qui continuaient à se décorer de son nom.

Il ne se fit pas illusion sur la durée de ce quart d'heure de grâce. Dès l'année 1441, toutes ses mesures furent prises pour la liquidation de ses affaires en France. Un écuyer de sa maison reçut de lui procuration en bonne forme, pour recouvrer les créances ou dépôts qu'il avait en plusieurs lieux du royaume. L'opération fut longue et laborieuse. Elle exigea plus d'une fois, du mandataire qui en avait la charge, qu'il se donnât des substituts pour négocier des affaires qui se poursuivaient simultanément à de grandes distances'.

Au nombre des créances étaient les sommes qui restaient dues à Rodrigue en vertu du traité conclu pour l'évacuation du Comminges. Il n'en avait pas touché une obole depuis son retour en Espagne. Aux premières demandes les comtes de Foix et de Comminges oppo

1

<«< On fait une taxe sur le pays pour le paiement de ce qu'on devoit donner au comte de Ribadious et à Sanchon de Toars, son lieutenant, pour les frais et la peine qu'ils avoient prise à chasser les Anglois des forts de Quercy qu'ils avoient assiégés. » De Fouilhac, 1. c.

2 Ci-après, Pièces justificatives, no LxxxI.

sèrent des délais, qui se changèrent en refus, lorsqu'ils furent certains de n'avoir plus la visite du terrible capitaine.

Mais le moyen de se soustraire à une obligation qui avait été contractée sous les serments les plus solennels?

Les princes de Foix avisèrent que celui qui a sur terre le pouvoir de lier et de délier ne se refuserait pas à les tirer de là. Le cardinal de Foix, frère de l'un et oncle de l'autre, vivait toujours, et n'avait pas oublié, on peut le croire, la guerre du Comtat soutenue contre lui par le Castillan. Le comte de Comminges et le comte de Foix se servirent de lui pour faire parvenir et agréer à la chancellerie romaine une supplique par laquelle ils demandaient à être relevés d'un serment, non valable, disaient-ils, attendu qu'il leur avait été extorqué sous la pression des Écorcheurs. Pour montrer jusqu'à quel point leur prétention leur semblait légitime, ils se déclaraient déterminés, non seulement à ne pas solder le reliquat des sommes stipulées, mais encore à poursuivre par toutes les voies légales la restitution de ce qu'ils avaient déjà payé.

La libération qu'ils sollicitaient leur fut accordée par une bulle du pape Eugène IV (13 septembre 1443), dont l'exécution fut renvoyée à l'évêque de Rieux, délégué apostolique en cette partie1.

Une telle façon de payer ses dettes, tout à fait au goût des débiteurs, fut certainement trouvée moins plaisante par le créancier. Il n'est pas douteux que le comte de

Ci-après, Pièces justificatives, n° LXXXII.

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