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enveloppée par plus forts qu'elle et d'essuyer le traitemcnt qu'on infligeait aux malfaiteurs. Tout son étatmajor, Rodrigue en tête, fut amené de trente lieues à Paris, afin d'y être pendu haut et court au gibet de Montfaucon. Le souvenir de cet événement, présent encore à toutes les mémoires, ne mettait pas en recommandation le nom de Rodrigue. Loin toutefois de reculer devant une sinistre renommée, notre castillan s'en fit plutôt un titre à l'effroi qu'il était dans ses desseins d'inspirer. C'est sous son prénom tout seul qu'il inaugura sa vie d'aventure.

Errant sur les grands chemins, il rencontra un premier vagabond brave comme lui, pauvre comme lui, également incapable de perdre, également désireux de gagner, qui ne demanda pas mieux que de suivre sa fortune. Un autre se joignit bientôt à eux. Les voilà tous les trois, associés d'industrie et d'audace. Dans les lieux solitaires, à des heures choisies, ils épient de loin les pelotons en marche, ou bien ils font la ronde autour des campements ennemis. Sur les traînards, sur les imprudents qui s'écartent, ils accourent la lance en arrêt. Vainqueurs, ils emportent la dépouille; vaincus, ils s'enfuient par les chemins creux ou à travers les forêts, dans des retraites connues d'eux seuls. Réduits d'autres jours à de moins nobles exploits, ils détroussent les marchands en voyage, surprennent les chaumières isolées, mettent à rançon le paysan'.

Cette manière de guerroyer portait déjà le nom que ↑ Hernando del Pulgar.

nous lui donnerions aujourd'hui elle s'appelait du brigandage. La forme du mot, au quinzième siècle, fut brigandise.

Les brigands pullulèrent en ces temps désolés. Il y en eut autant que de pervers et de désespérés impropres ou rebelles à la profession des armes, mais résolus à gagner leur vie le couteau à la main'. Ils furent des routiers solitaires, qui achevèrent l'œuvre de destruction générale en portant la main sur tout ce qu'il arrivait aux compagnies d'épargner.

Rodrigue, qui avait trouvé parmi ces bandits deux compagnons susceptibles de se plier à la régularité militaire, fit encore un certain nombre d'autres recrues de même aloi, si bien qu'en peu de temps il se vit à la tête d'une escouade, et qu'il put se donner pour ce qu'il voulait être, c'est-à-dire pour un chef de guerre. Le théâtre de ses exploits paraît avoir été la frontière de l'Auxerrois, du côté du Gâtinais. Là il se porta à une action qui montre la générosité de son caractère.

Comme il avait des espions autant qu'il en pouvait entretenir et qu'il était informé de tout ce qui se faisait autour de lui, il eut connaissance d'une expédition que les Français préparaient contre le maréchal de LisleAdam, alors occupé à faire le siège de Villeneuve-leRoi.

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Ce siège fut bien l'entreprise la plus téméraire qu'on

Præter eos qui pro Francorum partibus se militare dicebant.... erant alii sine numero desperati atque perditi homines... qui vulgo brigandi appellabantur. » Th. Basin, Histoire du règne de Charles VII, 1. II, ch. vi.

puisse imaginer. On était au cœur de l'hiver (février 1421), et il était notoire qu'à une journée de marche autour de Villeneuve on n'aurait pas trouvé de quoi nourrir seulement un cheval, « à moins de lui faire paître la neige », ajoute le chroniqueur. LislcAdam osa venir néanmoins, et, prenant position sur les hauteurs avec une poignée d'hommes-d'armes démontés et une grosse bombarde, il incommoda tellement la ville qu'il n'y eut bientôt qu'un vœu parmi les bourgeois, celui de voir le capitaine de la place capituler. Il fallait se hâter. Le vicomte de Narbonne, commandant pour le dauphin dans la contrée, forma pour la délivrance de Villeneuve un corps d'armée qui allait se mettre en route, lorsque Rodrigue en eut la nouvelle'. Le coup ne pouvait pas manquer de réussir; LisleAdam avec sa petite troupe allait être enveloppé, et le sort qui les attendait tous était d'ètre passés par les armes; car, pour le moment, la fureur était montée à ce point, dans les deux partis, qu'on ne faisait plus de prisonniers. Les capitaines et les grands seigneurs étaient mis à mort aussi bien que les soldats. Dieu sait si les Français se seraient épargné la joie d'immoler le cruel et impassible témoin des massacres commis par les bouchers de Paris en 1418!

Les horreurs de Paris, auxquelles il est de toute probabilité qu'assista Rodrigue, n'étaient pas de nature à lui avoir laissé des remords. Elles durent être à ses

1 Livre des trahisons de la France.

2 «Se ce n'uist fait, il estoit mort; car à cest heure, comme dit est, ne failloit parler de raenchon. » Ibid.

yeux un acte d'hostilité comme un autre, et un acte commis contre des gens qui étaient alors ses ennemis. La voix qui s'éleva en lui, en apprenant la détresse de Lisle-Adam, fut celle de la reconnaissance. ubliant l'injure qui lui avait été faite, il ne sc ressouvint que des bienfaits de ce seigneur; et comme aucun serment ne l'attachait encore au parti français, il crut qu'il était de son honneur d'empêcher qu'un homme de guerre éminent, son ancien maître, pérît sans gloire dans un vulgaire égorgement. En conséquence, il dépêcha un exprès au maréchal pour l'instruire de ce qui se préparait.

Lisle-Adam ne se le fit pas dire deux fois. Il ordonna à ses hommes de ramasser leur bagage et, la nuit il se retira à Sens où le reste de sa compavenue, gnie tenait garnison. Le vicomte de Narbonne, arrivé le lendemain, ne trouva à la place de l'ennemi qu'un monceau de cendres qui fumaient. Les Bourguignons en s'en allant avaient eu soin de mettre le feu à leurs baraquements, afin qu'on ne fit pas butin de ce qu'ils n'avaient pas pu emporter1.

Il faut que cette aventure ait eu beaucoup de retentissement, puisque c'est d'un chroniqueur flamand que nous en tenons le récit. Elle donna l'éveil aux capitaines français sur le danger qu'il y avait à laisser hors des cadres un partisan entendu et résolu comme cet aventurier espagnol. Le dauphin reçut le conseil de le prendre à sa solde. L'été suivant, Rodrigue fut incorporé dans la compagnie du maréchal de Séverac avec

1 Livre des trahisons de la France.

sa bande, qui formait une chambrée de vingt écuyers hommes-d'armes, c'est-à-dire une cinquantaine au moins de combattants1. Il eut la gloire de faire flotter un pennon à ses armes à la suite du grand étendard de France, qui marchait déployé devant le maréchal'.

La compagnie de Séverac fut attachée à une armée qui envahit le Mâconnais en 1422, au moment où Charles VII prenait le titre de roi. On voulait chasser les Bourguignons du pays; car le Mâconnais ne faisait pas partie du duché de Bourgogne il relevait directement de la couronne. Il fut non pas reconquis, mais ravagé d'un bout à l'autre; la plupart de ses villes furent mises à feu et à sang. De Tournus il ne resta debout que l'abbaye et les églises3.

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Cette campagne eut pour Rodrigue l'avantage de le rapprocher de deux personnes qui lui furent utiles par la suite Imbert de Groslée, bailli nominal de Mâcon, mais sénéchal effectif de Lyon, et le puîné d'Armagnac, comte de Pardiac. Ce dernier est le même qu'on appelait familièrement « le cadet Bernard », à cause

1 Ms. fr. n° 20388 de la Bibl. nat., fol. 79 : « Rodrigue de Villedendro (sic), escuier, reçoit de Macé Héron, trésorier de Mgr le régent le royaulme, daulphin de Viennois, 32 livres tournois sur ses gages et de dix neuf aultres escuiers de sa chambre et compaignie à l'encontre des Anglois, en la compaignie de Messire Almaury de Severac, mareschal de France, et soubs le gouvernement de Mgr le Régent. Dernier aoust 1421. »

2 Ses armes, consistant en un fascé de 8 pièces, écartelé d'un croissant baissé, figurent sur le sceau de plusieurs actes qui nous restent de lui. Elles décorent le titre du présent ouvrage. Selon Paillot, les croissants étaient échiquetés d'or et de sable en champ d'argent, et les fasces étaient d'azur en champ d'or.

Juénin, Histoire de Tournus, p. 211.

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