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tèrent plusieurs jours. Était-ce en vertu des ordres du roi qu'ils prenaient ce chemin? Non, car le roi, aussi peu soucieux de les avoir sur ses terres que de les voir sur celles de son parent, avait décrété la levée d'un subside à répartir entre eux pour les empêcher de rentrer en Languedoc'. Ils y rentrèrent cependant, parce qu'il se présenta de ce côté quelque chose qui leur promettait mieux que tout ce que le roi pouvait leur offrir. Au résultat très-douteux de l'opération fiscale qu'on allait pratiquer, après tant d'autres, sur une population épuisée, ils préférèrent les chances de la guerre dans des contrées préservées jusqu'alors de la dévastation, et leur bonne fortune voulut que cette perspective s'ouvrît à leurs yeux de deux côtés à la fois.

D'abord, le comte d'Armagnac et les princes de Foix étaient aux prises dans le comté de Comminges. Les habitants de ce petit pays s'étant mis en révolution pour obtenir la délivrance de leur comtesse, séquestrée depuis vingt ans par Mathieu de Foix, son mari, le comte d'Armagnac se porta défenseur de l'opprimée, appela en conséquence les compagnies lorsqu'elles terminaient leur affaire de Guienne, et fit si bien que les États du Comminges reçurent avec acclamation ces dan

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Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596. Le passage à Condom est attesté par une note manuscrite du livre des coutumes de la Ville, conçue en ces termes : « Anno Domini millesimo quadringentesimo tricesimo octavo, vengo en aquest pahis Radigo ab gran re de gens d'armas sus la pahis, en la companhia deu noble Poton de Santa-Ralha, loqual menaba la ensenha, so es à dise, l'estandart deu rey nostre senhor, en que estan ix jorns esta biela deforas; e l'estandart demorec aus Predicados, aus despens de la biela. » Communication de M. Parfouru, archiviste du département du Gers.

2 Pièces justificatives, no LXIII.

gereux auxiliaires. Rodrigue et Poton de Xaintrailles entrèrent par Montrejeau où le bâtard de Bourbon les avait devancés. Pendant que Xaintrailles s'établit à Samatan, Villandrando alla prendre position à Saint-Julia. Ils eurent bientôt chassé les Béarnais de partout, excepté de Muret, de Saint-Lezier et de la montagne de Castillon, trois places extrêmement fortes, dont ils ne s'étaient point engagés à entreprendre le siège1. Ayant mis de leurs gens dans plusieurs châteaux, qu'ils entendaient garder comme gages, ils laissèrent le comte d'Armagnac s'arranger du reste, et continuèrent leur route le long des Pyrénées; car la seconde partie de leur programme les appelait les appelait en Roussillon.

D'après des bruits rapportés par l'annaliste Çurita, l'instigateur de cette course lointaine aurait été René d'Anjou, lequel, poursuivi en Italie par les armes du roi Alfonse d'Aragon, se voyait menacé dans la possession du trône de Naples. René aurait cherché à éloigner son rival en lui suscitant des embarras en Espagne*. Mais René, ou ceux qui travaillaient pour lui en France, auraient-ils pu espérer qu'une simple irruption de routiers détournât Alfonse le Magnanime de sa conquête ? Lorsque l'on informa ce prince de la rumeur publique, il fit la réponse à laquelle on devait s'attendre, à savoir qu'il ne quitterait point l'Italie pour si

peu.

L'intérêt de la maison d'Anjou mis en avant me fait plutôt l'effet d'un faux bruit, à la faveur duquel

1 Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596.
2 Çurita, Anales de la Corona de Aragon, 1. XIV, c. LI.

voulait se dérober le véritable ordonnateur de l'entreprise, et celui-ci serait, selon moi, le connétable de Castille, cet Alvaro de Luna que nous avons déjà vu machinant, dès 1431, quelque chose de pareil à ce dont il s'agit présentement.

Ministre tout-puissant de Juan II, ou plutôt roi sous le nom de ce monarque, Alvaro de Luna poursuivait depuis quinze ans, au milieu des périls et au mépris des factions, une politique invariable dont le but était de soustraire la Castille à l'insolence des grands et aux prises de la maison d'Aragon. Il croyait avoir réduit pour toujours les partis à l'impuissance et commençait à jouir de son triomphe, lorsqu'une ligue, dont l'agent le plus actif était l'infant d'Aragon, frère du roi Alfonse, se déclara contre lui. Pressé par le danger de cette coalition, il appela ses amis à son aide. Le comle Rodrigue, qui était du nombre, lui envoya pour sa part un secours de trente-six lances sous le commandement de son fils1.

Ce fils, que les généalogistes n'ont point connu, était un bâtard assurément. Quant au secours de trente-six lances (une centaine d'hommes), tout chétif qu'il paraît être, il eût été difficile à Villandrando de le faire plus grand; car dans ce débat qui mettait en présence deux factions rivales il n'avait le droit de s'immiscer qu'à titre de grand de Castille avec l'appui de sa maison mili

1 << Tambien al llamamiento qu'el Condestable a fecho de los que llevan su acostamiento, son venidos bien guarnidos e diligentes a punto el fixo del conde de Ribadeo con xxxvj lanzas, el mariscal Gomez Carillo con xxv lanzas, etc. » Centon epistolario del bachiller de Cibdareal, p. 79.

taire. Mais, s'il ne lui était pas permis d'agir dans son pays comme général d'une armée étrangère, du moins pouvait-il hors de la Castille servir Alvaro de Luna par tous les moyens indirects. Rien en ce genre n'était mieux trouvé que d'attaquer le Roussillon, province soumise au roi d'Aragon, qui était à la fois un allié des Anglais, l'ennemi déclaré d'un prince français et un voisin très-malveillant de la France. On avait présumé avec raison que cette agression inattendue ramènerait chez lui, par la menace d'un incendie dans sa propre maison, non pas le roi, mais l'infant, frère du roi, qui passait sa vie à souffler le feu en Castille. C'est effectivement ce qui arriva, ainsi qu'on va le voir dans un instant.

Comme en s'éloignant du pays de Comminges Rodrigue et ses deux associés entrèrent sur les terres du roi, et que le roi était resté leur débiteur à raison de la campagne de Guienne, ils trouvèrent légitime, en passant, de se payer de leurs arrérages sur les populations. Le comte de Ribadeo prit sur lui, pour son compte, de rançonner la sénéchaussée de Carcassonne.

Il s'empara d'Alzonne avec mille chevaux. Cette ville, située à trois lieues de Carcassonne, fut sa place d'armes et le centre de ses opérations pendant dix-sept jours. Il y fut assiégé par les milices de Carcassonne et des autres communes du pays, qui s'étaient armées en voyant les dégâts de l'an 1456 se renouveler. D'abord il méprisa l'effort de ces vilains; mais leur nombre augmentant sans cesse, et la difficulté de sauver le butin, quand il faudrait rompre leurs lignes, devenant mani

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feste, il se décida à vider les lieux pendant la nuit, afin d'aller chercher une position plus sûre1.

Le roi, informé de cela, envoya à ses agents les instructions les plus pressantes pour obtenir que la province se résignât à un nouveau sacrifice d'argent, payer étant le moyen le plus prompt de mettre à la raison des créanciers implacables. Une aide supplémentaire fut octroyée en effet, à Carcassonne même, on ne voit pas trop par quelle formalité, mais certainement sous la menace du comte Rodrigue, qui ne continua sa route que lorsqu'il eut été satisfait. D'ailleurs son éloignement ne fut pas la délivrance complète du pays, parce que Salazar, avec un autre capitaine qu'on appelait le bâtard de Béarn, prit domicile pour plusieurs mois dans les montagnes du Lauraguais, et que, de là, tous les deux se firent sentir, tantôt à Carcassonne, tantôt à Limoux 3.

Le corps principal des routiers, toujours commandé

↑ Bouges, Histoire ecclésiastique et civile de la ville et diocèse de Carcassonne, p. 275. Cet auteur, et Dom Vaissete d'après lui (t. IV, p. 489), mettent l'invasion du Carcassais au mois de mai 1438; mais cette date est erronée, car Rodrigue passa certainement le mois de mai en Guienne. D'ailleurs Bouges donne lui-même la preuve de sa méprise en disant que Rodrigue s'éloigna de Carcassonne pour entrer dans le Comminges or le Comminges ne fut envahi qu'au retour de l'expédition du Bordelais.

2 Dom Vaissete (t. IV, p. 490) suppose que les États, qui avaient déjà voté l'aide annuelle à Béziers au mois d'avril, se réunirent de nouveau en novembre à Carcassonne; mais il ne paraît pas avoir eu pour établir ce fait d'autres documents que ceux rapportés ci-après, Pièces justificatives, n° LXIII et LXIV, où il n'est pas dit mot d'une assemblée d'États. L'octroi semble avoir été fait par quelques députés des États réunis aux membres d'une Cour des aides qui fonctionnait depuis deux ans en Languedoc.

3 Bouges, 1. c.; Jolibois, Inventaire sommaire des archives communales d'Albi, p. 46.

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