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appeler qui osât se mesurer avec lui, on vit le castillan accepter le défi, vaincre son adversaire et en rapporter les dépouilles à son capitaine, qui l'honorait publiquement de ses éloges et de ses caresses.

Mais, si ces actes de valeur trouvaient leur récompense dans l'approbation des vrais soldats, pour d'autres ils furent un sujet d'envie. Les chefs subalternes craignirent d'être supplantés, à la longue, par ce jeune homme dont les exploits effaçaient les leurs. Ils cabalèrent contre lui, répandirent sur son compte des bruits que paraissait justifier son origine étrangère', et obtinrent enfin son exclusion de la compagnie : cela, lorsqu'il venait de s'acquitter, peut-être avec peu de succès, de la garde d'une petite forteresse du Gâtinais, où l'Isle-Adam l'avait posté3.

Selon toute apparence, cette disgrâce se place à la fin de 1419 ou au commencement de 1420, dans un moment où la défection entama les troupes du parti bourguignon, à propos de la question, qui se posait déjà, d'exclure de la succession à la couronne le dauphin, qui fut depuis Charles VII. La chose fut trouvée si excessive, même parmi les exécuteurs des vengeances bourguignonnes, que plusieurs d'entre eux désertèrent plutôt que d'avoir à y souscrire. Le gouvernement qui se couvrait du nom de Charles VI fut on ne peut plus alarmé. Il menaça de sévir avec la dernière rigueur contre les transfuges. Tous les Castillans devinrent suspects, parce que leur roi s'était déclaré pour le dauphin,

1 Hernando del Pulgar.

2 Livre des trahisons de la France.

et qu'on savait qu'il avait fait voter par ses cortès l'armement d'une flotte destinée à soutenir la cause du prince déshérité. La preuve que les craintes des Bourguignons à l'égard des Espagnols n'étaient pas sans fondement est dans ce fait, consigné par le religieux de Saint-Denis, que plusieurs arbalétriers de cette nation furent suppliciés à Saint-Denis même, pour avoir abandonné leur compagnie dans l'intention de passer aux Armagnacs*.

La fidélité de Rodrigue aurait-elle été ébranlée? Un trait de lui, que nous raconterons tout à l'heure, rend inadmissible un pareil soupçon. Mais il est possible que, dans sa franchise, il ait désapprouvé tout haut le parti vers lequel il voyait ses amis incliner. Il n'en fallut pas davantage aux jaloux pour le représenter comme un traître.

Rendu à sa liberté par une injustice, il se tourna vers le parti pour lequel s'était prononcée la politique de son pays. Mais ce parti, il résolut de le servir à sa façon et à son heure, après qu'il se serait créé à luimême une situation qui le mît désormais au-dessus des intrigues et à couvert des avanies. Il avait assez bonne opinion de lui pour se considérer comme le champion de la Castille, député pour le salut de la France. Il tint à ne se présenter que lorsqu'il aurait une suite avec laquelle il aurait fait ses preuves et qui lui permettrait de poser ses conditions. Bref, il songea, de soldat per

1 Fernan Perez de Guzman, Cronica del rey d. Juan el II, p. 157 et 174.

* Livre XL, cho xu (t. VI, p. 376).

sécuté qu'il était, à devenir par sa seule industrie un officier compté pour quelque chose résolution qui doit paraître singulière de la part d'un compagnon tel que lui; car, étranger dans un pays, sans terre, sans amis, sans argent, avec des antécédents suspects, comment espérer de s'imposer aux autres ? Mais il se sentait né pour le commandement, et les circonstances favorisaient ses vues ambitieuses.

Les compagnies d'aventuriers étaient si supérieures aux corps de la noblesse fournis par l'appel aux armes, la force militaire du royaume résidait en elles d'une manière si évidente, qu'elles eurent l'insolence de ceux qui se sentent nécessaires. Si, à la fin d'une campagne, on ne voulait plus de leurs services, elles continuaient guerroyer pour leur compte; elles se maintenaient en dépit de toutes les défenses. Leur puissance était celle d'une association qui ne compte dans son sein que des bras armés.

à

La question capitale pour des troupes étant de subsister, malheur à la contrée où ces corps indépendants avaient pris domicile! Bien que leur intention fût de vivre sur l'ennemi, ils n'étaient que trop souvent rejetés dans le pays ami, qu'ils traitaient sans aucune différence. Leurs jours étaient comptés par les dévastations. Vider les granges et les étables des villages, piller les châteaux, arrêter les passants pour en tirer des rançons, était leur ressource accoutumée. Ils s'attaquaient aux villes quand ils étaient assez nombreux pour les investir. Des communes populeuses et protégées par de bonnes murailles, mais qui se dé

fiaient de la solidité de leurs milices, entrèrent maintes fois en composition, lorsqu'elles se virent bloquées sans espoir d'être secourues. Elles achetaient leur libération à prix d'argent, et telle fut la fréquence de ces traités, qu'on les désigna par un terme particulier, celui de pactis ou patis, sur quoi l'on forgea le verbe appatisser et le substantif appatissement.

Les choses avaient été mises sur ce pied par les hommes des compagnies du quatorzième siècle, ceux dont Froissart a raconté les prouesses. Rien n'est saisissant comme les regrets de ces forbans, condamnés au repos par la vigueur du gouvernement de Charles V, lorsqu'ils racontaient au curieux chroniqueur l'heureux temps où ils avaient fait toutes leurs volontés dans ce plantureux pays de France, « le paradis des gens-d'armes », comme ils l'appelaient 1. Eux, la France d'alors ne sut pas les appeler autrement que les compagnons, et ce terme jusqu'alors inoffensif ne fut plus prononcé sans terreur. Il était dans la bouche de tous les vieillards, pendant les années paisibles du règne de Charles VI. Il rappelait des maux que l'on ne croyait pas qu'il fût possible de voir arriver deux fois en un siècle. Et voilà que, par le concours de la guerre civile et de la guerre étrangère, de nouveaux corps d'aventuriers sortirent par centaines comme de dessous terre, et que la tradition des ci-devant compagnons se retrouva vivante parmi eux. On les jugea pires que leurs

1 Froissart, 1. IV, ch. xiv. Cf. De Fréville, Des grandes compagnies au quatorzième siècle, Bibliothèque de l'École des chartes, Ire série, t. III, 258, et V, 233; S. Luce Histoire de Bertrand Duguesclin, c. x.

devanciers. Ils furent flétris d'un nom sinistre, emprunté à des souvenirs plus anciens. On les appela les routiers1.

C'est sur des routiers que Rodrigue de Villandrando se proposa d'établir son commandement, mais un commandement qu'il ne devrait pas à la faveur d'une multitude inconstante. Sa visée fut de se créer une compagnie où il n'entrerait que des sujets de son choix, astreints à l'obéissance par des serments terribles, et sur lesquels il exercerait un pouvoir absolu. Sûr d'arriver à ses fins, il se mit à l'œuvre en homme que n'étaient pas capables de décourager des débuts ingrats.

Les premiers routiers qu'enfanta la guerre civile avaient fait leur apparition sous la conduite de plusieurs chefs étrangers, dont l'un fut Espagnol et s'appela aussi Rodrigue. Le sort de cette bande fut d'être

1 «< Hombres de armas de aquella gente perdida y desmandada que andava robando y rescatando la tierra, que llamavan los Franceses roteros. » Çurita, Anales de la corona de Aragon, 1. XIII, c. LI.

2 « Quædam nefanda concio octingentorum prædonum sub Polifer, Radingo, Philippoque de Spina, etc. » Chronique du religieux de SaintDenys, 1. IV, ch. xxxII (t. IV, p. 402 et 406). Dans la traduction française Radingo a été rendu par Radingen, rattaché comme nom de famille à celui de Polifer; mais plus loin la différence des deux personnages est indiquée : « Cum Polifer et Radingo, septem quoque aliis capitaneis fere triginta alii, ut meruerant, vitam suspendio adjudicati sunt finire. » La Chronique de Jouvenel des Ursins dissipe tous les doutes, s'il en pouvait rester. On y lit à l'an 1411: « Y avoit deux capitaines principaulx, lesquelz avoient larrons et meurtriers en leur compagnie en assez grant nombre. L'un estoit nommé Polifer et l'autre Rodrigo.» Radingo est donc à corriger par Rodrigo dans le texte latin. Le même nom se trouve dans les textes français du quinzième siècle sous les formes Radigues, Rodigues, Rodiguo. Quant au Rodrigue supplicié en 1411, ce doit être celui dont il y a une quittance de 1410 au Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale. Le nom est Rodigo de Salzero. Il s'intitula «< conduiseur d'arbalestriers » au service du duc d'Orléans.

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