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de retentissement à lui seul que le massacre de cent personnes. Dans un combat ou dans une embuscade, Giraud de Goulas, bailli de Berri fut tué, tué de la main d'un homme-d'armes espagnol renommé dans la compagnie, et que, parce qu'il avait le même prénom que son chef, on appelait le petit Rodrigue'.

Mais la circonstance tout à fait aggravante de cette dévastation fut d'avoir été osée au cœur même du royaume, dix-huit mois après une pacification d'où l'on avait été en droit d'attendre le rétablissement de la sécurité, pour le moins autour des résidences royales. Une preuve si frappante que les maux dont on avait souffert pendant tant d'années n'étaient pas encore parvenus à leur terme souleva l'opinion. Même dans le monde officiel, on ne se contraignit plus pour dire la lassitude qu'on éprouvait.

Cette disposition des esprits fut si marquée, qu'il en a passé quelque chose jusque dans la chronique de Jean Chartier. Cet auteur, qu'on peut appeler le panégyriste quand même de Charles VII, retraçant la situation du royaume en ce temps-là, se laisse aller à dire que, plus un homme de guerre était en force pour dévaliser les pauvres gens, mieux il était posé pour obtenir du roi tout ce qu'il voulait 2.

Mais c'est surtout sur nos paysans de la France centrale que ce retour du désordre fit impression. Il les

1 Ci-après, Pièces justificatives, no LI.

2 « Qui povoit avoir plus de gens sur les champs et plus povoit pillier et rober les povres gens estoit le plus craint et le plus doubté, et qui plus tost eust obtenu quelque chose du roy de France que nul autre. » Édit. Vallet de Viriville, t. I, p. 241.

plongea dans un sombre désespoir. Ils se persuadèrent qu'on les abandonnait, de parti pris, aux ravageurs, et qu'il fallait attribuer à une odieuse préméditation l'indifférence des autres classes à leur égard et l'inaction du gouvernement, lorsque pourtant ils payaient ce gouvernement si cher pour être protégés par lui. De là un ton d'aigreur, un accent d'hostilité qui se mêla aux plaintes proférées dans les villages; et il fut possible de surprendre çà et là des menaces peu différentes de celles par lesquelles la Jacquerie avait été annoncée autrefois.

On peut saisir quelque chose de cela dans une complainte du temps, dont un couplet a ici sa place marquée parce qu'il y est question de Rodrigue, ou plutôt de ses hommes1 :

Hélas, sans plus vous dire, hélas,
Comment peuvent penser creatures
Qui bien advisent noz figures
Et ont sens et entendement,
Et nous voyent nudz par les rues,
Aux gelées et aux froidures,
Nostre poure vie quérant?

Car nous n'avons plus rien vaillant,
Comme aucuns veullent langaiger.
Ilz s'en sont très mal informez;

Car s'ilz pensoient bien en Rodigues

1 Cette pièce, qui a pour titre : La complaincte ou les hélas du poure commun et des poures laboureurs de France, a été fourrée par interpolation dans le chapitre CCLXXIV du liv. Ier, de Monstrelet, comme si elle avait trait au règne de Charles VI. M. Douët d'Arcq, dans son édition, l'a mise à la place qui lui convient, en la rejetant en appendice à la fin du second livre. Il est évident qu'elle n'est pas de Monstrelet. C'est l'œuvre d'un Français, sujet de Charles VII; un couplet établit qu'on était alors à la quinzième année du règne, c'est-à-dire en 1437.

Et Escoçois, et leurs complisses,
Et ès yvers qui sont passez,

Et aultres voyes fort oblicques

Dont teus estatz nous sont relicques,
Comme chascun nous a plusmé :
Ilz seroyent bien héréticques,
Se ilz pensoyent en leurs nices

Que il nous fust riens demouré.

Ces protestations d'un prosaïque, mais violent désespoir, sont adressées aux prélats, aux seigneurs, aux gensd'armes, aux bourgeois, aux marchands, aux avocats, à tous ceux, en un mot, que leur condition préservait des angoisses de la misère. La fin est une menace : <«< Faites attention à cette complainte. Si vous regardez << bien ce qu'il y a au fond, nous est avis que vous verrez « de vos yeux que le feu n'est pas loin de vos demeu« res1. »

Nous avons laissé le comte de Ribadeo annonçant la résolution de traverser la Touraine. Il est temps de dire ce qu'il pensait faire en prenant ce chemin.

Plusieurs princes du sang, mécontents de ce que toute l'autorité appartenait à Charles d'Anjou depuis la chute de la Trémoille, s'étaient donné le mot pour tenir un conciliabule à Angers, au mois de mai 1437. Le duc de Bourbon conduisait cette intrigue, secrètement élaborée sous le couvert du mariage de sa fille

1 Voici le texte :

Vous plaise penser aucun poy
En ceste complaincte amère;
Et si vous bien y advisez,
Nous cuidons que appercevrez
Et que vous voirrez par vos yeulx
Le feu bien près de vos hosteulz.

avec le fils de René d'Anjou. Rodrigue arrivant comme par hasard en vue de la ville où s'agitaient les comploteurs, il eût pu se faire que l'insurrection qui eut lieu trois ans plus tard éclatàt dès ce moment; et cela est si vrai, que les forces du castillan n'étaient pas les seules qu'on se fùt ménagées. Jacques de Chabannes, le frère du capitaine des Écorcheurs, avait reçu l'ordre du duc de Bourbon, son seigneur, de faire alliance avec le comte de Ribadeo pour joindre au besoin les gens d'armes qu'il entretenait à ceux que l'autre amenait du midi1.

Faut-il croire que l'entreprise fut rompue par le billet de la reine, qui arrêta le flot des routiers à deux journées de Tours? Non, car il eût été facile de leur faire gagner l'Anjou sans passer par la Touraine; mais il est probable que Rodrigue, qui était certainement à Angers lorsque le messager de la reine se présenta au camp de Châtillon, fit savoir dans le même temps au bâtard de Bourbon que le secret de la coalition avait transpiré, et qu'il était nécessaire de prendre le large.

En effet, le roi revenait alors de Montpellier, parlant en termes irrités devant qui voulait l'entendre, tant du duc de Bourbon que de son beau-frère le routier: et son courroux ne se traduisait pas seulement en paroles, car lui, d'ordinaire si irrésolu, si ennemi des actes significatifs, on l'avait vu ramasser par le Languedoc et

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° XLIX.

2 Le héraut Berri, qui se tait sur l'intrigue des princes du sang, dit seulement que Rodrigue, en apprenant l'approche du roi, «partit hastivement des païs de Touraine et d'Anjou, où il estoit alé pour piller le peuple.» Dans Godefroy, p. 395.

embrigader à son service tous les aventuriers qu'il avait trouvés sans occupation ou sans maître, informant sur son passage, recueillant dans chaque localité les innombrables plaintes portées contre Rodrigue et ses gens, comme s'il eût pris plaisir à se former au sujet de cet homme un trésor infini d'indignation et de colère. De Saint-Flour, il fut en un clin d'oeil à Clermont, de Clermont à Aigueperse, puis à Montmarault où il campa lorsque les routiers, attardés par leur chef qu'ils avaient attendu, ne faisaient que poser le pied en Bourbonnais. Ils étaient alors à Saint-Amand1.

Charles VII cependant n'avait pas encore fait connaître le fond de sa pensée. Voulait-il seulement surveiller la marche de Rodrigue, voulait-il l'empêcher de prendre domicile sur les terres du duc de Bourbon? Pendant que les deux partis, arrêtés à seize lieues l'un de l'autre, attendaient réciproquement de leurs nouvelles, un détachement de routiers, envoyé en reconnaissance, rencontra aux portes d'Hérisson les fourriers et autres domestiques du roi qui venaient préparer son logis. Sans respect pour la livrée, ces maraudeurs battirent les hommes et firent proie du bagage. Le roi, pour le coup, éclata; il donna l'ordre d'une répression aussi prompte qu'énergique, et sur-le-champ son armée s'ébranla grosse armée de quatre mille hommes de trait et de plus de cinq cents chevaliers2. Voilà Rodrigue de Villandrando placé dans l'alternative de tirer l'épée contre son souverain d'adoption ou de fuir.

Chronique de Berri.
Chronique de Berri.

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