Imágenes de página
PDF
ePub

Quant au beau-frère le routier, on ne sait pas quel rang lui fut assigné dans les cérémonies; mais des actes témoignent que la figure qu'il fit là fut celle d'un riche seigneur, à la bourse duquel plusieurs grands personnages, le duc tout le premier, furent trop heureux de recourir. La terre de Mont-Gilbert en Bourbonnais lui fut engagée par ce prince comme garantie d'une somme de six mille écus d'or dont il lui avança une partie à Vienne même, et il prêta sans gage mille autres écus d'or au vicomte de Comborn en Limousin1.

Le résultat des conférences où l'on s'entretint de la paix ayant été qu'il fallait plus que jamais se préparer à la guerre, les États votèrent de quoi y subvenir et désignèrent les capitaines qui en dirigeraient les opérations. Rodrigue fut du nombre de ces élus 2. A vrai dire, la commission qu'il reçut ne fut pas autre chose que la régularisation du commandement dont il avait été investi déjà par le duc de Bourbon sur la frontière bourbonnaise aussi n'eut-il qu'à retourner au milieu de ses troupes.

:

Il les distribua à l'intérieur et autour de Charlieu, ville à lui, dont il fit une forteresse imprenable. Les murs étaient tout délabrés; il les remit à neuf. Il disposa dessus un système de machines volantes, au jeu desquelles devait s'ajouter celui d'une grosse bombarde qu'il fit fondre exprès. Quand il se fut bien for

1

Ci-après, Pièces justificatives, no xxxiv et xxxv.

2 « Ouquel conseil ilz ordonnèrent le duc de Bourbon, Rodrigue, Fortespice et pluiseurs aultres pour faire la guerre et tenir frontière. Chronique des Pays-Bas, de France, etc., 1. c.

3 Ci-après, Pièces justificatives, no XLII.

tifié, il lança ses hommes par petites escouades sur le Mâconnais et sur le Charolais, qui furent ravagés simultanément.

La ville de Mâcon, craignant pour sa sûreté, jugea nécessaire, elle aussi, d'ajouter à la force de ses remparts'. L'année d'avant, elle avait exhaussé sa muraille. au-dessus des créneaux moyennant une construction en pierres sèches dans laquelle on avait planté, à des intervalles rapprochés, des douves de tonneau taillées en pointe par le bout'. On faisait de ces ouvrages pour se prémunir contre l'escalade dans un cas pressant ; mais, à moins d'être réparés sans cesse, ils tombaient bientôt en ruines. C'est pourquoi les habitants de Mâcon trouvèrent que le plus sûr pour eux était de s'imposer la dépense d'une construction durable. Ils y pourvurent par le moyen d'une collecte hebdomadaire.

Rodrigue, malgré les récits que l'on faisait de ses forces, n'était point en état de s'attaquer à une grosse ville qui se montrait déterminée à se défendre. Il ne fit aucune tentative sérieuse sur Mâcon. C'est sur les bourgs et sur les châteaux que, cette fois comme les autres, il dirigea ses détachements. Les captures furent nombreuses et fructueuses. Le grand succès de la

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., p. 223.

2

" Pour obvier à emblée d'eschielles [le bailli] avoit advisé qu'il estoit nécessaire occuper (sic) les murs autour de la ville, c'est assavoir fermer les crénaux, excepté un pertuis à mectre la teste dehors, et par dessus mectre duelles de boysseaux éguisiées par devant, à un tour l'une de l'autre, et chargier par dessus de pierres... un pied d'aut; et par dessus les premières d'icelles, mectre d'autres en forme d'un ratel. Et se divisera par cinquantaines et dizaines, comme sera advisé. » Marcel Canat, ibid., p. 219.

campagne fut la prise du château de Chaumont-laGuiche1.

Cependant le duc de Bourgogne, qui était allé faire des levées en Flandre, arrivait avec le dessein d'accabler le duc de Bourbon en l'attaquant à la fois dans le Beaujolais et dans les Dombes. La perte de Chaumont lui fut d'autant plus sensible qu'il était exaspéré contre les routiers et qu'il avait juré d'en finir avec eux. Il donna à ses troupes des ordres impitoyables. Elles devaient procéder par le fer et par le feu, sans se laisser fléchir par aucune considération de pitié ni d'intérêt. Pour prêcher d'exemple, il fit noyer d'abord dans la Saône ou accrocher aux arbres plusieurs centaines de prisonniers, en expiation d'outrages qu'avaient essuyés des ambassadeurs venant devers lui. Au siège de Chaumont, dont il voulut suivre les opérations de ses yeux, deux cents combattants qui tenaient cette place s'étant rendus à discrétion furent tous pendus. Monstrelet rapporte que dans le nombre il y eut un neveu de Rodrigue3.

Les routiers, poussés avec cette fureur, n'curent pas à chercher un refuge dans l'appui des populations. Leurs dérèglements les avaient rendus odieux à tous les habitants de la contrée, français aussi bien que bourguignons. Le vœu des campagnes était de les voir exterminés, et loin de leur prêter assistance, les

1

1 Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXXII; Monstrelet, 1. II, c. CLXII; Garnier, Inventaire sommaire, etc., pp. 6, 40.

* Jean Jouffroy, De Philippo duce Burgundiæ Oratio, dans les Chroniques belges latines publiées par M. Kervyn de Lettenhove, p. 140. 3 Monstrelet, 1. II, ch. CLVI (t. V, p. 90 de la nouvelle édition).

paysans de tous les partis étaient prêts à tomber sur eux, s'ils croyaient pouvoir le faire sans se compromettre. Une lettre de rémission, accordée par Charles VII en 1448, contient le récit d'une de ces vengeances secrètes dont furent victimes deux hommes enrôlés sous Rodrigue de Villandrando1. Le fait se rapporte à l'an 1434; il eut précisément pour théâtre le Beaujolais, à la défense duquel s'employaient alors les compagnies.

Celle à laquelle appartenaient ces routiers, s'étant répandue autour de Villefranche, y commit tant de dégâts, que les habitants d'un village de la contrée, appelé Saint-Just-d'Avray, abandonnèrent la plupart leurs maisons pour se barricader dans l'église du lieu, d'où ils n'osèrent plus sortir.

Un laboureur qui demeurait dans un endroit écarté de la paroisse fut du nombre de ceux qui ne s'effrayèrent pas et voulut rester chez lui, quoi qu'il dût advenir. Deux hommes-d'armes frappèrent un soir à sa porte. Par aventure c'étaient des gens paisibles qui demandèrent, moyennant rétribution, à souper pour eux et du foin pour leurs chevaux, contents d'ailleurs de boire de l'eau et de coucher sur la paille, si on n'avait ni vin ni lit à leur offrir. Ces procédés honnêtes qui, à cause de leur rareté seule, eussent commandé des égards, ne firent qu'affriander la vindicte du paysan. Il se mit à considérer « les afflictions, rançons, pilleries et batures, et autres maux énormes et innumérables dommages » que le pauvre peuple de son pays avait

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xxxvi.

supportés et supportait encore, tellement qu'il en vint à conclure que ce serait justice rigoureuse de tuer ces gens-d'armes et de les voler, comme eux ou leurs pareils en avaient tué et volé tant d'autres. Il sortit donc quand il fut assuré que ses hôtes étaient endormis, et s'en alla quérir aux environs plusieurs de ses amis, tant pour arrêter en leur compagnie l'exécution de son dessein que pour l'accomplir avec leur assistance. A cinq qu'ils étaient, ils entrèrent furtivement dans l'étable où dormaient les routiers, enlevèrent leurs armes, les garrottèrent, et les emmenèrent bien loin avec leurs chevaux. Arrivés dans un bois sur le coup de minuit, ils firent halte, puis ordonnèrent à leurs prisonniers de se confesser l'un à l'autre. C'était leur dire le sort qui les attendait. Les autres, loin de s'y résigner, commencèrent à remuer les bras, comme s'ils pensaient se dégager de leurs liens; mais aux premiers mouvements qu'ils firent, on les tua avec leurs propres épées qu'on avait eu soin d'apporter à cet effet. Leurs assassins, après les avoir dépouillés jusqu'à la chemise, délibérèrent que deux d'entre eux iraient déguisés vendre les chevaux, non pas à Villefranche, non pas à Beaujeu, non pas même à Lyon, où on aurait pu les reconnaître, mais à Vienne en Dauphiné. Ainsi fut-il fait, et les neuf écus provenant de la vente furent partagés entre eux cinq; et personne ne sut rien de l'aventure jusqu'après la destruction totale des routiers, que le laboureur de Saint-Just alla se dénoncer et demander grâce au roi, dans la crainte d'être inquiété un jour ou l'autre par la justice du duc de Bourbon.

« AnteriorContinuar »