Imágenes de página
PDF
ePub

Quand les militaires de la classe élevée avaient de tels péchés sur la conscience, on se demande de quoi leurs inférieurs ne furent pas capables.

Il faut faire la part du temps ainsi que de l'éducation, et ce serait n'en pas tenir compte que de traiter de scélérats tous ceux qui composèrent alors le gros des armées. Mais il est permis d'affirmer que, parmi ces hommes, il y en eut bien peu qui n'aient été coutumiers de ce que nous appelons des scélératesses. Imbus de l'idée que les armes étaient données au soldat pour faire à l'ennemi tout le mal imaginable, ils contractaient dans la pratique des hostilités d'affreuses habitudes, et trop souvent on les voyait se comporter, sans nécessité ni raison, comme s'ils eussent été dans le cas de légitime défense. De là les cruautés inutiles, les amusements féroces, comme de faire paître aux chevaux le blé en herbe, de jeter le grain et le vin dans les rivières, de démolir les maisons, de mettre les prisonniers à toute sorte de supplices, de faire périr dans les mauvais traitements les femmes, et de préférence les femmes enceintes, enfin de torturer et de massacrer pour le plaisir de voir répandre des larmes et couler le sang'. Mais rien ne réjouissait ces âmes sauvages à l'égal de l'incendie, dont les lueurs sinistres, et les cris qu'il provoque, et la terreur qu'il porte au loin, leur semblaient l'indispensable accompagnement

bouté feux en églises et villaiges, prins et ravy femmes, marchans, laboureurs et autres de divers estaz, etc., etc. » Registres du Trésor des chartes, JJ 176, n° 96, et 179, n° 112.

1 Voir les prohibitions de l'ordonnance royale du 2 novembre 1439. Ordonnances des rois de France, t. XIII, p. 306.

de leur œuvre de destruction. Il y a là-dessus un mot bien cruel, quoique plaisant, ou plutôt parce qu'il est plaisant, du roi Henri V de Lancastre, homme pieux, s'il en fut, peu rieur d'habitude, mais soldat à la ma nière du quinzième siècle. A ses sujets de France, qui se lamentaient à ses pieds des incendies allumés de tous côtés par ses partisans, il répondit : « Bon, bon ! guerre sans feux ne vaut rien, non plus qu'andouilles sans moutarde 1. »

Revenons aux Bourguignons, que nous avons laissés aux prises avec les Français du côté de la Champagne. Une armée que leur duc amena de ses États du nord rétablit, non sans peine, l'intégrité de cette frontière, et donna ensuite la chasse aux partisans qui infestaient les abords de l'Auxois et du Nivernais. Il faut que le comte de Clermont ait eu des craintes pour ses terres, car Rodrigue, appelé du midi en toute hâte, vint exécuter en plein hiver sa diversion accoutumée. Il envahit encore une fois le Mâconnais, et se trouva le jour des Rois, 6 janvier 1434, au pied du mont SaintVincent, avec quatorze cents hommes que commandaient, sous ses ordres, son lieutenant Salazar et le capitaine Chapelle3.

Sur le piton le plus élevé du mont Saint-Vincent est la ville du même nom qui, difficilement accessible à cause de sa position, était de plus à cette époque proté

Jean Jouvenel des Ursins, Histoire de Charles VI, ann. 1420 (p. 565 de l'édition du Panthéon littéraire).

2 Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXIX; Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. II, Comptes de Chalon, B 3670, id.; du Charolais, B3931.

gée par un fort château. Ville et château furent emportés par une audacieuse escalade, et les routiers prirent possession d'une place sans pareille pour le genre d'opérations qu'ils venaient faire dans le pays.

La nouvelle de cet évènement portée au duc de Bourgogne le mit dans une inquiétude extrême. Le soir même il fit partir de Dijon le bâtard de Saint-Pol avec cinq cents hommes-d'armes artésiens, ignorant quelle était la force de l'ennemi; mais l'expédition n'osa pas avancer lorsqu'elle eut appris, par les maraudeurs arrêtés sur les champs, que Rodrigue tenait le Mont SaintVincent avec une force égale. Alors le duc convoqua en toute hâte le ban de la Bourgogne et de la FrancheComté pour seconder les Artésiens, qui s'étaient arrêtés à Buxy en attendant du renfort.

La brillante chevalerie qui répondit à cet appel s'entendait mieux à la parade qu'au métier de la guerre. Au lieu de conduire à couvert son plan d'attaque, elle vint tournoyer au pied de la montagne afin de reconnaître les lieux. Rodrigue compta ses adversaires et se tint pour averti. Sur-le-champ il ordonna de fermer les portes de la ville et envoya ses hommes dans les maisons faire main basse sur les objets qui se pouvaient emporter.

On fit des ballots de tout ce qui en valait la peine, et le soir, pendant que les Bourguignons concertaient autour des feux leurs manœuvres du lendemain, nos gens délogèrent sans lumière et sans bruit, s'éloignant avec leur butin par les chemins des bois. On en était encore, dans le camp bourguignon, à la surprise

de ce brusque départ, que déjà ils étaient parvenus à refuge dans le Bourbonnais1.

Il semble qu'à la suite de cette retraite Rodrigue soit allé chercher le reste de ses bandes, toujours cantonnées dans le Gévaudan d'où elles continuaient de menacer le Rouergue et tout le Bas-Languedoc. L'alarme était entretenue à Nîmes par des lettres du consulat de Milhau3. On s'attendait partout dans la sénéchaussée à une nouvelle irruption du terrible capitaine; mais loin de songer à porter ses pas de ce côté, quand il se mit en route, ce fut pour retourner à la frontière bourguignonne. On sut à Dijon, dès les premiers jours de mars, qu'il stationnait à proximité de Charlieu avec des forces considérables

La reprise des hostilités fut différée à cause d'une grande assemblée qui allait se réunir à Vienne, et d'où l'on s'attendait à voir sortir du changement quant

1 Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXIX.

Ci-après, Pièces justificatives, n° xxxII; Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 183.

3

༥ Pardevant le viguier de Nismes, François Aurillac a reçu, le 4 avril 1433 (v. st.), du trésorier de Nismes 22 moutons d'or taxés par mandement du seneschal de Nismes et de Beaucaire, du 21 mars précédent, pour avoir été de Nismes à Masères (château du comte de Foix) porter audit séneschal certaines lettres des gens du Conseil du roy, estans audit lieu de Nismes, et de plusieurs barons, nobles, scindicz et consulz, manans et habitans de la ville du Puy et des pays de Velay et de Gévaudan, faisans mencion de Rodigo et plusieurs autres gens d'armes et de traict, lesquels se efforcent d'entrer eu présent païs de Languedoc, et dès jà sont près des mettes et fins de laditte seneschauciée. » Note qui m'a été communiquée, et dont j'ai perdu la provenance.

4 Marcel Canat, Documents inédits, etc., p. 340; Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. II, Comptes du Charolais, B 3931.

5 Chronique du héraut Berry, dans Godefroy, Histoire de Charles VII, p. 387.

à la situation du royaume. Pour la première fois depuis son sacre, Charles VII s'était décidé à tenir cour plénière. Il en trouvait l'occasion dans sa réconciliation récente avec son connétable Artus de Richemond, et dans les adieux qu'il lui convenait de faire à la reine présomptive de Naples et de Sicile, femme de son beaufrère Louis d'Anjou, que la princesse allait rejoindre en Italie. Le roi, ayant choisi la métropole du Dauphiné pour y réunir les députés de ses pays d'états du midi1, avait invité à venir le trouver au même lieu les princes français et les ambassadeurs des puissances amies, notamment ceux du concile de Bâle; car les pères du concile poursuivaient la pacification du royaume avec autant et plus d'ardeur que la réforme de l'Église, et ils avaient des agents diplomatiques partout où ils pensaient que cette question si grave pût être utilement abordée.

Rodrigue assista à la réunion de Vienne en compagnie des Bourbons qui y étaient venus tous ensemble. Le duc prisonnier étant mort depuis peu, son titre venait de passer au comte de Clermont, son fils aîné: son titre et sa dignité, car à la couronne ducale de Bourbon était attaché l'office de grand-chambrier de France. Le nouveau duc exerça en grande pompe les devoirs de cette fonction, le roi séant à table'.

1

« Fist et tint le roy de France ung conseil, à Lyon sur le Rosne, des trois estaz du pays, c'est assavoir du Languedoc, du Dauphiné et du Limosin.» Chronique des Pays-Bas, de France, etc., dans la Collection des Chroniques inédites de Flandre, pnbliée par M. de Smet, t. III, p. 418. L'auteur a nommé Lyon à la place de Vienne, trompé sans doute par les lettres d'une première convocation, où Lyon avait été désigné comme lieu de l'assemblée.

2 Berri, 1. c.

« AnteriorContinuar »