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cile et de tous les vrais fidèles, disait-il, serait acquise à celui qui prendrait la défense du droit contre les violences d'une famille criminelle. Finalement il l'exhorta à se proposer pour ce rôle glorieux.

Rodrigue ayant écrit à l'assemblée de Bâle conformément au conseil du prélat, la délibération suivit de près sa lettre. Par un décret rendu dans le temps où il célébrait son mariage en Bourbonnais, le concile, au nom de l'Église universelle, arma le bras du comte de Ribadeo, afin que, par lui, la cité pontificale fût préservée de l'outrage qui la menaçait1.

Par quel côté Rodrigue pénétra-t-il dans le Comtat? Quelles opérations poursuivit-il pour l'accomplissement de sa mission? Voilà ce que je n'ai trouvé dit nulle part. On voit bien qu'une partie des routiers prirent position dans la senéchaussée de Nîmes', afin d'inquiéter le comte de Foix qui avait établi son quartier général à Villeneuve, au bout du pont d'Avignon. Au sujet des compagnies qui traversèrent le Rhône, nous ne possédons qu'un témoignage indirect: une plainte d'Eugène IV contre le concile qu'il accuse d'avoir déchaîné sur les terres de l'Église le meurtre, le pillage et l'incendie3.

Le comte de Foix, pendant qu'il se tenait à Villeneuve, fit une chose excessive. Trouvant insuffisants les impôts votés à Béziers au mois de mars précédent, il convoqua de nouveau les États du Languedoc, et les

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<< Unde tot guerrarum strages, tot rapina, tot homicidia, tot incendia suborta sunt. » Dans Raynaldi, Annales ecclesiastici, t. IX, p. 134.

obligea de lui venir octroyer d'acclamation, dans son camp, le surcroît d'une contribution de guerre énorme: 70 000 moutons d'or qui s'ajoutaient à 120 000 déjà payés. Le seul motif allégué pour justifier cette extorsion fut la nécessité de résister à Rodrigue1. Or n'était-il pas clair à tous les yeux que l'ennemi auquel on faisait la guerre n'était pas Rodrigue, et que la résistance aux routiers n'eût pas exigé qu'on s'engageât dans les frais d'un siège dispendieux? Mais ces anciennes assemblées d'États, assemblées payantes plutôt que délibérantes, n'étaient pas plus maîtresses de se soustraire aux fictions gouvernementales que de refuser les contributions qu'on les mettait en demeure de voter.

Dès que le comte eut de l'argent, il poussa son siège avec une vigueur extrême. A défaut de ces gros canons, dont des armées mieux pourvues que la sienne faisaient usage pour pratiquer la brèche, il employa contre Avignon les ressources de l'ancienne artillerie. Il fit construire de ces grandes catapultes, appelées trébuchets, au moyen desquelles des quartiers de roche pouvaient être lancés à des distances considérables. Une grêle de ces projectiles tombant sur la ville produisit l'effet d'un bombardement. Des maisons furent effondrées, des personnes écrasées, et les Avignonnais

Ci-après, Pièces justificatives, n° xxvii.

2 « Grans engens ab los quals abatia et derocava los hostals de la dita ciutat d'Avinho. » Miguel del Verms, p. 595. On a, pour cette année même 1433, les comptes de construction de plusieurs de ces machines exécutées pour le duc de Savoie, à Bourg-en-Bresse. Mémoires de l'Académie royale de Savoie, deuxième série, t. I, p. 203 (1851).

commencèrent à trouver leur sort bien rigoureux. Une sédition éclata sur ces entrefaites. Un parti, qui voulait le rétablissement de l'obéissance au Saint-Siège, saisit l'heure propice. Les armes de Carillo furent abattues, et l'archevêque d'Auch, jeté hors du palais des papes, sortit de la ville par une poterne, tandis que le cardinal de Foix y faisait son entrée triomphale sous l'étendard de ses deux frères.

Rodrigue n'eut qu'à s'éloigner du Comtat avec le butin qu'il avait fait. Il repassa le Rhône, nous ne savons sur quel point, pour rallier les corps qu'il avait laissés sur la rive droite du fleuve. La saison n'était pas avancée. Il employa le reste des beaux jours à une exécution en grand sur les Languedociens, et principalement sur ceux du Rouergue.

Pourquoi cette préférence donnée au Rouergue? Le comte d'Armagnac, comme comte de Rodez, exerçait sur cette partie de la province une sorte de protectorat qui, à ce qu'il semble, aurait dû la préserver de la visite de Rodrigue; car Rodrigue n'avait pas rompu avec le chef de la maison d'Armagnac. Loin de là; dans son récent traité avec le vicomte de Turenne, tout en s'obligeant à servir ce seigneur envers et contre tous, il avait fait exception pour le comte d'Armagnac aussi bien que pour M. de la Trémoille'. Bien plus, il venait de servir l'intérêt et la passion du comte d'Armagnac par sa guerre contre le cardinal de Foix. Et voilà qu'au retour de cette guerre il livre au ravage un pays

1 Ci-après, Pièces justificatives, no xix.

couvert des propriétés de ce même seigneur, et qu'il expose ses sujets à des violences dont on n'a pas l'idée.

Vouloir donner l'explication de ces faits contradictoires serait trop s'aventurer. Contentons-nous de rapporter un acte horrible, au sujet duquel le comte d'Armagnac fit faire par sa justice une information qu'il destinait, selon toute apparence, à devenir plus tard le fondement d'une poursuite criminelle'. Ce sera un trait de plus au tableau des mœurs de ce temps-là.

Une famille de chevalerie du nom d'Apchier, qui fut des premières en Gévaudan, se composait alors du père, de deux fils légitimes et d'un bâtard. Tous les quatre s'étaient attachés à la cause de Charles VII et servirent avec valeur, tantôt dans les compagnies régulières, tantôt à la tête d'une bande qu'ils firent et défirent tour à tour, suivant que leur convenance ou la nécessité les y portait. Ils étaient de toutes les parties où il Ꭹ avait des coups à donner, et aussi de celles au bout desquelles on était sûr de trouver son profit. Aucune entreprise de routiers conduite dans leur voisinage ne les trouva indifférents. Ils s'y rendirent toutes les fois, sans qu'on eût eu besoin de les inviter.

Or, tandis que les bandes de Rodrigue amenées en Rouergue dévastaient les villages entre Milhau et Entraigues, le bâtard d'Apchier accourut à la tête d'une vingtaine d'individus armés. Le hasard ou des renseignements qu'il avait pris le conduisirent au village de

1 Pièces justificatives, n° XXIX.

Fernugnac, qui était une seigneurie appartenant au comte d'Armagnac.

Informé que les habitants avaient caché en un même lieu leurs plus précieux effets, il se saisit de la personne de l'un d'eux, afin de se faire dire par lui l'endroit de la cachette. Cet homme refusant de parler, il le mit à la torture. Le supplice consista à l'exposer tout garrotté devant un feu violent et à le mettre aux abois en l'approchant peu à peu de la flamme. Le secret qu'on voulait avoir ne sortit de la bouche de ce malheureux que lorsque son corps n'était déjà plus qu'une plaie et son cas désespéré. Il expira le lendemain dans d'horribles souffrances. Le bâtard cependant avait mis la main sur le trésor du village. Il le taxa au prix de cinquante écus d'or, et ne s'éloigna pas que cette somme ne lui eût été comptée par les habitants.

Les états de service des quatre Apchier contenaient un certain nombre de prouesses de cette sorte, qui furent cause qu'ils jugèrent prudent, après que l'ordre eut été rétabli dans le royaume, de se faire délivrer par Charles VII un acte d'abolition de tout ce qui aurait pu donner lieu à poursuite, dans leur passé1.

1 Rémission octroyée à Montauban, au mois de janvier 144, et renouvelée à Tours en avril 1448, à la « supplication de nos amez et féaulz Bérault d'Apchier, chevalier, Jehan et François d'Apchier, fières, enfans légitimes dudit Bérault, et Gonnet d'Apchier, son filz illégitime, etc., ...lesquelz et aussi autres qui ont esté et se sont mis soubz eulz, ...ont fait, commis et perpetrez plusieurs grans maulz, déliz, maléfices, pilleries, roberies, raenconnemens de places, villes, églises et forteresses en divers lieux de nostre royaulme, où ils ont tenu les champs, dès longtemps a, et semblablement ont les aucuns de leurs compaignies et estant soubz eulz,

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