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A la façon dont on comprend actuellement les recherches historiques, il faut renoncer à la prétention de les faire complètes, surtout si le sujet que l'on traite appartient aux siècles avancés du moyen âge. La difficulté tient à la dispersion des documents non moins qu'à leur abondance. Aussi serait-on mal fondé à donner comme définitive une composition, si laborieusement préparée qu'elle ait été, dont les matériaux appartiennent à l'immense répertoire de cette époque. L'ambition en pareille matière doit être de se borner à proposer des essais, que les chercheurs futurs auront à corriger ou à augmenter au hasard des pièces qui leur tomberont sous la main.

Quoique doublé de volume et presque entièrement refait dans les parties conservées de la première édition, le présent ouvrage ne vise donc pas à être autre chose qu'un essai. Nul doute que d'autres documents ne s'ajoutent encore à ceux qui ont permis de l'amener au point où il est. Tous nos dépôts d'archives ne sont pas encore inventoriés; plus d'une chronique manuscrite du quinzième siècle reste à publier, et il me semble difficile que l'Espagne ne fournisse rien de plus que ce que j'ai pu en obtenir. Quelles que soient cependant les découvertes à venir, je crois pouvoir affirmer d'avance qu'elles ne changeront ni

la physionomie du personnage ni le caractère de ses actions.

L'intérêt de sa vie est de montrer jusqu'à quel point les institutions militaires furent confuses dans la France du moyen âge, et combien de maux l'on eut à souffrir avant qu'il sortît de là un commencement de régularité. Non seulement Rodrigue de Villandrando vit ce changement s'accomplir au cours de sa carrière, mais on peut dire qu'il fut l'un de ceux qui contribuèrent le plus à l'amener. En abusant au delà de toute mesure d'une force désordonnée qui détruisait le pays pour arriver à le défendre, il fit naître l'idée de fonder sur une armée permanente la sécurité du dedans et du dehors: il fut comme ces fléaux qui, par leurs ravages, ont suscité la découverte des principes de la salubrité. Sinistre recommandation, il faut en convenir, si elle était la seule qui s'attachât au nom de ce capitaine; mais l'équité veut que l'on ait égard à ce que, étranger comme il était, il s'attacha avec une fidélité inébranlable à la cause de la France, quand la cause de la France était désespérée. En tenant compte de sa constance, et de la part considérable qu'il eut dans maints combats glorieux et décisifs, et surtout de ce que, par des démonstrations incessantes, il déconcerta pendant de longues années les plans d'attaque de l'ennemi,

le bien mis en balance a ec le mal, on est amené à conclure qu'il ne fit ni pis ni moins que beaucoup d'autres hommes à qui une place honorable a été assignée dans l'histoire de son temps.

Que si des moralistes sévères trouvent sans compensation ni excuse la plupart des choses qu'il a faites, je persisterai à croire qu'elles méritaient d'être mises en récit, ne fût-ce que pour témoigner de l'un de ces accès d'étonnante anarchie que, sous le couvert d'un ordre réputé impertubable, chacun des siècles passés a vus se renouveler en France, et dont la gravité échappe aux yeux de trop de personnes à cause de l'illusion produite par la continuité des règnes. C'est pourquoi j'ai transformé en un livre à l'adresse du public un mémoire qui ne fut composé d'abord que pour le monde restreint des érudits et des curieux.

VIE

DE

RODRIGUE DE VILLANDRANDO

Si l'homme qui porta le nom magnifique inscrit dans ce titre revenait d'entre les morts, il ne pourrait pas dire de lui les paroles que Brantôme a mises dans la bouche d'un de ses compatriotes : « A quoi bon discourir de ma valeur et de mes hauts faits, quand l'univers entier en est instruit1? » Il s'en faut que l'univers connaisse les hauts faits de Rodrigue de Villandrando, et que sa valeur soit un sujet d'entretien parmi les hommes. En Espagne, où ses services lui valurent de son vivant des honneurs extraordinaires dont sa postérité jouit encore, le peuple ne parle de lui que comme d'un adolescent à qui une mort prématurée n'aurait pas laissé le temps de s'illustrer par les armes. La France, qui fut le théâtre principal de ses exploits, a montré encore moins de mémoire. Jusqu'au moment où elle oublia tout à fait le nom de cet étranger, la seule idée

1 No hay necesidad de contar mi valor e virtudes que todo el mundo las sabe. Rodomontades espagnoles.

2 Voy. la légende rapportée ci-après, Pièces justificatives, no Lxxx.

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