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ait traduit dès lors en grec plusieurs ouvrages de Thomas d'Aquin, sur lequel les traducteurs grecs se sont souvent exercés depuis (1). Quoiqu'il en soit de ces suppositions, nous ne pouvions pas trouver un fait plus expressif que celui-ci. Les Grecs traduiront encore au quatorzième siècle des ouvrages de nos théologiens; qu'il nous soit permis de voir dans cet hommage la preuve de l'estime que l'Orient ne refusait pas aux conceptions de notre esprit français.

XXXIV.

Le XIV siècle, si inférieur en tout au XII® et au XIII, ne verra pas dans notre France s'augmenter beaucoup le zèle pour les études grecques. Du moins il ne laissera pas périr les manuscrits que l'activité du siècle précédent avait tirés de l'Orient, déchiffrés et tant soit peu éclairés à la lueur du latin. Toute l'ardeur des écoles se portera sur Aristote. C'est dans ce maître que l'on continuera à puiser cette abondance d'arguments, de syllogismes et même de sophismes, auxquels on opposa quelquefois la menace des peines infernales. Ainsi, vers 1330, un bachelier, pour prémunir son maître contre les vanités du monde, sort de sa tombe, apparaît sous le poids de sa chape de parchemin toute noircie de « menue lettre escolière » et accuse de ses souffrances la logique qu'il avait apprise à Paris (2).

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Cependant Aristote, malgré tant d'arrêts souvent renouvelés contre lui, est absous presque sans restric

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(1) Scrip. Ord. Præd. t. 1, page 460. Hist. litt. de la France, t. XIX, p. 248,- même ouvrage, t. XX, p. 266.

(2) Etat des lettres au XIV siècle. Vict. Le Clerc, p. 502.

tion par la bulle du 6 juin 1366. Mais s'il reste maître désormais de l'école sans trouble ni contestation, on cesse de l'étudier dans le texte. Les versions latines entreprises dans les dernières années du XIIIe siècle suffisent aux savants. Au temps où Jean de Jandun, vers l'an 1322, commente tout Aristote, on voit bien apparaitre la traduction latine de quelques textes Aristotéliques, les commentaires du frère prêcheur Hervé Nédelec (Natalis) sur les catégories et les livres de l'interprétation; on ne peut pas en conclure pourtant qu'en dehors de l'ordre des frères prêcheurs l'étude du grec soit bien florissante. Les leçons sur Aristote du frère mineur François de Mayronis, du bénédictin Engelbert; plus tard celles de Gui de Perpignan, de Guillaume Sudré, d'Adam Ferrier, de Buridan; les gloses de Nicolas Aimé sur les analytiques, les leçons même de Duns Scot, toutes les élucubrations sur Aristote que renferment les deux anciens catalogues de la bibliothèque de Sorbonne (1290-1338) accompagnées d'éclaircissements arabes, traduits en latin d'Alfarabius, d'Algazel, d'Avicenne et d'Averroës, » ne prouvent pas que ces interminables discussions prissent leur point de départ dans une connaissance solide du texte grec. Nicole Oresme, qui traduisit Aristote, ne le connaissait que par des versions latines; il faut d'autant plus louer la sagacité de son esprit qui « devine quelquefois la sévère justesse du style original (1).

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Il faut bien le reconnaître, le grec n'est pas en progrès. Gradenigo (3) fait honneur au pape Clément V d'avoir recommandé l'étude de la langue grecque,

(1) Le roi Robert faisait chercher partout des livres grecs, mais à l'exccption des ouvrages philosophiques d'Aristote, qu'il fit traduire en latin par Nicolo Ruberto (ces manuscrits sont à la Bibliothèque de Paris), ces traductions étaient des ouvrages de droit, Victor Le Clerc, ibid., p. 500.

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mais la crainte du schisme persévère, et entretient contre l'hellénisme une prévention funeste. On n'est pas éloigné de partager l'opinion de Joachim de Flore qui pensait que la Grèce à cause de ses hérésies devait être abandonnée aux infidèles. Si les dominicains continuaient à aller apprendre la langue à Constantinople même, ils n'eurent que peu de disciples chez nous; les prélats avaient même renoncé à l'habitude qu'ils avaient prise au IX° siècle de signer leur nom en lettres grecques, comme on signa, plus tard en lettres hébraïques. La culture de cette langue des Pères grecs, qu'il eût fallu savoir pour mieux travailler à la réconciliation, tomba dans un tel discrédit qu'un envoyé de l'empereur Manuel Paléologue, à Lyon, en 1395, ne put être compris de personne (1).

Pour voir à Paris quelques ouvrages grecs il fallut que le Candiote Pierre Philargus ou Philarète, avant d'être le pape Alexandre V, les traduisit en 1380 (*). A la même époque, un anonyme, dit Victor Le Clerc, avait osé se faire l'interprète des Hypotyposes pyrrhoniennes de Sextus Empiricus, où il parle naïvement de ce qu'il ne comprend pas, et ne comprend pas toujours ce qu'il traduit (3). Au moins, n'est-il pas exposé, puisqu'il voit ces textes à prêter aux plus graves auteurs des historiettes burlesques comme celle que Bernard de Gordon, médecin de Montpellier (XIV° siècle), raconte d'Hippocrate. «Hippocrate, dit-il, rapporte qu'un jeune homme, debout devant une fenêtre et tenant un enfant, dit à des gens de sa connaissance qui passaient : « Le voulez-vous?» Ceux-ci ayant répondu : « Oui » il leur jeta l'enfant qui se tua. Chez ce patient l'imagination

(1) Victor Le Clerc, Ibid, p. 426.

(2) Hist. n. 855, p. 341. Fonds de Sorbonne, no 1147, cité par Vict. Le Clerc, p. 426. (3) Ibid, p. 426.

n'était pas lésée, car il savait bien qu'il tenait un enfant; mais la raison était lésée, car il pensait que l'enfant ne se ferait aucun mal (').

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Guillaume Fillastre, dit le même savant, avait alors la réputation d'helléniste, et l'on pourrait citer quelques autres noms; mais il faut descendre jusqu'à l'an 1458, jusqu'à Grégoire Tifernas, pour trouver à Paris une chaire de grec désormais permanente. L'Université qui l'institua, exigea de ce grec réfugié deux leçons par jour, l'une de sa langue maternelle, l'autre de rhétorique, pour donner enfin plus de place aux études littéraires dans l'enseignement supérieur. Les disciples de Grégoire furent les maîtres de Reuchlin (2).

Quelques personnes ont voulu retarder jusqu'en l'année 1362 l'établissement du collége grec ou de Constantinople qu'on place aussi vers l'an 1206. Le cardinal Capoci aurait eu l'honneur de le fonder rue d'Amboise (un des noms de la rue du Fouarre), mais un acte de cette année nous apprend que ce collége était déjà ancien et tombait en ruines (3). On peut croire après cela qu'il n'était pourtant pas rare de trouver en France des Grecs qui s'y étaient fait une réputation par leur savoir. Tel était ce jeune homme « physicien (c'est-à-dire médecin dans la langue du temps) très grant clerc, parlant bel latin et moult argumentatif. » Charles le Mauvais espérait que, grâce à son esprit, il pourrait s'insinuer auprès de Charles V, et profiter de sa confiance pour l'empoisonner. C'était en 1371. Angel, dit-on, s'enfuit plutôt que d'obéir au Navarrais, qui prit le parti de le faire noyer. On peut s'étonner avec raison

(1) Hist. litt. de la Fr., t. XXV, p. 321, article sur Bernard de Gordon. (2) Victor Le Clerc, Ibid, p. 426.

(3) Jaillot, quartier de la place Maubert, p. 91, cité par Vict. Le Clerc, t. II, p. 38.

que

des bruits populaires se trouvent si favorables à un grec et à un médecin (1).

L'Italie était plus heureuse que la France. A raison des nombreuses relations qui n'avaient cessé d'exister entre elle et Byzance, elle continua d'être le refuge des grecs, qui, soit par ambition, soit par nécessité, abandonnaient leur pays. Souvent aussi elle envoya dans l'empire d'Orient des hommes curieux de s'instruire (*). C'est ainsi que dans la première moitié du XIVe siècle le moine Bernard Barlaam de Seminara, en Calabre, partit pour Constantinople, gagna la confiance d'Andronic le jeune, et fut chargé par lui de travailler à la réunion des deux églises. Il ne réussit dans sa mission qu'à se rendre suspect à son protecteur. Il fut donc obligé de revenir dans son pays. Évêque à Geraci, puis à Locri, il parut auprès du pape dans Avignon. C'est là qu'il connut Pétrarque et lui enseigna les premiers éléments de la langue grecque. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà dit ailleurs sur ce point, ni sur les leçons de Léonce Pilate, l'élève de Barlaam, et le maître de Boccace. Ils ont été les précurseurs de la Renaissance, et, bien avant la chute de Byzance, ils ont essayé de lui ravir ses plus précieux trésors. La chute de Constantinople, et son asservissement à des Barbares fanatiques, n'était pas nécessaire à l'enseignement du monde.

Manuel Chrysoloras, élève du platonicien Gémiste

(1) Vict. Le Clerc, t. I, p. 521, qui cite Secousse. Hist. de Ch. de Navarre. t. I, part. 2, p. 153.

(2) Il n'y avait pas d'homme savant s'il n'avait été faire des études à Constantinople: « Nemo latinorum satis videri doctus poterat, nisi per tempus Constantinopoli studuisset. Quodque florente Roma doctrinarum nomen habuerunt Athenæ, id nostra tempestate videbatur Constantinopolis obtinere. Inde nobis Plato redditus, inde Aristotelis, Demosthenis, Xenophontis, Thucydidis, Basilii, Dionysii, Origenis et aliorum multa latinis opera diebus nostris manifestata sunt. » En. Sylvii Epistolæ, Basilis 1571, 705.

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