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neur. On la voit en inspirer le goût à son fils Otton III. Nous avons parlé plus haut de la demande que ce prince faisait à Gerbert de lui apprendre le grec et l'arithmétique. Il voulait que le savant français le perfectionnât dans cette science. Il lui écrivait donc : « Volumus vos Saxoniam rusticitatem abhorrere, sed Græciscam nostram (a matre acceptam) subtilitatem ad id studii magis provocare quoniam si est, qui suscitet illam, apud nos invenietur Græcorum industriæ aliqua scintilla. Cujus rei gratia, huic nostro igniculo vestræ scientiæ flamma abundanter apposita, humili prece deposcimus, ut Græcorum vivax ingenium Deo adjutore suscitetis, et nos arithmeticæ librum edoceatis, ut pleniter ejus instructi documentis aliquid priorum intelligamus subtilitatis. » Il nous semble que les rédacteurs de l'Histoire littéraire de la France dont nous avons rapporté le témoignage ('), et M. Cramer, qui le reproduit, se trompent sur le sens de ce passage. On ne peut pas en induire qu'il demandât à Gerbert de lui apprendre le grec, il en avait reçu l'enseignement de son maître Jean de Calabre et de sa mère, mais il veut perfectionner son éducation par l'arithmétique. Il se sent disposé par les dons de sa naissance à faire des progrès dans cette science, il se rend bien compte des qualités heureuses qu'il doit au sang grec qu'il a reçu; il n'a besoin que d'une chose, c'est qu'on excite son génie naturel et qu'on le perfectionne. Gerbert rend de son côté également hommage à la facilité grecque de son esprit; il reconnaît en lui une faculté oratoire qui l'étonne, et il fait ressortir ce qu'il y a de singulier dans la personne de ce prince, romain par son père, grec par sa mère, qui peut puiser des deux mains aux trésors de l'Italie et de la Grèce : « Ubi nescio quid divinum ex

(1) T. VI, p. 588.

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primitur, cum homo genere Græcus, imperio Romanus quasi hereditario jure thesauros sibi Græcæ ac Romanæ repetit sapientiæ (1). "

Otton III avait également pu apprendre le grec dans la conversation de son père. Celui-ci n'avait dû son salut qu'à la connaissance de cette langue, dans la grande défaite qu'il subit en Calabre (982) contre les Grecs et les Sarrasins réunis. Il put se faire passer pour un grec et un simple soldat, en parlant grec avec les ennemis qui l'avaient fait prisonnier. Joignant beaucoup d'audace et d'agilité à ce premier avantage, il sauva sa vie et sa couronne dans cette circonstance difficile (2).

XXVI.

Gian Girolamo Gradenigo a recherché les noms des écrivains d'Italie qui, du XIe siècle au XV, ont connu la langue grecque. Nous empruntons à son travail intitulé Ragionamento istorico-critico intorno alla letteratura Greco-Italiana (3) les renseignements qui suivent.

Il s'étonne que Vossius, dans son étude de Scriptoribus Græcis, que Boechler, dans son petit traité de Scrip

(1) Gerberti, Epist. 54; Duchesne, Script. Francorum, t. II, p. 789-827. (2) Martin Crusius. Annales Suevici. p. 147. Voici comment Sigonius raconte cette aventure: «Terrore namque tantæ defectionis perturbati, violenter incubantibus hostibus, fusi, concisi, fugati fuere. Ac victor exercitus si recta Romam contendisset, haud difficulter ejus potitus fuisset... thesauri imperatoris capti et direpti. Ipse abjectis impedimentis, fugere contendit ad sinum Carentinum, oppidumque in eo littore Rossanum... Persequentibus vero Sarracenis, in mare desiliens, natatu elabi conatur. Sed ab hostium manibus interceptus, inque navim sublatus, se militem gregarium simulat græce cum eis colloquens, ac vim auri sibi esse Rossani dicens. Quo allato ad littus, dum illi pecuniis avidius intenti, Ottonem minus observant, saltu is se proripit, equum pernicem arripit, in eum se conjicit, velocissime Rossanum avolat; ad uxorem evadit. Ita divinitus, beneficio ignorationis hostilis, scientia linguæ græcæ, vigore mentis, agilitate corporis, conservatus est. >

(3) Brescia, 1759.

toribus græcis et latinis ab Homero ad initium sæculipost Christum natum decimi sexti (1708) n'aient fait aucune mention des hellénistes italiens, dont ils s'est appliqué à retirer les noms de l'oubli où ils étaient tombés. Laurent Inghevald, Laurent Reinhard, ont partagé la même erreur. Quand ils ont voulu parler de la restauration des lettres grecques en Italie, en Allemagne, en France, ils ont négligé d'étudier le moyen âge. Ils ne font remonter qu'à Manuel Chrysoloras, les premières connaissances du grec en Europe ('). Humphry Hody (1742) va un peu plus loin dans son livre De Græcis illustribus linguæ Græcæ, etc, mais il ne dépasse pas l'époque où vivaient Pétrarque et Boccace, auxquels il attribue la gloire de s'être les premiers appliqués à l'étude de la langue grecque. Eusèbe Renaudot, dans sa dissertation sur les Traductions Arabes d'Aristote, n'est guère plus favorable au moyen âge que les auteurs cités plus haut. Il n'attribue qu'à un très-petit nombre de savants la connaissance des lettres grecques. Il affirme que, malgré la fréquence des relations de l'Occident avec Constantinople, nos écrivains n'ont presque point tiré profit des livres grecs (2).

Adrien Valois était mieux renseigné quand, dans ses notes sur un éloge anonyme de l'empereur Béranger, publié par Muratori (3). il disait que depuis

(1). P. 10.

(*) P. 21. « Licet ab anno 1096, quo Hierosolymitana urbs in christianorum potestatem venit, multa essent Græcos inter, atque Europæos commercia, pauci tamen admodum ex istorum numero grace sciebant, et ex ipsa Græcia studiis humanioribus, aut philosophicis subsidium ex transmarina expeditione exiguum omnino comparatum est, vel prope nullum. »

(3) T. II, p. 1. Scriptorum rerum Italicarum, p. 587, « Post occupatum a Carolo, magno imperium occidentis, cum nostros inter et Græcos crebra essent epistolarum commercia, cœpit in occidentalibus nosci, et in usu esse lingua græca, quod qui scriptores nostros Eginardum, Abbonem, Luitprandum, Dudonem, aliosque legerit facile agnoscet græca verba, aut proverbia latinis inserta. »

Charlemagne, la langue grecque avait été connue et úsitée dans l'Occident.

C'est à dissiper cette ignorance presque générale, et à réparer l'injustice faite aux Italiens hellénisants que Gradenigo a consacré ses efforts.

Au commencement du XI° siècle, on vit apparaître en Italie quelques lueurs des études grecques. Des artistes venus de Constantinople fondirent les portes de la basilique Saint-Paul à Rome, et l'on y pouvait lire en caractères grecs les noms de quatre prophètes, Baruch, Ezéchiel, Daniel et Joël (1). C'était en introduisant à Rome tout à la fois leurs arts et leur langue que les moines grecs payaient l'asile, que les papes leur accordaient avec une si grande bienveillance (2).

Dès le XIe siècle à Rome, l'usage du grec s'était introduit dans la liturgie et dans le chant des psaumes. A Saint-Pierre, le grec s'unissait avec le latin dans la célébration des louanges du Seigneur. Les psaumes, les leçons, les symboles et d'autres prières se chantaient souvent dans les deux langues, comme on peut le voir dans les livres de liturgie publiés par le cardinal Tommasi et par Mabillon (3). On en trouve encore une preuve dans les lignes suivantes tirées d'un opuscule intitulé, Bibliotheca Veronensis MS, produit par le marquis Maffei : « Apostolorum symbolum et oratio dominica super masculos et feminas dicuntur et expo

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(1) VIIIe s. « Quare et in valvis æneis seculo XI, pro eadem basilica S. Pauli via ostiensi constructa, tam majores quos vocant, quam minores (propheta) recensentur ut constat ex litteris superstitibus quamplurium ex unoque numero ibidem adhuc spectandis nempe BAPOYX, IEZEXIHA, AANI HA, IQHA. » P. 29.

(2) P. 30. Ut enim ea ætate (dit Fapebrok), frequentes e græcia advenie bant monachi eleganter scribendi pingendique periti iconomachorum principum declinantes vesaniam; ita eorum imitatio passim crescebat in mo. nasteriis, et græcanicæ litteraturæ affectatio placere incoeperat etiam latine scribentibus.

(3) P. 31.

nuntur græca et latina lingua »; et ailleurs : « Leguntur igitur (sabbatho sancto) in quibusdam ecclesiis XXIV lectiones, XII græce, XII latine; græce propter auctoritatem LXX interpretum, quorum auctoritas floruit in græcia; latine propter auctoritatem Hieronymi, cujus translatio prævaluit in italia. » Il est vrai de dire que les lignes grecques sont écrites en caractères latins, et cela ne nous oblige pas à croire que le grec fût alors connu de ceux qui lisaient ou récitaient ces leçons (').

Au mème siècle on trouve des actes publics écrits en grec et en latin. Gradenigo en rapporte deux exemples. Un jugement rendu à Pavie en présence de l'empereur Henri II, l'an mil quatorze, offre entre autres signatures, la suivante écrite en grec et en latin Sicgefredus EYTH PHAOYE (3). Une seconde ordonnance rendue au nom de l'empereur dans la même année, à Pavie, offre la même signature en deux langues; on rencontre encore la même particularité dans une charte de l'année 1043 (3).

Voici des preuves plus concluantes: Un certain Papias appelé Papia Lombardo, a écrit, vers l'an mil, un dictionnaire latin étymologique, ou élémentaire dédié à

(1) P.33. La France, à la même époque, ve restait pas en arrière dans l'étude du grec, s'il est vrai que le duc Richard II, mort en 1028, attirait près de lui par ses bienfaits et ses récompenses, des évêques, des clercs, des abbés, des moines. On vit même des Grecs et des Arméniens quitter leurs pays et aller illustrer la Normandie par leur présence et leur savoir. Tous les ans, il venait auprès de lui un moine du mont Sinaï, Saint Siméon, qui savait cinq langues : l'égyptien, le syriaque, l'arabe, le grec et le latin. C'est de là sans doute que vient le manuscrit grec signalé par les rédacteurs de 'Histoire littéraire de la France, sous le n° 4954, qui contient l'office ecclésiastique à l'usage des grecs. Il y est marqué qu'il fut fait en 1022 par un moine nommé Hélie. « Et ce qui fait croire que ce copiste était normand et qu'il écrivait en Normandie, c'est que son manuscrit est enrichi de l'alphabet des norvégiens. Il y a beaucoup d'apparence que l'original sur lequel fut faite cette copie, avait été apporté en France par quelqu'un de ces moines grecs, qui y venaient recueillir les aumônes du duc Richard. » (Hist. litt. de la France, t. VII. p. 67.)

(2) Muratori, Antichità Estensi, c. 54. ($) P. 33.

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