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savait observer et peindre ; son dialogue est naturel et ses caractères sont d'une grande vérité. Personne ne saisissait mieux que lui les superficies ridicules de la société. C'était en cela qu'il excellait et qu'il montrait une sorte de profondeur et de génie.

Ses proverbes eurent une vogue si universelle, que pendant long-tems on ne joua autre chose en société et dans les châteaux. Le Mercure même se fit rival de sa gloire, et tous les mois il enrichit ses pages de proverbes dramatiques. On vit se former dans Paris des troupes libres d'hommes facétieux qui courraient les cercles, et sous le prétexte de jouer des proverbes, s'amusaient à contrefaire des gens ridicules et bien connus. Le baron de Grimm nomme parmi les artistes les plus célèbres de ces sociétés dramatiques, le comte d'Albaret, une demoiselle Delon, de Genève, qui se faisait appeler la marquise de Luchet, l'avocat Coqueley de Chaussepière si connu par le mot de Linguet, et le fameux milord Gor, le premier et le plus illustre des mystificateurs.

Ce qui faisait sur-tout le mérite de ces sortes de pièces, c'était la liberté que prenaient les acteurs d'improviser une partie de leurs rôles et de les réchauffer par quelques mots heureux, quelques saillies de circonstance qui ajoutaient beaucoup au mérite de la représentation.

Nous n'avons pas moins de quatorze à quinze volumes du théâtre de Carmontelle, et comme si cela ne suffisait pas, on nous en a encore donné deux autres, il y a quelques années, en nous promettant une suite riche et féconde si nous y prenions goût. Il est vrai que quelques amateurs ont prétendu ne pas y reconnaître la touche de Carmontelle, et qu'ils ont soupçonné que cette nouvelle émission de proverbes n'était qu'une mystification à la manière de milord Gor. Quoi qu'il en soit, ces pièces se sont vendues, on les joue, et ceux qui s'en amusent s'inquiètent fort peu s'ils sont ou ne sont pas de Carmontelle.

Il y aurait de l'injustice à appliquer les règles d'Aristote à des proverbes dramatiques, à les juger comme des pièces régulières destinées pour le théâtre. Ces sortes

d'ouvrages ne doivent être considérés que comme des amusemens de société, de simples jeux d'esprit qui ont tout le mérite requis quand ils sont agréablement conçus et agréablement écrits.

Mme Victorine M***, qui vient de publier les Soirées de Société, est déjà avantageusement connue dans les lettres par son Rêve allégorique sur les fleurs, et son roman de Clotilde, reine de France, dont on a rendu compte dans ce journal. Il ne lui manque peut-être que l'art de travailler ses succès, pour obtenir une réputation distinguée. Clotilde et le Rêve allégorique, sont écrits avec beaucoup de grâce et d'élégance. L'épisode de la grotte de Sainte-Geneviève dans Clotilde, est surtout fort remarquable. C'est sous les simples livrées de la prose un morceau de poésie dont quelques auteurs plus vantés que Mme Victorine M*** pourraient se faire honneur.

Il ne faut pas s'attendre à trouver le même degré de mérite dans les Soirées de Société. Il serait ici fort déplacé; mais ce qu'on y trouvera, c'est un choix de sujets agréables; une grande facilité dans le dialogue, une coupe heureuse dans les scènes, une peinture vive et animée de quelques-uns de nos ridicules, un style facile, pur, et souvent élégant.

Le Devin, la Matinée à la mode, le Rêve d'un homme de bien, sont les pièces qui m'ont paru le plus heureusement conçues, et le plus heureusement exécutées. Dans le Rêve d'un homme de bien, Mme Victorine M*** a développé, avec beaucoup de talent, une idée philosophique malheureusement trop vraie. C'est qu'il est fort difficile de faire du bien aux hommes, et que la plupart ne sont malheureux que par leur propre faute.

M. de Lisismont est un homme d'un caractère rare, car il est riche et bienfaisant. Son esprit est plein d'idées libérales; son cœur de sentimens philanthropiques. Devenu possesseur d'une terre magnifique, son projet est de faire servir ses richesses à répandre le bonheur autour de lui. Il se rend à son château, fait appeler l'ancien intendant, et lui révèle ses desseins. Cet intendant est (chose assez rare) un homme de bien, mais instruit

par l'expérience. Il paraît dur, mais il n'est que sévère. Le tems lui a appris qu'il faut aimer les homme sans faiblesse, leur faire du bien, mais choisir parmi eux ceux qui en sont dignes. Rien ne lui paraît moins philosophique, moins raisonnable, moins juste que cette philanthropie générale qui embrasse toute l'humanité. Mais comme il n'est pas facile de convaincre M. de Lisismont, il le laisse faire lui-même ses premières épreuves. On introduit donc successivement tous ceux qui ont à réclamer la bienfaisance ou la protection du nouveau seigneur. Le premier qui se présente est un architecte nommé M. Colonne.

Il a appris que M. Lisismont est un homme d'un caractère élevé et généreux, ami et protecteur éclairé des beaux-arts. Aussitôt il s'est mis à faire un plan de reconstruction pour le château, et il vient proposer à M. de Lisismont de démolir toutes ces constructions gothiques, si peu dignes d'un seigneur tel que lui.

M. DE LISISMONT.

« Comment, Monsieur, démolir mon château! mais Vous n'y pensez pas, j'en trouve l'ordonnance très-belle, et je doute qu'on pût faire mieux.

M. COLONNE.

Voilà, Monsieur, une grande erreur; tenez, parcourez, je vous prie, le plan que je vous apporte; il y a douze ans que je le médite, et voyez si jamais l'esprit humain a rien imaginé de comparable à cela......

M. DE LISISMONT.

D'accord, Monsieur, mais dans ce moment je ne veux faire aucun embellissement à ce château. Cependant, comme je voudrais vous être utile, si vous consentez à diriger un projet, vous pourrez y gagner quelque chose, et je serais charmé de vous procurer cet avantage. Vous savez qu'il y a sur la rivière qui borde la grande allée des saules, une île dont la fertilité, l'air salubre, et la charmante position font un endroit délicieux.

Oui, Monsieur.

M. COLONNE.

M. DE LISISMONT.

Eh bien, M. Colonne, je voudrais rendre utile ce bel endroit, l'animer, le rendre vivant et précieux à ce pays.

M. COLONNE.

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Je saisis votre idee; c'est sans doute un kiosque, un pavillon chinois, un belvédère, ou bien une rotonde que Monsieur a le projet de faire élever. Cela serait fort joli, et avec de beaux petits bateaux plats, on y arriverait facilement.

M. DE LISISMONT.

Eh non, Monsieur, ce n'est pas cela. Vous n'avez pas compris ma pensée. De quelle utilité serait aux habitans de ce pays, un kiosque ou une rotonde? Je veux, au contraire, y bâtir un joli hameau de simples et modestes chaumières, dont la propreté serait le seul luxe. A chaque demeure, je voudrais un petit jardin, une basse-cour et une laiterie; et lorsque cet agréable séjour serait prêt à être occupé, j'y conduirais les jeunes gens du village, je les marierais avec les jeunes filles, et je leur donnerais pour dot, à chacun, une de ces cabanes..... Voilà quel est mon projet ; et c'est vous, Monsieur, que je chargerai du soin de suivre les travaux.

M. COLONNE.

Comment, Monsieur, vous pensez que je me chargerais de cette construction! M. Colonne, architecte, bâtirait des cabanes!

M. DE LISISMONT.

Ecoutez, M. Colonne, n'avez-vous pas besoin de travailler pour votre existence et celle de votre famille?

Il est vrai.

M. COLONNE.

M. DE LISISMONT.

Eh bien, puisqu'il ne vous est pas possible d'élever des palais, bâtissez donc des cabanes.

M. COLONNE, avec fierté.

Non, Monsieur, je suis pauvre, mais le goût des arts,

le sentiment du beau m'empêcheront toujours de rien faire d'indigne de moi, jamais l'intérêt ne me fera faire une bassesse. »

Il me semble que cette scène est d'un très-bon esprit et peint très-agréablement cette sotte vanité qu'on rencontre si souvent parmi les artistes d'un ordre inférieur, et qui croît presque toujours en raison directe de leur médiocrité.

Après M. Colonne, on introduit divers personnages. L'instituteur du village vient solliciter en mauvais français l'honneur d'être précepteur du fils de Monsieur, quoique ce fils n'ait encore que trois ans ; le maréchal du lieu aspire à la place de cocher de Monsieur; un fermier redevable de 9000 livres désirerait que Monsieur lui fit remise de cette somme, attendu que Monsieur est riche, et qu'un si petit objet ne mérite pas

son attention.

Toutes ces scènes sont écrites avec esprit et facilité et répandent sur ce petit drame une variété aussi agréable qu'amusante. La pièce est terminée par des idées très-justes sur la sottise des hommes et l'impossibilité de les rendre heureux.

Le petit drame du Devin est une conception plus forte; les personnages sont du rang le plus élevé. L'auteur a mis en scène Catherine de Médicis, un jeune prince proscrit par cette reine; une jeune princesse de sa suite, amante du proscrit; enfin un seigneur auteur de cette proscription.

Comme la reine Catherine est d'un caractère trèssuperstitieux, elle se rend avec quelques personnes de sa cour chez un célèbre devin, pour obtenir de lui la composition d'un talisman qui lui assure un empire sou-verain sur le roi et sur la France. Le magicien se met en devoir de satisfaire la reine; mais il exige que la reine lui donne les cheveux d'une personne qui l'aime sincérement et exclusivement. Catherine nomme Théonie, l'une des plus belles et des plus aimables princesses de sa suite. On se dispose à couper une tresse de ses beaux cheveux blonds; mais le magicien s'y oppose; son art

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