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VARIÉTÉS.

SPECTACLES. Le goût du public pour les spectacles, plus vif et plus répandu que jamais, le rang qu'occupent dans la littérature nos chefs-d'œuvre dramatiques, ont fait généralement désirer qu'une partie aussi intéressante fût traitée dans ce Journal avec plus d'étendue. A l'avenir, nos lecteurs y trouveront, non-seulement l'analyse des nouveautés, mais encore des observations sur les principaux ouvrages donnés pendant la semaine. Chargé de ce travail, qui exige une étude approfondie de la littérature dramatique, je remplirai ma tâche avec l'impartialité sans laquelle un journaliste ne saurait obtenir l'estime du public éclairé. Le compte avantageux que plusieurs feuilles périodiques ont rendu (1) de mon ouvrage sur la Musique dramatique en France (2), les injures d'un anonyme déguisé sous le nom d'Alfred de Blamond (3), me donnent, j'ose le dire, quelques titres à la confiance que je serai toujours jaloux de mériter. Je commencerai par la revue des quatre théâtres dont je dois m'occuper.

Theatre Français. — Quoique les tragédiens français comptent parmi eux des talens du premier ordre, il faut avouer que l'ensemble des représentations est loin de satisfaire les connaisseurs. On s'est fréquemment élevé contre ce malheureux systême de déclamation traînante et monotone qui a prévalu; mais jusqu'ici les réclamations ont été vaines. Ce défaut, dont peu d'artistes sont exempts, est véritablement insupportable chez quelques-uns. L'emploi des vieillards laisse sur-tout beaucoup à désirer, et si cette critique afflige ceux qui le remplissent, ils peuvent se consoler par l'autorité de Voltaire, qui nous assure que de son tems les choses n'allaient pas mieux. «Jamais (dit-il dans » une lettre à M. d'Argental) aucun acteur dans ces rôles » n'a su me toucher. » L'illusion de la scène exige d'ailleurs

(1) Mercure de France, du 19 juin; Moniteur, du 11 août; Journal de Paris, du 15 et 19 septembre.

(2) Un volume in-8° de 336 pages. Prix, 5 fr., et 6 fr. 25 c. franc de port. Chez Vente, libraire, boulevard Italien, no 7.

(3) Gazette de France, du 20 août.

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quelque rapport entre l'artiste et le personnage; si un viellard de quatre-vingts ans est représenté par un jeune homme de vingt, n'est-elle pas absolument détruite ?

Thalie s'est montrée plus prodigue de ses dons que Melpomène. Dans les représentations soignées, je doute que la Comédie française ait jamais produit un ensemble plus satisfaisant. La crainte de perdre Fleury est le seul sentiment pénible qu'il fasse éprouver; son jeu rempli d'esprit, de chaleur et de vérité, triomphe de la critique la plus sévère. Que de naturel, de rondeur et de bonhomie dans Michot! Baptiste aîné est excellent dans plusieurs rôles; il a renoncé, suivant moi, très-mal-à-propos à quelques-uns où il montrait un grand talent. Damas et Armand ont beaucoup de feu et d'intelligence; Michelot a une très-bonne diction. Le jeu de Thénard obtient du public les applaudissemens qu'il mérite; cet acteur devrait s'imposer l'obligation de paraître toujours dans les rôles brillans de son emploi. Ml Demerson a du mordant, de la force comique: qu'elle soigne un peu ses inflexions de voix (quelquefois trop dures), et elle deviendra une excellente soubrette. Me Mars, si parfaite dans les ingénuités, a prouvé toute la flexibilité de son talent en prenant un emploi qui n'était pas le sien; l'agrément et la pureté de son organe, la finesse et la vérité du jeu où elle prend (si je puis m'exprimer ainsi) la nature sur le fait, l'ont fait regarder avec raison comme un modèle. Par l'élégance des manières, le bon ton et le naturel, elle l'emporte de beaucoup sur Mlle Leverd, dont le talent est cependant très-distingué, et qui s'est acquis une réputation méritée dans les rôles de la Femme jalouse, de Mm Evrard, de la Belle Fermière, et dans plusieurs autres.

On ne peut donner trep d'éloges an zèle des acteurs qui ont soutenu le Théâtre Français pendant l'absence de leurs camarades; ils ont remis plusieurs pièces anciennes qui n'avaient pas été jouées depuis long-tems. J'invite la Comédie à faire revivre Oresie, Rome Sauvée (4), Andronic,

(4) Oreste et Rome sauvée, sont des tragédies fort estimées des littérateurs. L'une joint au mérite de la simplicité et du coloris antique beaucoup d'intérêt; l'autre, parfaitement écrite, offre la peinture la plus vraie et la plus énergique des illustres personnages qui y sont dépeints. On peut comparer aux plus belles scènes de notre théâtre celle de Catilina et de César.

Gustave, Spartacus, Inès de Castro, Absalon, Amasis ; Mahomet II (de la Noue), Roméo et Juliette, Fénélon, les Vénitiens, la Mort d'Abel, le Siége de Calais, Hypermnestre, la Veuve du Malabar, Zelmire, Béverley (5), l'Ecole des Mères, le Chevalier à la Mode, le Muet, le Jaloux désabusé, les Précieuses Ridicules, la Comtesse d'Escarbagnas, Dupuis et Desronais, Esope à la cour, le Mariage fait et rompu, le double Veuvage, le Français à Londres, le Procureur arbitre, la Jeune Indienne, les Mœurs du tems, le Magnifique, les Trois Frères rivaux, etc. Ces pièces n'ont pas toutes le même mérite; mais il n'en est aucune qui n'ait obtenu un grand succès, motif suffisant pour ne pas les oublier. Que les comédiens en fassent jouir le public, et ils ne pourront que s'en féliciter, s'ils apportent à leur remise les soins que mériteraient aussi tant d'excellentes pièces dédaignées des premiers artistes, et par conséquent des spectateurs, dont la majeure partie ne juge des ouvrages dramatiques que par ceux qui les représentent (6). Les chefs-d'œuvre de Molière, de Regnard, de Corneille, de Racine et de Voltaire (7) devraient toujours être repré

(5) A ce mot, je vois déjà bien des lecteurs se récrier: Qu'ils se rassurent; je n'aime pas plus qu'eux les productions monstrueuses de la scène anglaise; mais je les invite à relire Laharpe, qui ne les aimait pas davantage, et qui cependant loue beaucoup Béverley. C'est un ouvrage très-moral, rempli d'intérêt, et qui offre le tableau le plus terrible des funestes excès où peut entraîner la passion du jeu. En supprimant, ce qui serait très-facile, le morceau blâmé, avec raison par Laharpe, dans lequel Béverley veut attenter aux jours de son fils, ce drame n'aurait rien qui pût révolter le spectateur, et bien joué, il produirait le plus grand effet. C'est, à mon avis, la meilleure des productions de ce genre.

(6) Autrefois les affiches n'indiquaient pas le nom des acteurs, et l'on n'allait au spectacle que pour les pièces. Cet usage n'était pas sans inconvénient pour les spectateurs, qui souvent étaient trompés dans leur attente; mais celui qui a prévalu depuis, égare le goût du public, en le faisant aller à de mauvais ouvrages favorisés des premiers comédiens, et en l'écartant des chefs-d'oeuvre qu'ils abandonnent.

(7) Voltaire, dit Laharpe dans son examen de Mérope, malgré ses fautes est devenu le plus grand tragique du monde entier. J'avoue que je pense entièrement comme Laharpe ; c'est à la malheureuse

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sentés par l'élite des acteurs, pour lesquels c'est une obligation de donner aux immortelles productions dont ils sont dépositaires tous les soins qu'elles méritent. Les rivalités l'amour-propre, toutes les petites considérations qui ont A malheureusement trop d'influence, devraient alors, dispa

habitude de répéter les opinions reçues par tradition qu'il faut attri buer la préférence donnée presque généralement à Corneille et à Racine. Je sais par cœur ces trois grands poëtes, et l'étude appro fondie de leurs ouvrages m'a appris à les juger sans prévention. L'assertion du Quintilien français est d'autant plus imposante que deux volumes de son Cours de Littérature, consacrés à l'examen des tragédies de Voltaire, sont employés à la démontrer. Laharpe, dirat-on sans doute, était l'ami, le disciple, le protégé du philosophe de Ferney; son témoignage est donc récusable. Mais si de pareilles considérations ont pu altérer son jugement, pourquoi, dans le même ouvrage où il rend un hommage si éclatant aux tragédies de son maître, s'exprime-t-il ainsi sur le compte de la Pucelle ? « On aura › peine à croire que le débit en ait été permis publiquement, permis » par tout, et il est bon de douter que dans le dernier siècle la plus > rigoureuse animadversion aurait été exercée contre l'ouvrage, que >> l'indignation universelle eût suffi même pour en faire justice, et que » l'auteur, quel qu'eût été son talent et son nom, n'aurait trouvé » d'asile nulle part dans l'Europe entière. Il fallait toute la corruption > qui, à dater de la régence, a toujours été croissant parmi nous, » pour que l'autorité ne s'aperçût pas qu'un ouvrage de ce genre, tel » qu'on n'en connaissait point de semblable avant nos jours, était un >> attentat public contre tout ce qu'il y a de sacré parmi les hommes. > - Jamais l'impudence du vice et du blasphême n'avait été portée à » ce point; le vice y est souvent de la plus dégoûtante crapule, et le » blasphême inepte ou grossier. Si l'on réfléchit à tout le mal qu'a » fait et qu'a dû faire ce poëme, on avouera qu'un gouvernement » tombe dans la plus étrange inconséquence, lorsqu'il interdit la » vente des poisons et qu'il autorise ou tolère le débit de pareils >> livres. » Qui peut reconnaître à un tel langage celui d'un disciple et d'un ami? Jamais ennemi de Voltaire s'est-il exprimé avec plus d'aigreur? Mais quoique Laharpe ait manqué à la reconnaissance et à toutes les convenances sociales en outrageant la mémoire de son bienfaiteur, que certainement il n'aimait point, son admiration pour le beau en littérature était telle que jamais il n'a pu s'empêcher de le reconnaître par-tout où il le trouvait,

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raître. On a vu Le Kain jouer des rôles très-secondaires dans les pièces, pour ne les pas faire manquer.

Académie Impériale de Musique. Ce théâtre est le moins suivi de tous, et l'on se plaint de la monotonie de son répertoire. Cette accusation n'est pas sans fondement pour les ballets qu'on pourrait varier davantage (8), mais elle est très-injuste pour les opéras. Si l'on veut bien se rappeler qu'autrefois on n'en donnait que trois ou quatre dans le courant de l'année, et qu'une nouveauté, comme en Italie, était jouée sans interruption jusqu'à ce qu'elle n'attirât plus personne, on appréciera mieux les soins de l'administration actuelle. Le seul reproche qu'on puisse lui faire à ce sujet, c'est l'abandon des belles compositions de Piccini, écartées de la scène depuis long-tems à l'exception de Didon, qu'on donne même assez rarement. L'Iphigénie en Tauride de l'Orphée italien est un chef-d'œuvre de mélodie et d'expression, égal et peut-être supérieur à Didon, pourquoi ne pas le remettre? On pourrait la donner alternativement avec celle de Gluck, et offrir ainsi aux amateurs le plaisir de la comparaison. La musique de Roland et d'Atys, moins dramatique, il est vrai, que celle d'Iphigénie, est pleine de graces et de charme : actuellement que les rôles de Médor et d'Atys seraient chantés et non criés, comme ils l'auraient été naguères, le public entendrait avec ravissement les morceaux délicieux dont ils sont remplis. On devrait aussi remettre sur la scène l'opéra de Panurge, dont la musique est si piquante, et l'acte d'Ariane, d'Edelmann, rempli d'expression et d'effet les beaux morceaux qu'il renferme conviendraient beaucoup au beau talent de Mme Branchu.

On a reproché souvent aux acteurs de l'Opéra des cris insupportables, des convulsions d'énergumènes; ce n'était pas sans raison. Mais ces défauts, autrefois bien communs, sont devenus plus rares depuis l'admission de Nourrit et de Lavigne, dont les talens seront appréciés à mesure que les préventions feront place à la justice. Quant à ceux de Lays et de M Branchu, ils ne sont contestés de personne. Il serait difficile de trouver une plus belle voix que celle de Dérivis, et les débuts brillans de Me Paulin donnent les plus grandes espérances.

(8) Un des plus beaux ouvrages de M. Gardel, le Jugement de Paris, a totalement disparu de la scène : quelle en est la raison ?

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