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pour que la nourrice vînt habiter ma maison avec l'enfant, afin de l'avoir toujours sous les yeux. Pendant ma maladie on nous dit que la fille de la nourrice, ta sœur de lait, était morte. Anne arriva chez moi avec toi; je te reçus et t'élevai avec la plus vive satisfaction; plus tu grandissais, plus je voyais comme ton excellent caractère se développait, et plus je m'attachai à toi : ce fut avec le plus grand chagrin que je fus obligée de te céder à ton père, lorsque tu eus la quatorzième année. La bonne Anne, ta nourrice, mourut, comme tu t'en souviens, deux ans après notre séparation; mais avant sa mort elle confessa au curé un crime qui avait souvent pesé sur sa conscience, et pour lequel elle désirait recevoir l'absolution, ou au moins quelques consolations avant de paraître devant le trône de 'Eternel. Ce n'était point sa fille qui était morte à l'âge de quelques semaines, mais bien celle de la comtesse, faible rejeton d'une mère maladive, qui portait en elle, déjà en naissant, le germe d'une mort précoce. L'amour maternel, l'espérance de procurer à sa fille un sort brillant, la crainte de la colère du comte, qui aurait pu attribuer la mort de son enfant à quelques négligences de la part de la nourrice, 'tous ces motifs réunis avaient entraîné Anne à subsistuer sa fille à la défunte, et depuis, la terreur des suites d'un pareil délit, s'il était connu, l'avaient empêché de le découvrir, et le chagrin d'être séparée de son enfant, ses remords, avaient accéléré sa fin.

Mme Wender voulait continuer; mais Julie qui avait entendu avec la plus violente émotion ce récit, poussa un cri perçant et tomba évanouie aux pieds de son amie. Celle-ci, d'autant plus effrayée qu'elle avait cru Julie assez forte, assez préparée pour supporter cette découverte et la perte des avantages mondains dont elle se voyait privée, appela au secours on vint, on releva Julie, et on la posa sur une chaise-longue. Le bruit de cet accident se répandit bientôt dans toute la maison, et Auguste accourut; il prit sa sœur encore sans connaissance dans ses bras, et chercha à rappeler ses sens en lui donnant les noms les plus tendres. La voix de l'amour la fit bientôt sortir de sa léthargie; elle entr'ouvrit les yeux;, son premier regard tomba sur cette figure chérie qu'elle revoyait maintenant sous des rapports si différens. La joie lui ôtait encore la faculté de parler, mais elle prit la main d'Auguste avec l'expression du bonheur le plus parfait, et la posa sur ses lèvres et sur son

cœur. Auguste, vit avec effroi cette explosion d'un sentiment qui les avaient rendus si malheureux, et qu'ils s'effor çaient depuis si long-tems de réprimer. Elle s'aperçut de ce qui se passait dans son ame, et elle put alors avec peine articuler ces mots : Auguste, je ne suis pas ta sœur, tu n'es pas mon frère. Auguste recula avec terreur et la regarda d'un œil sombre, croyant qu'elle avait perdu la tête. Que dis-tu, Julie! qu'ai-je entendu ? prononça-t-il enfin d'une voix tremblante. Elle fit un signe à Me Wender, et la pria de tout raconter à Auguste, n'ayant pas assez de force pour le faire elle-même. Celle-ci recommença sa narration; Auguste l'écoutait avec un saisissement qui augmentait à chaque mot. Lorsqu'elle eut fini, il tomba ivre de joie aux pieds de Julie, et tous les deux rendirent d'une voix leurs actions de grâces à la Providence. Enfin il se releva et s'écria avec transport : maintenant tu es à moi; maintenant j'ose te dire combien je t'adore.

Ce fut le tour de M Wender de se faire expliquer toutes les énigmes qu'elle venait d'entendre, elle qui croyait tonjours qu'Auguste était le neven du comte. Les deux amans Íni confièrent sous le sceau du plus profond mystère leur sort, leurs peines passées, et leur bonheur présent. Elle comprit alors le trouble dans lequel sa narration avait jeté Julie, et qu'elle avait attribué un instant à son attachement pour les richesses et le rang.

Lorsque la première ivresse de la joie fut passée, Auguste fit appeler Charles pour lui communiquer aussi l'importante découverte qui venait de se faire; celui-ci apprit avec surprise, avec déplaisir et cependant avec satisfaction ce singulier dénouement. Maintenant, dit Mme Wender, Julie ne peut accepter le legs considérable que lui a fait le comte votre père, et elle le rend à son héritier, qui en est le légitime propriétaire; c'est la raison pour laquelle j'ai enfin révélé ce mystère que j'avais gardé si long-tems, pour ne pas troubler sans nécessité la paix d'une famille respectable, et que je voyais si heureuse dans son ignorance.

Et tu ne serais plus ina sœur, s'écria Charles en embrassant Julie et les yeux baignés de larmes ? Non, Julie, non, Auguste, cela ne se peut pas; je ne me laisserai pas ravir une sœur si chère. Ecoutez-moi. Mm Wender est la seule personne au monde qui connaisse notre secret, qu'il ne sorte jamais des murs de cette chambre ; il n'est pas nécessaire que le monde sache nos véritables rapports récipro

ques: il ne pourrait les apprendre sans que le souvenir d'un père bien-aimé, l'existence et le repos d'une femme respectable, et nous mêmes, ne fussions étrangement compromis et exposés à de fausses interprétations. Je vous propose donc de rester tous trois tels que nous sommes, et dans les rapports mutuels sous lesquels le monde nous a connus jusqu'à présent. Julie passera toujours pour ma sœur, et le testament de mon père aura son plein effet; son legs était moins destiné à sa fille qu'à la fidèle et tendre compagne de ses vieux jours, qui l'a soigné dans ses maux avec tant de constance et de dévouement. Auguste sera toujours mon cousin, et dès ce moment mon frère est ton époux; en disant ces mols, il posa la main de Julie dans celle de son amant : c'est ainsi que j'exerce mes droits de chef de la famille. Auguste et Julie tombèrent dans ses bras; Charles les embrassa en versant des larmes du plus profond attendrissement, et Me Wender leva les yeux au ciel pour implorer sa bénédiction sur cette intéressante famille.

Qu'est-il besoin d'en dire davantage? La duchesse apprit. bientôt par son fils et la mort du comte et l'événement qui lui rendait sa Julie. Elle écrivit à cette dernière pour se féliciter du lien qui allait les unir, et l'inviter à venir chez elle avec son frère, pour sanctifier aux pieds des autels son union. Les jeunes époux se fixèrent auprès d'elle, comme deux amis dévoués, et la rendirent la plus heureuse des mères, tandis qu'ils furent eux-mêmes le couple le plus fortuné.

LOR

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ORD

:

VARIÉTÉS.

FRAGMENT SUR LA ROSE.

Admirunda tibi levium spectacula rerum
VIRG. Géorgiques. Liv. IVe.

J'entends tous les jours les hommes se plaindre de ce que tous les genres, tous les sujets en littérature sont épuisés ceux qui nous ont précédés, répètent-ils sans cesse, ont tout pris, tout moissonné; nous qui les suivons, à peine trouvons-nous encore à glaner derrière eux. Ces réflexions, quelque tristes qu'elles soient, ne sont pas tout

à-fait sans fondement. Les passions restant toujours les mêmes avec différentes modifications, et ne changeant pour ainsi dire que de costume, la peinture de ces mêmes passions a dû se ressentir de leur parfaite uniformité.

Comment, après les Sophocle, les Euripide, les Corneille et les Racine, cette antique Melpomène aux éternelles lamentations ne sentirait-elle pas enfin les larmes se sécher dans ses yeux? Comment, après avoir frappé tant de fois, son poignard ne s'émousserait-il pas ? Comment, après les Ménandre, les Térence, les Molière, les Regnard, cette vive et folâtre Thalie, vieille de tant d'années amassées sur sa tête, ne sentirait-elle pas enfin le rire expirer sur ses lèvres? Le monde est vieux, son histoire est vieille aussi; la muse qui l'a consacrée sur ses immortelles tablettes n'a fait que conserver pour notre instruction, en choisissant un plus grand théâtre, ce que Melpomène et Thalie ont mis sur des tréteaux pour nous divertir; elles ont toutes trois de grands traits de ressemblance, et la muse de l'histoire, il faut l'avouer, ainsi que ses deux sœurs, nous donne bien souvent à rire et à pleurer. Mais il vient un tems où toutes ces différentes scènes sont, en quelque sorte, désenchantées, sur-tout quand le sort nous fait naître dans une de ces époques fécondes en grands événemens; l'homme alors fatigué, dégoûté de ses propres passions, n'en voit plus la peinture qu'avec indifférence, ses yeux éblouis de cette grande fantasmagorie cherchent à se reposer sur d'autres spectacles. Auguste' monte sur le trône, le temple de Janus se ferme: cest alors que Virgile fait entendre aux Romains ses douces Géorgiques, et que son beau génie ennoblit aux yeux des maîtres de la terre les travaux de la charrue et les abeilles d'Aristée. Quand la société a repoussé l'homme et ne lui a présenté long-tems que de tristes images, c'est dans tes bras qu'il revient, ô nature! toujours jeune, toujours belle, c'est toi qui, te renouvellant sans cesse sans jamais t'altérer, offre à tes historiens d'inépuisables sujets, des inspirations toujours nouvelles. Que de fois la scène du monde a été renouvelée ! que sont devenues tant de cités fameuses? montrez-m'en seulement les vestiges; on retrouverait plutôt, dit le prophète, quand le vent du midi a soufflé sur le désert, les traces du chameau dans les sables. Eh bien? le soleil qui éclaire ces lieux est-il maintenant à son lever, moins brillant et moins majestueux,

sont-elles moins ravissantes et moins pures les dernières clartés dont à son couchant il dore leur horison? Ont-elles moins d'éclat et de parfum, les plantes et les fleurs, seules richesses, seuls ornemens que le tems et les hommes n'ont pu enlever à ces grandes solitudes.

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Telles étaient les réflexions qui assiégeaient en foule mon ame en parcourant ces jours passés un des feuillets de l'histoire du monde; mes idées s'obscurcissaient, je ne. sais quelle sensation pénible m'oppressait, lorsque toutà-coup, en levant les yeux, j'aperçois une rose..... Eh, nature! m'écriai-je, est-ce toi qui me la présente pour délasser mon esprit fatigué de tout ce que je viens de lire. Une rose!... Adieu pour un moment révolutions, empires, potentals. Mon livre me tombe des mains, et je m'approche de plus près pour la considérer: c'était une rose dans tout son éclat, dans toute sa fraîcheur, belle de toute sa pureté virginale, la main des hommes ne l'avait point flétrie; sur ses feuilles tremblaient encore quelques gouttes limpides de la rosée du matin. Telles, moins fraîches, moins odorantes, étaient les roses du mont Ida, dont le tendre coloris teignait, dit-on, les doigts de la brillante aurore. Que de merveilles réunies dans une simple fleur! d'abord, me dis-je en moi-même, en examinant ses feuilles, quelles mains ont formé ce tissu dont la finesse fait honte à tous les arts humains; quelles mains, plus savantes que celles de Tyr, ont ensuite répandu sur sa surface ce coloris qui l'anime et la vivifie? Oh, l'habile ouvrier que celui qui, en broyant le rouge et le blanc, à su tirer, du mélange de ces deux couleurs, la couleur la plus douce, la plus suave, et la plus voluptueuse à la vue! Qu'il est admirable, même dans la simple disposition de la fleur; avec quel art il l'a placée dans un calice vert, entre cinq folioles d'égale structure, disposées en forme de corbeille, pour la recevoir et la soutenir! Mais si mon œil indiscret pénètre dans le sein de la fleur, que de nouvelles beautés je découvre Sur l'extrémité des feuilles l'incarnat est plus doux et plus tendre, mais plus j'avance dans l'intérieur, plus il devient vif et foncé; les feuilles pressées les unes sur les autres se renvoyent mutuellement des ombres qui font ressortir le pourpre et le blanc; il en résulte des reflets, tantôt plus vifs, tantôt plus pâles, dont le charme est inexprimable. Cependant, avec tant de beauté, la rosé

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