soit les vers même, soit une prose cadencée. Mais aujourd'hui, l'abus des vers et d'autres causes affaiblissent l'impression du rhythme, et d'ailleurs la prose a cessé d'être un langage insuffisant et trop familier, elle n'est plus étrangère à l'imagination, au génie, à la raison la plus forte. Quel serait dès-lors l'avantage des lignes mesurées? Qu'y a-t-il de moins eumolpique dans les passages choisis de Bossuet, de Rousseau, dans la prose simple et élevée, telle qu'elle peut être, telle qu'elle est chez les vrais écrivains, lorsqu'ils peignent des objets dignes de l'attention des hommes, qu'y a-t-il de moins analogue à la poésie primitive que dans les lignes suivantes, Et quant aux maux qu'entraîne avec soi le destin, Juge-les ce qu'ils sont, supporte-les, et tache, Autant que tu pourras, d'en adoucir les traits, etc. L'opinion de M. d'Olivet me paraît être d'un grand poids en général, mais ici je n'oserais la partager. Ne comprenant rien, je l'avoue, soit aux avantages de cette manière nouvelle, soit à l'importance qu'il paraît y mettre, peut-être en parlerais-je mal, peut-être lui donnerais-je quelque droit de se plaindre. Je négligerai donc ce qui a des rapports avec la simple littérature. Je me livrerai davantage à des considérations plus sérieuses sans doute aux yeux d'un homme qui a pris pour épigraphe, iow συνετοῖς UVETOT,..... (c'est à ceux qui ont reçu l'intelligence que je m'adresserai, etc.), d'un homme qui étudiant avec de grands moyens les mystères des premiers tems connus, pousse la persévérance propre à les éclaircir jusqu'à entreprendre, dit-il, de restituer la langue de Moyse, en remontant jusqu'aux sources originelles pour en trouver les vraies racines. Il est bon cependant que le lecteur ait quelqu'idée du système poétique de M. d'Olivet: le passage suivant se trouve en contenir à-peu-près le résumé. « Elle (la rime) » est nécessaire, indispensable même à la poésie roman»tique, et à tout ce qui en découle : les chansons, les ro»mances, les vaudevilles, les sylves, de quelque espèce » qu'ils soient, quelque forme, quelque étendue qu'ils aient, ne peuvent s'en passer. Elle ajoute une grâce binfinie à tout ce qui se chante ou se débite avec le sen » timent chevaleresque. Le genre lyrique même en reçoit » une harmonie romantique qui lui convient. Tous les >> genres secondaires la souffrent. Elle peut, jusqu'à un » certain point, embellir les vers descriptifs, adoucir » les vers didactiques, ajouter à la mélancolie de l'élégie, >> aux grâces de l'idylle; elle peut enfin faire l'ornement » de l'art dramatique tel que nous le possédons, c'est-à» dire, chevaleresque et passionné mais pour ce qui » est de l'eumolpée et de l'épopée véritable, c'est-à-dire, » pour ce qui regarde la poésie intellectuelle et ratio» nelle, pure ou réunie à l'enthousiasme des passions; » les vers prophétiques ou hymniques, émanés de la » divinité où destinés à s'élever jusqu'à elle; les vers phi»losophiques adaptés à la nature des choses et dévelop»pant les divers systèmes de morale et de physique; les >> vers épiques réunissant au génie allégorique le talent, » et liant ensemble le monde intelligible au monde sen»sible; la rime leur est contraire. Autant elle se plaît » dans les ouvrages d'esprit, autant le génie la repousse. » Les fictions lui conviennent, l'allégorie lui est opposée. » Elle est chevaleresque et non pas héroïque; agréable, » brillante, spirituelle, mélancolique, sentimentale, elle » ne saurait jamais être ni profonde, ni sublime. » Si, par inadvertance, on regardait la traduction eumolpique des vers dorés comme l'objet principal du livre, on trouverait une grande disproportion dans l'étendue des remarques et du discours préliminaire; en les prenant pour de simples accessoires, on en remarquerait moins aussi la force et les richesses. L'on a critiqué justement quelques livres dans lesquels de longues notes et de longues préfaces enveloppent un corps d'ouvrage contenu dans une feuille ou deux. Dans ce volume de vingt-cinq feuilles, la traduction des vers dorés n'occupe que trois pages; mais la dissertation dont ces vers sont précédés a un mérite indépendant du sujet qui l'amène, et les trente-sept examens qui les suivent renferment une multitude de renseignemens utiles non-seulement pour une exposition générale de la doctrine des Pythagoriciens, mais aussi pour la connaissance de cette majestueuse théosophie sur laquelle s'appuient assez heureu sement la morale et la loi des sociétés, et dont les nombreuses modifications, en apparence si contraires, se rapprochent quand on les approfondit, et ne laissent plus de prétextes soit aux préjugés des sectateurs de Lao-Tzée, de Zerdach, de Moyse, soit à l'intolérance des disciples romains des Brahmes ou de Platon, disciples tardifs et un peu rebelles. C'était de la part de ceux-ci un étrange aveuglement de se figurer tant d'aveuglement chez les anciens. « L'antiquité n'était certainement ni folle, ni stupide, » dit M. d'Olive! à l'occasion de la généthliologie. Ailleurs il ajoute : « Des hommes à peine » sortis des fanges de la barbarie, sans s'être donné le » tems ni d'acquérir, ni de chercher aucune connaissance » vraie sur l'antiquité, se sont portés hardiment pour » ses juges, et ont déclaré que les grands hommes qui » l'ont illustrée étaient ou des ignorans ou des impos» teurs....., créant eux-mêmes la stupidité des sciences » antiques, et disant ensuite, l'antiquité était stupide. Vous êtes des enfans, hier vous n'existiez pas, disaient à ces Grecs si vains les Brahmes dépositaires des dogmes et des traditions des peuples antérieurs; que diraient-ils aux successeurs des Grecs qui croient le monde bien jeune parce qu'ils n'ont de capitales que depuis quelques siècles. La persévérance et les découvertes des W. Jones, des Wilkins, des Anquetil font abandonner uné prévention adoptée par plusieurs savans même, et en particulier par Meiners on ne peut plus attribuer aux Grecs les premières notions d'une sagesse que les Egyptiens, les Phéniciens, les Etrusques, etc., n'ont transmise aux Grecs, aux Latins, aux Scandinaves même, qu'en l'altérant assez pour en faire si long-tems méconnaître les principes, el en introduisant, du moins pour le vulgaire, une sorte de poly théisme qui devait dégénérer en un culte ridicule, et changer en idoles les figures visibles. De nouvelles lumières venues de l'Asie ou de l'Egypte, et s'adaptant à ce que la Grèce avait conservé, formèrent pour l'Europe moderne un système religieux que l'ignorance fit regarder comme tout-à-fait neuf et infiniment supérieur à ce qu'on avait connu jusqu'alors. Mais au jourd'hui, nos conceptions les plus grandes, comme nos plus beaux-arts, se retrouvent chez des peuples antiques long-tems oubliés. La mutuelle dépendance des divers systèmes religieux, les vastes ramifications d'une tige puissante que la fécondité même n'affaiblit qu'en apparence, et que l'on trouvera peut-être inébranlable. en en découvrant les racines, cet enchaînement qui embrasse toutes les notions abstraites, donne aux sciences de l'homme de grandes dimensions et un but imposant. Quand on arrive à de tels résultats, la science tient de bien près à la sagesse même, et elle devient d'un grand intérêt pour quiconque n'en prend point aux simples difficultés de l'érudition. Les traces de la vérité paraissent plus sûres dans ce triomphe des idées universelles; ils seront justifiés ceux qui ne pouvaient croire la misère de l'homme assez extrême pour qu'à travers tant de siècles il fût arrivé jusqu'à celui de Tibère sans avoir su se former des notions justes, ni s'arrêter à quelque principe élevé. C'est pour nous une satisfaction intime que dans tous les tems il se soit trouvé des hommes dignes du nom d'homme, et nous aimerions involontairement ce qui pourrait humilier la suffisance européenne, ce qui pourrait ôter à des écoliers Huns, Goths, Francs ou Sarmates, cette étourderie de se croire les inventeurs de ce que leur mémoire peu exercée répéta d'une manière très-fautive. Les anciens perpétuaient dans les mystères leur haute doctrine que Moyse le premier divulgua en partie; ils semblaient craindre que la science ne devînt populaire, ils sentaient qu'alors elle ne produirait point cette sagesse qui doit en être le fruit, et sans laquelle l'avidité du savoir n'est qu'une manie fatigante. Ce secret auquel on peut avoir donné trop d'étendue, était naturel, sur-tout dans les sciences divinatoires, et très-motivé en général; peutêtre nous faudrait-il encore une doctrine esoterique, comme sur les bords du Nil ou du Gange, si l'esclavage s'était maintenu en Europe, ou si l'imprimerie n'existait pas. En lisant M. d'Olivet, on pourra remarquer que s'al se constitue l'interprète et le défenseur des thécsophes de tous les siècles, et s'il a su reconnaître dans le chef des Eumolpides l'inspiration intellectuelle ou première, il a lui-même, dans sa manière de s'exprimer, quelque chose de l'inspiration de Pythagore. Un ton d'autorité ne convenait pas mal, en effet, aux vrais initiés, aux Epoptes ou Voyans, à tout théosophe parvenu à ce degré d'intuition qui ne laissant plus aucun doute, prescrit en quelque sorte de tout. faire recevoir, sans donner pourtant les moyens de tout interprêter. Qui expliquera réellement l'existence du mal? M. d'Olivet établit trèsbien l'impossibilité où se trouve quiconque ne reconnaît qu'un principe, de rendre raison du mélange de biens et de maux, et de laisser à l'homme la liberté de ses actions. Mais cette formidable question est-elle mieux résolue, est-elle éludée dans la doctrine théosophique? C'est ce que M. d'Olivet ne dit point. La liberté de l'homme subsiste dans cette tradition; mais de quelle manière? L'initié connaissait, dit-il, ou cherchait l'origine du mal; or il est de l'essence de la théosophie d'être dogmatique. L'empirisme n'est jamais embarrassé par les difficultés, il ne les admet point. L'initié qui cherchait cette solution, trouvait-il à la place un dogme absolu? Quelques traits de lumière, deux sur-tout, pourraient rendre ces profondeurs beaucoup moins effrayantes : mais ce ne serait pas combler l'abîme, ce serait seulement nous le faire regarder avec plus de confiance; et je m'arrête, dans la crainte de changer ceci en une longue digression. Peut-être, si toutefois la chose n'est pas impossible à l'homme, quelque autre ouvrage de cet auteur sur les objets dont il s'occupe avec beaucoup de fruit, contiendra-t-il une demi-révélation plus satisfaisante. Les Pharisiens « allégorisant le texte du Sepher (la Bible) » admettaient le libre arbitre. » Il n'est donc pas impossible que le livre de Moyse, mieux entendu, ne transmette à cet égard quelque résultat précieux de la sagesse des anciens (1). DE SEN**. ་་ (La suite au numéro prochain.) (1) « La langue de Moyse, dit l'auteur dans une note du Discours » sur la poéșie, et dans une note du vingt-sixième examnen, la langue |