recueillies et publiées par Justinien ont sur-tout contribué à rendre son nom célèbre chez toutes les nations de Europe. Les jurisconsultes étaient pleins d'un respect superstitienx pour ce prince à qui l'on devait un Code qu'ils étudiaient tous les jours. En célébrant son génie, sa magnificence et sa piété, ils le plaçaient audessus de Numa et de César; à les entendre, son règne était celui de la justice et de la paix, et ses lois, dictées par l'humanité et la sagesse, étaient maintenues avec une sévérité salutaire. Envain l'historien Procope avait-il, sous le titre des Anecdotes, composé une satire qui contient des accusations graves et multipliées contre Justinien; on opposait à cet écrivain des éloges que, dans des ouvrages antérieurs, il avait lui-même donnés à l'Empereur, et les personnes les moins disposées en faveur de Justinien, faisaient au moins valoir la pénétration de ce prince dans le choix de ses ministres et de ses généraux. Mais une foule d'anecdotes et de traits caractéristiques contenus l'ouvrage de Lydus compromettent fortement cette réputation de sagesse et de discernement. Justinien avait accordé toute sa confiance à un certain Jean de Cappadoce, préfet du prétoire, homme avide, cruel, corrompu, dont les vices égalaient ou plutôt surpassaient les talens qu'il pouvait avoir en administration. La méchanceté de ce ministre détruisit tout le bien qu'aurait pu faire à ses sujets le beau travail de l'Empereur sur la jurisprudence; et les citoyens de Constantinople n'étaient guères ni plus heureux, ni plus tranquilles sous le règne de Justinien que les habitans de la Sicile ne le furent jadis sous le proconsulat de Verrès, ou pour choisir un exemple dans l'histoire moderne, que les Flamands sous le gouvernement du duc d'Albe. « On avait dénoncé, dit Lydus, qu'un vieillard nommé » Antiochus possédait un peu d'or, fruit de ses écono>> mies. Aussitôt Jean de Cappadoce le fait venir, et lui » enjoint de lui remettre sur-le-champ cet or, objet de » son ambition. Sur le refus du vieillard de se dépouiller » de sa fortune, Jean lui fait serrer les mains.avec des cables; on le tire en l'air, on le livre aux tourmens les » plus horribles, jusqu'à ce que la malheureuse victime, » ayant toutes les jointures du corps ébranlées et dis»jointes, expira entre les mains de ses bourreaux. Je » fus moi-même, ajoute Lydus, témoin de cette scène » d'horreur, qui n'est cependant pas, à beaucoup près, le » plus grand crime commis par cet homme pervers. Une » foule de satellites cruels comme Phalaris, perfides » comme Busiris, corrompus et débauchés comme Sar» danapale, l'entouraient et renchérissaient encore sur »ses forfaits. Un sur-tout, qui portait le nom de Jean » comme son maître, et qui d'ailleurs était son parent (1), » semblait être né pour la désolation du genre humain. » Le préfet du prétoire l'avait envoyé à Philadelphie » pour y percevoir les contributions; il ne resta malheu reusement que trop long-tems dans cette ville infor» tunée, car, dans toute la contrée, il n'y eut point de » propriété, point de femme, point de vierge ou d'ado»lescent qui restât à l'abri de sa rapacité ou de sa » corruption. Ma plume se refuse à retracer la plupart » des crimes dont il se rendit coupable, et un ouvrage » volumineux ne suffirait pas pour les rapporter tous. » J'en choisis un que je puis faire connaître sans choquer » les bienséances et la pudeur. Un citoyen de Philadelphie » nommé Pétrone, considéré, riche, instruit, avait hérité » de ses pères une collection de bijoux et de pierres gravées » d'une beauté et d'une grandeur comme on les trouve » rarement chez les particuliers (2). Malheureusement (1) Page 254. Le texte porte: rpès yévos ¿yyus, genere propinquus, mots que M. Fuss n'a point rendu dans sa version latine. (2) C'est ainsi que nous rétablissons ce passage altéré dans le grec. Le texte porte, page 258, κύριος ἦν λίθου τιμίας πολλῆς ἅμα καὶ διὰ κάλλος καὶ μέγεθος τοῖς ἰδιώταις ἀχρήςως. Une main très-recente ayant mis πóбλentos au-dessus du dernier mot évidemment corrompu, M. Fuss adopte cette correction, et traduit en rapportant ἀπόβλεπτος & κύριος: Gemmas multas possidebat, simul et pulchritudine et magnitudine conspicuus multitudine : nous proposerions de changer ἀχρήςως en ἀχρήζον, et de traduire, possessor erat gemmarum plurimarum, pulchritudine et magnitudine apud privatos quidem homines perrara, ou, inusitata. >> le receveur des contributions en est instruit; aussitôt, » sans autre forme de procès, il ordonne qu'on se sai» sisse du malheureux Pétrone; il le fait enchaîner, dé» pouiller de ses vêtemens, battre de verges, et comme » il refusait toujours de livrer ses camées, on l'enferme » dans une écurie avant que de le conduire en prison. » Aussitôt grande rumeur dans la ville; le peuple s'at» troupe, l'évêque arrive avec son clergé, le livre des » évangiles à la main, pour demander la grâce du pri>> sonnier. Vains efforts; retournez chez vous, prêtres; » occupez-vous de vos affaires! Voilà la seule réponse » qu'on arrache au receveur furieux. On insiste; il ac» cable l'évêque d'injures et le force de se retirer (3). A » la fin Pétrone, voyant que ni les hommes, ni Dieu » même ne pouvaient le sauver, se décide à faire chercher » ses pierres gravées et dans le vestibule même du rece Axpagos, que les dictionnaires traduisent ordinairement par inutilis, quelquefois la signification de inusité, extraordinaire. Il est ainsi expliqué dans le précieux lexique inédit du manuscrit no 345, fonds de Saint❤ Germain. Ἄχρηςος ὁ ἀνωφελής, καὶ ἰδίως ὁ (il faut lire Ω) ΟΥΔΕΙΣ ΧΡΗΤΑΙ· οὕτως Πλάτων. Il serait à désirer que ce lexique fut publié par quelqué helléniste habile; M. Bast, trop tôt enlevé aux lettres, avait formé cet utile projet, (3) Cependant, dit Lydns, page 258, άoxenñ xxi nãoj xátonTA KAρĪV τὰ Θεοῦ γνωρίσματα, « le livre des évangiles était découvert et exposé à la vue de tout le monde ». Je ne sais si la traduction latine de M. Fuss, quoique en général fidèle et bien écrite, exprime clairement ce sens; elle porte: Et intecta cunctisque conspicua aderant divina signa. Intectus veut souvent dire couvert, enveloppé, ce qui est le contraire de άoxɛɛńÇ. Intectas fronde quietes, dit Lucrèce, lib. 1, v. 406. Bombycinis linteis intecti, Apulée, Metamorph. vi, p. 141, édit Colv. Tecla stramentis intecta, lib, xxvII,, cap. 1. Par conséquent nous préfererions le mot detecta, qui ne présente pas ce double sens. Τὰ τοῦ θεοῦ γνωρίσματα est une métaphore qui indique le livre des évangiles; Saint-Grégoire de Nysse, Epist. ad Eustathiam et Ambros. 11, p. 1088, B. édit. Paris, 1615, in-fol., dit dans le même sens, à jvwpiopata τñs μeyάing Toû δεσπότου ὑπὲρ ἡμῶν φιλανθρωπίας. La phrase de Lydus ne devrait-elle pas être plutôt rendue par detectaque cunctisque conspicua erant divina scripta ? » veur, il les jette aux pieds du monstre, prenant les » puissances célestes à témoin de cette oppression et > invoquant leur vengeance. » « La tyrannie du receveur ne s'arrêta pas à ce point; » elle alla jusqu'au meurtre. Il s'avisa un jour de de>>mander vingt pièces d'or à un vétéran nommé Proclus, » domicilié à Philadelphie. Ce vieillard n'ayant pas la » somme demandée, le receveur le fait mettre à la ques» tion et épuise sur lui tous les tourmens que peut in» venter la rage des bourreaux (4). La vie devient un far>> deau insupportable pour cet homme dont le corps était » déchiré de la manière la plus cruelle; il aurait voulu » mettre un terme à son existence, mais comment faire, » étant surveillé de près par les satellites du tyran. Il a >> enfin recours à la ruse; il promet de payer les vingt » pièces d'or, si on veut lui permettre de les aller cher>> cher chez lui. Rien de mieux, répond le receveur, qui » fait alors détacher le vétéran. On lui permet de se >> rendre dans sa maison, escorté toutefois d'une garde » nombreuse. A peine y est-on arrivé qu'il prie les sol>> dats de l'attendre à la porte, et se hâtant d'entrer, il » se pend aussitôt. Cependant l'escorte s'impatientant de » ne pas voir arriver la victime, prend le parti de l'aller >> chercher. Le premier objet qui s'offre à leur vue » est le corps du vieillard suspendu. A ce spectacle, » leur fureur éclate, ils s'emparent de tous les biens du » défunt; traînent son corps sur la place publique, le » foulent aux pieds, et ne lui laissent pas même une vile >> enveloppe pour sa sepulture. » Il est possible qu'il y ait de l'exagération dans ce récit, et la justice nous oblige même de dire que Lydus (4) « Il émoussa, dit Lydus, p. 260, sur les nerfs de cet infortuné tous les instrumens de torture ». Πάντα τὰ τῶν κοινῶν ὄργανα ἀπήμβλυνε τοῖς νεύροις τοῦ ἀθλίου πένητος. La phrase parait être imitee de celle de saint Grégoire de Nysse, Orat. in quadragint. Mart. 11, 341, C. Ty úпoμоvậ τῶν παθημάτων τοῦ κέντρου τὴν ἀκμὴν ἀπαμβλύναντες, lequel a imité d son tour une locution de Plutarque, De Solertia animal. 966. ἵνα μὴ τριβόμενοι τὴν ἀκμὴν ἀπαμβλύνωσιν. C ayant eu des raisons particulières pour se plaindre du préfet, peut être soupçonné d'un peu de partialité. Mais› enfin les faits parlent; il n'est pas probable que Lydus les ait inventés, et comme le témoignage d'autres historiens se joint au sien (5). Il paraît constant que le règne de Justinien, loin de pouvoir être comparé à celui de Numa, ressemblait à tous ceux où les bonnes intentions des princes faibles et paresseux sont sans cesse contrariées par des favoris adroits et corrompus. Au reste, si l'on doit des remercîmens à M. de Choiseul, aux frais duquel est imprimé le Traité des Magistratures, les savans apprendront avec plaisir que ce généreux protecteur des lettres aura bientôt encore plus de droits à leur reconnaissance. Le manuscrit qu'il a rapporté de Constantinople contient deux traités. Le premier est celui qui fait le sujet de cet article. Dans le second, Lydus a réuni tout ce que, dans son tems, on savait encore de l'art des augures. Ces devins, après avoir été dans l'origine les rivaux et peut-être les maîtres des rois de Rome; devinrent du tems de la république les instrumens de la politique du sénat. Les pontifes tous patriciens, étaient les dépositaires d'une science sacrée qui donnait au gouvernement un puissant moyen pour conduire à son gré la multitude; et les traités que plusieurs d'entre eux avaient composés sur l'art de la divination, devaient être des monumens curieux pour connaître l'esprit du gouvernement romain, ainsi que l'étendue des connaissances physiques et météorologiques à cette époque. Ces ouvrages n'existent plus, mais Lydus les avait consultés et M. Hase, dans l'excellente préface placée à la tête du Traité des Magistratures, nous apprend que le Traité des Prodiges, de la publi-, cation duquel M. de Choiseul l'a chargé, ne tardera pas à paraître. On y trouve des extraits des livres rituels des. Etrusques, des passages tirés de la météorologie de (5) Procope est d'accord avec lui-même sur les vices de Jean de Cappadoce, non-seulement dans les Anecdotes, p. 52, Edit. Reg.‚' mais encore dans les Histor. Persio. 70. D. 75. A. 170. C. et Vandal,) 210 A. |