"M de Genlis, DOIT sa qualité distinctive à la chevalerie " de François Io*, à la loyauté, à la valeur et à la gaîté de "Heuri-le-Grand, à la galanterie, à la noble fierté de » Louis XIV. Le caractère français se forme de cet heureux mélange de vertus héroïques et de qualités aimables, "il eût manqué quelque chose à ses agrémens ou à sa grandeur si l'un de ces rois n'eût pas existé. » Cela est brillant, flatteur même pour nous; mais si notre caractère doit à ces rois ses qualités distinctives, il n'en avait donc pas avant eux, ce qui est difficile à imaginer. Il y a ici, si je ne me trompe, transforination de l'effet en cause, de la cause en effet et que dirions-nous de la logique d'un écrivain ennemi qui prétendrait que Louis XI aurait imprimé à notre caractère sa bassesse farouche, Charles IX sa férocité, Louis XV son égoïsme et sa mollesse? Assurément si cet écrivain avait eu le talent de rendre son observation piquante, nous nous dispenserions au moins de la trouver profonde et juste. Mais j'oubliais que je ne veux point chercher ce que Grimm aurait pensé de Mademoiselle de la Fayette; quant à ce qu'il a écrit de divers autres ouvrages du même auteur, j'en ai dit assez pour engager peut-être M. Bourgeat à moins généraliser ses assertions, à se croire un peu moins de complices de son enthousiasme exclusif, à entrevoir enfin que M. de S......n et tant d'autres littérateurs qui l'ont précédé, tout en rendant justice, et par cela même qu'ils se sont plu à rendre justice aux beautés incontestables des ouvrages de M de Genlis, pourraient bien avoir perverti sur l'article de leurs défauts non moins réels plus d'une personne, au moins de celles qui ne traitent point ane opinion littéraire comme une opinion religieuse, et n'en font point une affaire de secte et de parti. Je suis, etc. GIRAUD. VARIÉTÉS. Des succès en littérature. UN particulier qui vit en province, sachant quelle im portance on met dans la capitale aux succès purement lit téraires et fort étrangers à toute vue d'utilité générale, s'est amusé à faire la note suivante qui me paraît ne contenir que des choses assez communes mais dont la réunion prouve beaucoup je l'ai prié de consentir à ce qu'elle fût imprimée. n Les hommes de génie doivent apprendre que ce n'est point par le génie qu'on fait sa fortune et qu'on vit heureux, a dit celui de tous les hommes de génie restés simples particuliers, qui a obtenu le plus de succès, qui a joui d'une plus grande aisance, et qui a le mieux réuni les apparences du bonheur. » Aux infortunes d'Homère, du Tasse, du Camoëns, il faut ajouter le sort d'Arnaud et les injustices fameuses (ce sont les termes du Journal de l'Empire, 16 juillet 1812 ), les inconcevables béçues du dix-septieme siecle, à l'égard des plus beaux esprits qui aient paru dans le monde depuis la renaissance des lettres. Corneille fut traité de cuistre par l'abbé d'Aubignac; Mme de Sévigné disait de Racine, comme on le dirait aujourd'hui d'un auteur de vaudevilles ou d'opéras-comiques que la mode en passerait; le théâtre était désert aux chefs-d'œuvre de Molière, etc. » La seule bonne comédie qui ait paru anciennement en France, est d'un homme inconnu. Les Anglais avaient pu remarquer leur sublime Shakespeare, et ne s'étaient nulle ment aperçu du mérite de leur divin Milton: il a fallu que Pope les avertit de mieux apprécier l'un, et qu'Adisson leur fit connaître l'autre. Sans Huygens, Newton lui-même fût resté plus ou moins long-tems obscur. Le succès de Britannicus et du Misanthrope fut très-difficile; mais le Timocrate de Th. Corneille eut quatre-vingt représenta tions avant de disparaître pour toujours. athalie, qui ne put s'élever d'abord, dut ensuite sa célébrité à une circons tance tout-à-fait particulière. M. Villers dit en parlant de la critique de la raison pure de Kant, que ce livre qui eut depuis un si prodigieux succès resta très-ignoré durant cinq à six ans, et fut sur le point d'être mis à la rame. M ท Robinson refusé d'abord de tous les libraires, rapporta mille livres sterlings à celui qui osa s'en charger, et depuis, il en a été fait de très-nombreuses éditions. Plusieurs chansonniers modernes qui ont seulement de la réputation, valent ou surpassent, selon quelques critiques, l'immortel Anacréon. Rivarol a judicieusement observé que le bel ouvrage de Fénélon n'eut pas, à beaucoup près, excité le même enthousiasme à une autre époque, ou sans les allusions souvent arbitraires qu'il parut contenir. แ Les plus grands moyens de l'esprit font moins qu'un certain accord entre le genre des talens qu'on possède et le hasard des circonstances, entre la manière de voir de l'auteur et celle de son siècle. Depuis Esope, aucun fabuliste ne devint célèbre chez les Grecs; Meiners prouve fort bien que cela devait être ainsi. Dans le Voyage d'Anacharsis, un athénien dit : « Parlerait-on de Lycurgue s'il était né dans une condition servile; d'Homère s'il avait vécu dans ces tems où la langue n'était pas encore formée? » Chez des peuples plus corrompus par la raison philosophique, Anaxagore n'eût pas été condamné pour avoir prétendu que le soleil était une masse enflammée et n'était pas Dieu. Quelques années avant qu'on eût perfectionné la distribution des indulgences, les argumens de Luther n'eussent pas changé la face d'une partie de la chrétienté. C'est moins aussi le mérite d'un travail et la difficulté d'une conception, que l'importance accidentelle, que l'éclat des résultats qui décide de la grandeur ou de l'opiniâtreté des louanges. Le personnage de Lovelace était plus difficile à imaginer que deux ou trois ruses qui donnèrent à Octaye l'empire du monde romain. Quel artiste déjà connu n'abandonnerait pas tout son bien, ne sacrifierait pas une partie de ses jours même, pour que le plus beau de ses ouvrages fût mis par l'Europe au même rang que l'Apollon dit du Belvédère? Cependant un homme a fait quelque part cet Apollon du Belvédère, et il n'en a retiré aucune gloire. Passons au-delà: mêlons aux dégoûts éprouvés par Racine, les persécutions qu'essuya Galilée; comparons aux prospérités d'un Garrick, tout ce que la fortune fit contre le respectable Stanislas; et voyons comment cette même cause qui avait fait refuser au poëte Bernis les moindres bénéfices, lui procura depuis et le cardinalat et le ministère. Sans remarquer combien la gloire est tardive; sans répéter, après d'Alembert, que la satire et l'injustice sont pour l'auteur vivant, et la gloire pour son ombre, citons parmi ceux qui ont assez infructueusement exécuté les plus pénibles entreprises, le voyageur Spillard qui doit avoir parcouru à pied des parties considérables de l'Asie et de l'Afrique, et avoir remonté le cours de plusieurs grands fleuves de l'Amérique. L'athénien Myronide batht les Béotiens dans une journée que Diodore met au-dessus des batailles de Marathon et de Platée, il remporta, di Meiners que j'ai déjà cité, plus de victoires que les Miltiades et les Cimons, cependant il est à peine connu des modernes. Sans la trahison d'un devin, le sage Xenophon eût fait le bonheur d'un peuple. Jason voulut entreprendre ce qu'effectua Philippe, mais on le poignarda. Philippe aurait fait ce que fit Alexandre, mais on le guarda était réservé à cet heureux Alexandre d'achever ce quAge silas avait conçu. Titus mort promptement, et qu'on se hâta d'appeler les délices du genre humain, était l'horreur des Juifs qui lui reprochaient non pas seulement leur désastre, mais son extrême cruauté. Néron, au contraire, vécut quelques années de trop; les délices de Rome en devinrent l'horreur. Quittons le diadême; il faut ici mêler les rangs comme la fatalité sait les confondre. Si Pompée, remplissant la terre de sa gloire, était peu estimé de Cicéron et de plusieurs autres Romains attaches toutefois à son parti, le médecin Harvey perdit la confiance du public, et passa pour fou, parce qu'il avait fait la découverte la plus utile à la médecine, parce qu'il avait reconnu le plus important phénomène de la vie (cette observation est encore de M. Villers). Pense-t-on que du moins une réputation faite sera désormais assurée ? Pour donner aujourd'hui quelque idée de la traduction que Corneillle fit de l'Imitation, il faut en citer des vers, et cependant elle a eu environ quarante éditions. Un auteur moderne fait plus : il soutient que la fortune décide du mérite même, en nous fournissant l'occasion non-seulement d'en montrer, mais aussi d'en acquérir. » La célébrité des lieux dépend du sort, comme celle des hommes. La stérile Cythère passe pour une île délicieuse; c'est à Vénus qu'elle le doit. Le pont du Diable, dans le canton d'Uri, est connu de l'Europe, il se trouve sur un passage fréquenté : près de là, les Grisons en ont un qui est bâti plus hardiment, au-dessus d'un précipice beaucoup plus profoud; jamais il n'est visité par ces mêmes voyageurs qui feraient quarante lieues exprès pour voir le premier. Ma Il est tems que je proteste contre toute interprétation odieuse. Pour rien au monde je ne voudrais affaiblir l'éclat de ces plumes qui ont donné au public quelque imitation. en quatre vers, suivis d'utiles renseignemens sur le poste occupé par l'auteur, et sur sa naissance; mais j'engagerais tant d'hommes célèbres à considérer que l'admiration pour les plus belles choses doit s'affaiblir un jour, qu'en vain l'on a fait un couplet ære perennius, et qu'enfin même à une époque que nous nommerions volontiers la jeunesse du monde, lorsque tant de générations, dont les plus rares esprits ont péri depuis dans les dégoûts, n'étaient pas encore venues se disputer de magnifiques espérances, un sage faisait déjà cette réflexion qui n'a pas dû paraître nouvelle aux hommes de son tems: Futura tempora oblivione cuncta pariter operient. ECCLES., 2." DE SEN**. Lettre de VOLTAIRE à Mademoiselle RAUCOURT, actrice de la comédie française (*). A Ferney, 1773. RAUCOURT, tes talens enchanteurs Le charme heureux de la nature; (*) Cette lettre, qui manque aux Euvres de Voltaire, fait partie de la collection annoncée dans le Mercure du mois de juin dernier, page 608. |