LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS. PARTICULARITÉS ET OBSERVATIONS SUR LES MINISTRES DES FINANCES DE FRANCE LES PLUS CÉLÈBRES, DEPUIS 1660 JUSQU'EN 1791. A Paris, chez Lenormant, imprimeur-libraire, rue de Seine, no 8. L'OUVRAGE que nous annonçons paraît déjà depuis plusieurs mois, et nous avons à nous justifier auprès du public de notre long retard à rendre compte d'un livre dont le sujet et le mérite réel commandaient plus d'empressement; mais tel est le sort de tout ce qui n'est que sage et raisonnable, il faut du tems pour le faire apprécier. Le déluge de vers et de prose soidisant poétique dont nous sommes inondés, les romans de la semaine, les traités de morale et d'éducation en impromptu, tant de scientifiques analyses en petit format, de méthodes abrégées pour tout apprendre, et qui ne servent qu'à démontrer l'incapacité de leurs auteurs; de recueils voués à l'immortalité et qui pourront bien ne pas arriver tous à leur destination, étourdissent tant soit peu un modeste journaliste ébloui de toutes ces richesses littéraires : le moyen de ne pas céder au torrent quand il voit le frontispice d'un livre décoré du nom d'un auteur, membre résident, correspondant ou associé, de tel athénée ou de telle société savante, dont la discrète renommée n'a encore révélé que le nom? n'est-il pas dans les règles d'une bonne justice distributive, justice littéraire s'entend, de s'occuper d'abord de celui qui appartient à une corporation; c'est un homme à ménager, il a des amis ; la prudence veut qu'on laisse à ceux-ci le soin d'obscurcir son auréole, ils s'en acquitteront bien; nous conviendrait-il, à nous profanes, de nous initier dans ces mystères ? Admirons, et si nous rompons le silence, que ce soit pour faire entendre un concert de louanges; merveil leuse rosée qui rafraîchit les palmes académiques! Quant à l'auteur inconnu et trop modeste pour accompagner son nom d'une kyrielle obligée de titres à notre admi ration, qu'il attende: le jour de la vérité viendra toujours assez tôt ; c'est à lui de la souffrir puisqu'il n'est pas assez puissant pour trouver un flatteur. L'auteur des Particularités sur les Ministres ne la redoute pas cette vérité souvent si terrible, le tems même ne peut qu'ajouter à l'estime que tous les bons esprits concevront pour un livre qui renferme des opinions saines et des faits curieux. Cet ouvrage, comme on l'a fort bien remarqué, rentre dans la classe des mémoires; on y trouvera des matériaux précieux qui serviront un jour à établir plusieurs points importans de notre his toire. Les finances jouent un grand rôle dans le systèmé. des monarchies modernes, c'est le pouls des Etats. Les historiens plus occupés de faire passer sous les yeux des lecteurs le récit des faits brillans et capables de soutenir l'intérêt, que d'entrer dans les détails arides de vérités obscures, aiment mieux attribuer aux passions humaines les événemens qui agitent les empires, plutôt que de voir dans ces grandes commotions le résultat de l'erreur, de l'impéritie, ou d'une force mystérieuse et secrète qui entraîne avec elle les hommes et les choses. C'est principalement dans les deux derniers siècles que cette influence se fait le plus remarquer. Dans les siècles pré→ cédens le système financier de la France était presqu'en tièrement nul. La féodalité, dans toute sa vigueur, mettait un obstable à ces moyens adroits et compliqués qui depuis ont érigé en véritable science ce qui n'était alors qu'un métier dont tout le mérite se bornait à prélever des contributions momentanées pour faire face à des dépenses le plus souvent mal calculées d'avance. Le revenu particulier du souverain, et quelques impôts inégalement prélevés, répartis arbitrairement, suffisaient au reste. Que l'Etat fût déchiré par les factions, le parti vainqueur, sans guide et sans boussole, se trouvait tout-à-coup privé des moyens de profiter de la victoire et de rétablir le bon ordre. Ce malheur menaça les premiers momens du règne de Henri IV; mais ce prince : trouva dans le génie de son ministre des ressources inespérées. Sully entrevit ce qu'il était possible de faire dans l'avenir, et sauva son maître et la France. Sous le règne de Louis XIII et pendant la majorité de Louis XIV, l'esprit du ministère fut dirigé uniquement par les vues d'une politique artificieuse ou violente, et souvent par l'intrigue. Le levain des factions, reste des guerres civiles et du gouvernement féodal, fermentait en s'épuisant. L'administration des finances ne fit aucun pas vers sa perfection; mais en 1660, un homme investi de la confiance de la nation et du souverain, donna l'essor à ses grandes pensées et commença un nouvel ordre de choses cet homme, c'est Colbert, est le véritable fondateur du système moderne des finances en France. C'est ici que commence l'ouvrage que nous examinons. L'auteur embrasse la période de tems qui s'est écoulée depuis 1660 jusqu'à la retraite de M. Necker en 1791. Vingt-neuf ministres des finances se sont succédés dans cet intervalle. L'auteur ne traite en détails que de dix principaux ministres dont les opérations, les succès ou les fautes ont eu une influence particulière sur les événemens de leur siècle. On voit Colbert et Desmarets faire concorder sous Louis XIV l'intérêt des particuliers et l'intérêt général, fonder le crédit public et sauver la France par des ressources dont on ne soupçonnait pas auparavant l'existence. Law, sous la régence, élève ce crédit, par des moyens factices, à un degré extraordinaire, ruine les particuliers et compromet le salut de l'Etat. Machaut et Silhouette, par des impôts sagement combinés, prennent un rang parmi les administrateurs les plus distingués, et par une des inexplicables bizarreries de l'esprit humain, l'opération qui devait le plus honorer le court ministère de ce dernier, précipita sa chute, et le fit mourir, comme il le dit lui-même, de la maladie des ministres disgraciés. Peu de tems après, l'abbé Terray abandonne tous les principes, fonde ses opérations sur la violence et l'oppression, et pourvoit aux besoins du moment en creusant un abime pour l'avenir. Tout change sous Lous XVI: Turgot élevé à l'école des économistes et l'un des plus grands soutiens de la secte, réduit l'administration en une métaphysique ténébreuse et impuissante, et comme des chimères ne peuvent long-tems satisfaire des esprits inquiets et tourmentés du besoin d'adopter des idées nouvelles, Turgot quitte le ministère et avec lui disparaissent toutes les savantes théories qu'il avait cru pouvoir subsistuer aux leçons de l'expérience. Necker paraît ensuite sur la scène; c'est l'âge des emprunts, moyen brillant mais dangereux et dont on n'obtiendra jamais de succès solide dans un gouvernement vieilli, qui repousse la confiance publique par la versatilité de son système. Après lui, M. de Calonne en suivant une partie des mêmes principes, éprouve de plus grandes difficultés ; Necker avait cru pouvoir diriger les finances d'un grand empire comme il conduisait une opération de banque. Calonne dédaigne les calculs timides, peut-être, mais plus exacts d'un financier, pour se livrer à l'esprit d'innovation qui, à cette époque, bouleversait toutes les têtes. Si la nature des circonstances appelait d'inévitables changemens, il fallait un autre caractère que celui de Calonne pour les maîtriser. L'inconcevable étourderie de ce ministre est peinte par l'auteur des Particularités, avec des couleurs un peu forcées, mais qui ne s'éloignent cependant pas beaucoup de la vérité. Quelques anecdotes rapportées dans cet ouvrage ont excité des réclamations de la part des amis que M. de Calonne avait eu le bonheur de conserver, et ce n'est pas un médiocre avantage pour la mémoire d'un ministre qui fut bien loin d'être exempt de reproches. L'inutile assemblée des notables, imprudemment convoquée, mal dirigée, ne servit qu'à faire mesurer l'étendue de l'abîme, sans offrir des moyens pour le combler. Dèslors l'impulsion donnée aux événemens ne permit plus à M. de Calonne de rester au timon de affaires. Par de nouvelles fautes et de nouveaux essais également malheureux, la cour aggrave le mal, et Necker reparaît sur l'horizon avec des vues secrètes dont sans doute on était alors bien loin de prévoir les funestes résultats. Ce ne sont plus des calculs financiers qu'il propose, mais une législation nouvelle. Les Etats-Généraux sont convoqués l'univers sait le reste! L'auteur termine son ouvrage par une comparaison établie entre les ministres de Louis XIV et ceux des successeurs de ce prince. «Les premiers, dit-il, ont été » bien supérieurs pour leur zèle, pour la gloire et la »prospérité du roi et de l'Etat, et par le courage avec lequel ils ont bravé tous les obstacles. Leurs entre»prises ont un caractère de noblesse, de grandeur, de » tendance à l'immortalité, autant qu'il est donné à la >>> faiblesse humaine d'y prétendre ; s'élevant au-dessus » de leur nation et de leur siècle, ils ont eu en perspec»tive, l'Europe, l'univers, les siècles à venir. Depuis eux, cette élévation, cette force sont disparues du » ministère qui, sur-tout dans les derniers tems, a été gouverné par ceux qu'il devait gouverner. Sous » Louis XIV les ministres ont mis leur réputation entre » les mains de la postérité ; sous Louis XVI, la plupart » d'entr'eux l'ont placé en viager. ». . On reconnaît dans ce livre un homme qui a long-tems médité le sujet qu'il s'est proposé de traiter. Il est hors de doute, que témoin des événemens du dernier règne, il n'ait vu de près les principaux acteurs qui ont figuré sur ce grand théâtre. S'il juge avec sévérité Necker et Calonne, on ne peut nier que ce soit d'après ses propres observations, et non d'après une impulsion étrangère. Le style de l'auteur n'est pas d'un littérateur de profession sans doute, mais il annonce un homme dont l'esprit est mûri par la réflexion et par l'étude. On y retrouve souvent une imitation sensible de ces formes animées et rapides qui rachettent si bien les incorrections qui fourmillent dans les Mémoires de St.-Simon. Mais ce duc écrivait en grand seigneur qui jette ses pensées sur le papier sans ambitionner la qualité d'auteur. Ses défauts sont effacés par la grâce de la narration et l'extrême intérêt du sujet. L'imitation est frappante, sur-tout dans le portrait que le nouvel écrivain trace de M. de Calonne. Ce portrait, chargé d'antithèses, éblouit par un grand cliquetis de mots; c'est un des passages les plus travaillés de tout le livre, mais, il faut le dire, ce n'est |