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que le moine contractât une sorte d'obligation morale qui tendait à prendre de jour en jour plus de fixité, cependant aucun vou, aucun engagement formel n'était encore prononcé. Ce fut saint Benoît qui les introduisit et en fit la base de la vie monastique, dont le caractère primitif disparut ainsi complétement. L'exaltation et la liberté, tel était ce caractère; les vœux perpétuels, qui ne pouvaient tarder à être placés sous la garde de la puissance publique, y substituèrent une loi, une institution :

Que celui qui doit être reçu, dit la règle de saint Benoît, promette dans l'oratoire, devant Dieu et ses saints, la perpétuité de son séjour, la réforme de ses mœurs et l'obéissance... Qu'il fasse un acte de cette promesse, au nom des saints dont les reliques sont déposées là, et de l'abbé présent. Qu'il écrive cet acte de sa main; ou, s'il ne sait écrire, qu'un autre, à sa demande, l'écrive pour lui; et que le novice y fasse une croix, et pose de sa main l'acte sur l'autel 1.

Le mot de novice vous révèle une autre innovation: un noviciat était en effet la conséquence naturelle de la perpétuité des voeux; et saint Benoît, qui joignait à une imagination exaltée et à un caractère ardent beaucoup de bon sens et de sagacité pratique, ne manqua pas de le prescrire. La durée en était de plus d'un an; on lisait, à plusieurs reprises, la règle tout entière au novice, en lui disant : « Voilà la loi sous laquelle tu veux combattre; >> si tu peux l'observer, entre; si tu ne le peux, va en » liberté.» A tout prendre, les conditions et les formes de l'épreuve sont évidemment conçues dans un

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esprit de sincérité, et avec l'intention de se bien assurer que la volonté du récipiendaire soit réelle et forte.

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4° Quant au code politique, au gouvernement même des monastères, la règle de saint Benoît offre un singulier mélange de despotisme et de liberté. L'obéissance passive en est, vous venez de le voir, le principe fondamental: en même temps le gouvernement est électif; l'abbé est toujours choisi par les frères. Ce choix une fois fait, ils perdent toute liberté, ils tombent sous la domination absolue de leur supérieur, mais du supérieur qu'ils ont élu, et de celui-là seul.

Il y a plus: en imposant aux moines l'obéissance, la règle ordonne à l'abbé de les consulter. Le chapitre 3, intitulé, Qu'il faut prendre l'avis des frères, porte expressément :

Toutes les fois que quelque chose d'important doit avoir lieu dans le monastère, que l'abbé convoque toute la congrégation, et dise de quoi il s'agit, et qu'après avoir entendu l'avis des frères, il y pense à part șoi, et fasse ce qu'il jugera le plus convenable. Nous disons d'appeler tous les frères au conseil, parce que Dieu révèle souvent au plus jeune ce qui vaut le mieux. Que les frères donnent leur avis en toute soumission, et qu'ils ne se hasardent pas à le défendre avec opiniâtreté; que la chose dépende de la volonté de l'abbé, et que tous obéissent à ce qu'il a jugé salutaire. Mais de même qu'il convient aux disciples d'obéir au maître, de même il convient à celui-ci de régler toutes choses avec prudence et justice. Que la règle soit suivie en tout, et que nul n'ose s'en écarter en rien.....

Si de petites choses sont à faire dans l'intérieur du monastère, qu'on prenne seulement l'avis des anciens, ainsi qu'il est écrit: Fais toutes choses avec conseil, et tu ne te repentiras pas de les avoir faites.

Ainsi coexistent, dans ce singulier gouverne

ment, l'élection, la délibération, et le pouvoir absolu.

5° Les chapitres qui traitent de sujets divers n'ont rien de bien remarquable, sinon un caractère de bon sens et de douceur qui éclate du reste dans beaucoup d'autres parties de la règle, et dont il est impossible de n'être pas frappé. La pensée morale et la discipline générale en sont sévères; mais, dans le détail de la vie, elle est humaine et modérée ; plus humaine, plus modérée que les lois romaines, que les lois barbares, que les mœurs générales du temps; et je ne doute pas que les frères, renfermés dans l'intérieur d'un monastère, n'y fussent gouvernés par une autorité, à tout prendre, plus raisonnable et d'une manière moins dure qu'ils ne l'eussent été dans la société civile.

Saint Benoît était si préoccupé de la nécessité d'une règle douce et modérée, que la préface qu'il y a jointe finit en ces termes :

Nous voulons donc instituer une école du service du Seigneur, et nous espérons n'avoir mis dans cette institution rien d'âpre ni de pénible; mais si, d'après le conseil de l'équité, il s'y trouve, pour la cor— rection des vices et le maintien de la charité, quelque chose d'un peu trop rude, ne va pas, effrayé de cela, fuir la voie du salut : à son commencement elle est toujours étroite; mais, par le progrès de la vie régulière et de la foi, le cœur se dilate, et on court avec une douceur ineffable dans la voie des commandements de Dieu.

Ce fut en 528 que saint Benoît donna sa règle : en 543, époque de sa mort, elle était déjà répandue dans toutes les parties de l'Europe. Saint Placide l'avait portée en Sicile; d'autres en Espagne.

Saint Maur, disciple chéri de saint Benoît, l'introduisit en France. A la demande d'Innocent, évêque du Mans, il partit du monastère du mont Cassin à la fin de l'année 542, pendant que saint Benoît vivait encore lorsqu'il arriva à Orléans, en 543, saint Benoît ne vivait déjà plus; mais l'institution 'n'en suivit pas moins son cours. Le premier monastère fondé par saint Maur fut celui de Glanfeuil, en Anjou, ou Saint-Maur-sur-Loire. A la fin du VIe siècle, la plupart des monastères de France avaient adopté la même règle; elle était devenue la discipline générale de l'ordre monastique, si bien que, vers la fin du vir° siècle, Charlemagne faisait demander, dans les diverses parties de son Empire, s'il y existait d'autres moines que ceux de l'ordre de saint Benoît.

Nous n'avons encore étudié, Messieurs, que la moitié, pour ainsi dire, des révolutions de l'institut monastique à cette époque, ses révolutions intérieures, les changements survenus dans le régime et la législation des monastères. Il nous reste à examiner leurs révolutions extérieures, leurs rapports d'une part avec l'État, de l'autre avec le clergé, leur situation dans la société civile et dans la société ecclésiastique. Ce sera l'objet de notre prochaine réunion.

QUINZIÈME LEÇON.

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Des rapports des moines avec le clergé du ive au vin siècle. — Leur indépendance primitive. Son origine. Causes de son déclin.

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- 1o A mesure que le nombre et le pouvoir des moines augmentent, les évêques étendent sur eux leur juridiction. Canons des conciles.

2o Les moines demandent et obtiennent des priviléges. 3o Ils

aspirent entrer dans le clergé. parmi les moines eux-mêmes.

cette prétention.- Ils y cèdent.

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Dissidence et lutte à ce sujet

Les évêques repoussent d'abord
En entrant dans le clergé, les

moines perdent leur indépendance. — Tyrannie des évêques sur les monastères. Résistance des moines. Chartes concédées par les évêques à quelques monastères. Les moines recourent à la protec

tion des rois, à celle des papes. · Caractère et limites de cette intervention. Similitude de la lutte des monastères contre les évéques, et de celle des communes contre les seigneurs féodaux.

MESSIEURS 2

Nous avons étudié le régime intérieur des monastères du iv au VIIIe siècle; occupons-nous aujourd'hui de leur situation extérieure dans l'Église en général, de leurs rapports avec le clergé.

De même qu'on s'est trompé sur l'état et le régime intérieur des monastères, en oubliant le caractère primitif des moines, laïques d'abord et non ecclésiastiques, de même on s'est beaucoup trompé sur leur situation dans l'Église, en oubliant leur ca

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