Images de page
PDF
ePub

celui de l'aristocratie féodale; c'était peut-être, à cette époque, le besoin commun et dominant, le seul moyen de maintenir la société.

Mais c'est l'honneur et le salut de la nature humaine que le mal, même inévitable, ne s'accomplit jamais sans résistance, et que la liberté, en protestant et luttant sans cesse contre la nécessité, prépare l'affranchissement, au moment même où elle subit le joug. Les évêques abusérent étrangement de leur immense pouvoir : les prètres et les revenus de leurs diocèses furent en proie à des violences et à des exactions de tout genre : les actes des conciles, composés d'évêques seuls, sont, à cet égard, le témoin le plus irrécusable.

Nous avons appris, dit le concile de Tolède, que les évêques traitent leurs paroisses, non épiscopalement, mais cruellement; et tandis qu'il a été écrit : « Ne dominez pas sur l'héritage du Seigneur, mais rendez» vous les modèles du troupeau, »ils accablent leurs diocèses de pertes et d'exactions. C'est pourquoi que toutes les choses que s'approprient les évêques leur soient refusées, à l'exception de ce que leur accordent les anciennes constitutions; que les cleres, soit paroissiaux, soit diocésains, qui seront tourmentés par l'évêque, portent leurs plaintes au métropolitain, et que le métropolitain ne tarde pas à réprimer de tels excès 1.

Ceux qui ont déjà obtenu les degrés ecclésiastiques, c'est-à-dire les prêtres, dit le concile de Braga, ne doivent point être sujets à recevoir des coups, si ce n'est pour des fautes graves et mortelles. Il ne convient pas que chaque évêque, à son gré et selon qu'il lui plaît, frappe de coups et fasse souffrir ses honorables membres, de peur qu'il ne perde ainsi le respect que lui doivent ceux qui lui sont soumis ?.

Les clercs ne perdirent pas tout respect des évê

1 Concile de Tolède, en 589, c. 20. 2 Concile de Braga, en 675, c. 7.

ques, mais ils n'acceptèrent pas non plus toute leur tyrannie. Un fait important, et trop peu remarqué, se révèle çà et là dans le cours de cette époque : c'est la lutte des prêtres de paroisse contre les évêques. Trois symptômes principaux, consignés dans les actes des conciles, ne permettent pas de le mé

connaître :

1o Les prêtres de paroisse, les clercs inférieurs se liguent entre eux pour résister; ils forment, contre l'évêque, des conjurations, semblables à ces conjurations, à ces communes que formèrent plus tard les bourgeois des villes contre leurs seigneurs :

Si quelques clercs, comme cela est arrivé naguère en beaucoup de lieux, à l'instigation du diable, rebelles à l'autorité, se réunissent en conjuration, se prêtent entre eux des serments, ou se donnent des écrits, que sous aucun prétexte une telle audace ne demeure cachée, et que, la chose une fois connue, lorsqu'on viendra au synode, les évêques alors rassemblés punissent les coupables, suivant le rang et la qualité des personnes 1.

Si des clercs, afin de se révolter, se lient en conjuration soit par des şerments, soit par des écrits, et tendent artificieusement des piéges à leur évêque, et și, avertis de renoncer à ces pratiques, ils dédaignent d'obéir, qu'ils soient dépouillés tout-à-fait de leur rang 2.

2° Les prêtres ont sans cesse recours, contre leur évêque, à l'appui des laïques, probablement du patron de la paroisse, ou de tout autre homme puissant avec lequel ils sont en relation : « Que les » clercs ne s'élèvent point contre leur évêque, au » moyen des puissants du siècle 3; » telle est l'injonction sans cesse répétée des conciles.

1 Concile d'Orléans, en 538, c. 21.

2 Concile de Reims, en 625, c. 2; voyez aussi concile de Narbonne, en 589, c 5.

Concile de Clermont, en 535, c. 4.

3o Mais en répétant cette injonction, en proscrivant les conjurations de prêtres, les conciles euxmêmes essaient de porter au mal quelque remède : des plaintes leur arrivent de toutes parts, et ils se sentent obligés d'en tenir compte. Quelques textes, puisés dans leurs actes, en diront plus à cet égard que tous les commentaires :

Comme il nous est parvenu des plaintes sur ce que certains évêques s'emparent des choses données par certains fidèles aux paroisses, de telle sorte qu'ils n'en laissent que bien peu ou presque rien aux églises auxquelles elles ont été données, il nous a paru juste et raisonnable que si l'église de la cité où réside l'évêque est si bien pourvue qu'avec la grâce du Christ elle ne manque de rien, tout ce qui reste aux paroisses soit distribué aux clercs qui les desservent ou employé à la réparation de leurs églises. Mais si l'évêque a beaucoup de dépenses à faire, et pas assez de revenus pour y suffire, qu'on laisse aux paroisses plus riches ce qui convient raisonnablement, soit pour les clercs, soit pour l'entretien des bâtiments, et que l'évêque emploie à son usage, afin de pourvoir à ses dépenses, ce qu'il y aura de surplus1.

Si des offrandes ont été faites aux basiliques établies dans les cités, en terres, ou meubles, ou autres choses quelconques, qu'elles soient à la disposition de l'évêque, et qu'il soit libre d'en employer ce qui convient, soit aux réparations de la basilique, soit à l'entretien des clercs qui la desservent. Quant aux biens des paroisses ou des basiliques établies dans les bourgs dépendant des cités, qu'on observe la coutume de chaque lieu ?.

Il a été décidé qu'aucun évêque, dans la visite de son diocèse, ne recevrait, de chaque église, rien au-delà de ce qui lui est dû, comme marque d'honneur pour son siége; il ne prendra point le tiers de toutes les offrandes du peuple dans les églises de paroisse, mais ce tiers restera pour les luminaires de l'église et pour les réparations; et chaque année il en sera tenu compte à l'évêque. Car si l'évêque prend ce tiers, il enlève à l'église ses luminaires et l'entretien de son toit 3. L'avarice est la racine de tous les maux, et cette soif coupable s'em

1 Concile de Carpentras, en 527.

2 Concile d'Orléans, en 538, c. 5.

3 Concile de Braga, en 572, c. 2.

pare même du cœur des évêques. Beaucoup de fidèles, par amour pour le Christ et les martyrs, élèvent des basiliques dans les paroisses des évêques, et y déposent des offrandes ; mais les évêques s'en emparent, et les détournent à leur usage. De là suit que les clercs manquent pour célébrer les saints offices, car ils ne reçoivent pas leurs honoraires. Les basiliques délabrées ne sont point réparées, parce que l'avidité sacerdotale a enlevé toutes les ressources. Le présent concile ordonne donc que les évêques gouvernent leurs diocèses sans recevoir rien de plus que ce qui leur est dû d'après les anciens décrets, c'est-à-dire le tiers des offrandes et des revenus des paroisses; que s'ils prennent quelque chose de plus, le concile le fasse rendre à la demande, soit des fondateurs des églises, soit de leurs parents. Que les fondateurs des basiliques sachent cependant qu'ils ne conservent aucun pouvoir sur les biens qu'ils confèrent auxdites églises ; et que, selon les canons, la dotation de l'église, ainsi que l'église elle-même, est sous la juridiction de l'évêque 1.

Entre les choses qu'il nous convient de régler d'un commun accord, il importe surtout de satisfaire sagement aux plaintes des prêtres paroissiaux de la province de Galice; plaintes qui ont pour objet la rapacité de leurs évêques, et que la nécessité les a poussés enfin à soumettre à un examen public. Ces évêques, en effet, comme l'a évidemment manifesté une enquête, accablent d'exactions leurs églises paroissiales; et pendant qu'ils vivent eux-mêmes avec un riche superflu, il est prouvé qu'ils ont réduit presque à la ruine certaines basiliques. Afin donc que de tels abus ne se renouvellent point, nous ordonnons que, selon le synode de Braga, chacun des évêques de ladite province ne reçoive annuellement, de chacune des basiliques de son diocèse, pas plus de deux solidi. Et lorsque l'évêque visite son diocèse, qu'il ne soit à charge à personne par la multitude de ses serviteurs, et que le nombre de ses voitures ne soit pas de plus de cinq, et qu'il ne demeure pas plus d'un jour dans chaque basilique 2.

En voilà plus qu'il n'en faut sans doute pour prouver l'oppression et la résistance, le mal, et la tentative d'y porter remède. La résistance échoua, le remède fut inefficace; le despotisme épiscopal continua de se déployer. Aussi, au commencement

1 Concile de Tolède, en 633, c. 33. 2 Concile de Tolède, en 646, c. 4.

du vir siècle, l'Église était - elle tombée dans um désordre presque égal à celui de la société civile. Sans supérieurs et sans inférieurs à redouter, dégagés de la surveillance des métropolitains comme des conciles, et de l'influence des prêtres, une foule d'évêques se livraient aux plus scandaleux excès. Maîtres des richesses toujours croissantes de l'Église, rangés au nombre des grands propriétaires, ils en adoptaient les intérêts et les mœurs : ils abandonnaient leur caractère ecclésiastique pour mener la vie laïque; ils avaient des chiens, des faucons de chasse; ils marchaient entourés de serviteurs armés; ils allaient eux-mêmes à la guerre : bien plus, ils faisaient, contre leurs voisins, des expéditions de violence et de brigandage. Une crise était inévitable; tout préparait, tout proclamait la nécessité d'une réforme. Vous verrez qu'elle fut tentée en effet, peu après l'avènement des Carlovingiens, par la puissance civile. Mais l'Église elle-même en contenait le germe à côté du clergé séculier s'était développé un autre ordre, réglé par d'autres principes, animé d'un autre esprit, et qui semblait destiné à prévenir cette dissolution dont l'Église était menacée. Je veux parler des moines. Leur histoire, du vi au vir siècle, sera l'objet de notre prochaine réunion.

« PrécédentContinuer »