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DOUZIÈME LEÇON.

Objet de la leçon. De l'état de l'Église en Gaule, du via siècle au milieu du vIII. — Analogie de l'état primitif de la société religieuse et de la société civile. De l'unité de l'Église, ou de la société spirituelle. - Des deux éléments ou conditions de la société spirituelle : 1o unité de la vérité, c'est-à-dire de la raison absolue; 2o liberté des esprits, c'est-à-dire de la raison individuelle. De l'état de ces deux idées dans l'Église chrétienne, du vra au vIII® siècle.-Elle adopte l'une et méconnaît l'autre. - De l'unité de l'Église dans la législation. Conciles généraux. — Différence entre l'Église d'Orient et l'Église d'Occident, quant à la poursuite des hérétiques. Des rapports de l'Église avec l'État, du vie au vir siècle : 1° dans l'Empire d'Orient; 2o dans l'Occident, et spécialement dans la gaule-franque. Intervention du pouvoir temporel dans les affaires de l'Église. - Du pouvoir spirituel dans les affaires de l'État. — Résumé.

MESSIEURS,

Nous rentrons aujourd'hui dans une route où nous avons déjà marché; nous reprenons un fil que nous avons tenu : nous avons à nous occuper de l'histoire de l'Église chrétienne en Gaule, depuis l'accomplissement de l'invasion jusqu'à la chute des rois mérovingiens, c'est-à-dire du vr au milieu du vIIIe siècle.

La détermination de cette période n'est point arbitraire; l'avènement des rois carlovingiens a mar

qué une crise dans la société religieuse aussi bien que dans la societé civile. C'est une date qui fait époque, et à laquelle il convient de s'arrêter.

Rappelez-vous, je vous prie, le tableau que j'ai tracé de l'état de la société religieuse en Gaule avant la chute définitive de l'Empire romain, c'est-à-dire à la fin du ive et au commencement du v° siècle. Nous avons considéré l'Église sous deux points de vue: 1° dans sa situation extérieure, dans ses rapports avec l'État; 2° dans sa constitution intérieure, dans son organisation sociale et politique. A ces deux problèmes fondamentaux se rallient, nous l'avons vu, toutes les questions particulières, tous les faits.

Ce double examen nous a fait entrevoir, dans les cinq premiers siècles de l'Église, le germe de toutes les solutions des deux problèmes, quelque exemple de toutes les formes, des essais de toutes les combinaisons. Point de système, soit quant aux relations extérieures de l'Église, soit quant à son organisation intérieure, qui ne puisse remonter jusqu'à cette époque, et s'y rattacher à quelque autorité. L'indépendance, l'obéissance, la souveraineté ou les transactions de l'Église avec l'État, le presbytérianisme ou l'épiscopat, l'absence complète du clergé ou sa domination presque exclusive, nous avons tout rencontré, tout aperçu.

Nous venons d'examiner l'état de la société civile après l'invasion, dans les vie et vu siècles, et nous sommes arrivés au même résultat. Nous y avons également trouvé le germe, l'exemple de tous les

systèmes d'organisation sociale et de gouvernement: la monarchie, l'aristocratie et la démocratie; les assemblées d'hommes libres; le patronage du chef de bande sur ses guerriers, du grand propriétaire sur les propriétaires inférieurs; la royauté absolue et impuissante, élective et héréditaire, barbare, impériale et religieuse; tous les principes, en un mot, qui se sont développés dans la vie de l'Europe moderne, nous ont dès lors simultanément apparu.

Remarquable similitude, Messieurs, dans les origines et l'état primitif des deux sociétés : la richesse et la confusion y sont pareilles; toutes choses y sont; aucune à sa place et dans sa mesure; l'ordre y viendra avec le développement; en se développant, les éléments divers se dégageront, se distingueront, déploieront chacun ses prétentions et ses forces propres, d'abord pour se combattre, ensuite pour transiger. Telle sera l'œuvre progressive du temps et de l'homme.

C'est à ce travail que nous allons désormais assister: nous avons saisi, dans le berceau des deux sociétés, tous les éléments matériels, tous les principes rationnels de la civilisation moderne; nous allons les suivre dans leurs luttes, leurs négociations leurs amalgames, dans toutes les vicissitudes dé leur destinée spéciale et commune. C'est là, à proprement parler, l'histoire de la civilisation; nous n'avons guère fait encore que reconnaître le théâtre de cette histoire, et en nommer les acteurs.

Vous ne vous étonnerez pas, Messieurs, qu'en entrant dans une nouvelle ère nous rencontrions

d'abord la société religieuse; elle était, vous le savez, la plus avancée et la plus forte; soit dans la municipalité romaine, soit auprès des rois barbares, soit dans la hiérarchie des conquérants devenus propriétaires, nous avons partout reconnu la présence et l'influence des chefs de l'Église. Du Ive au XIII® siècle, c'est l'Église qui a marché la première dans la carrière de la civilisation. Il est donc naturel que, dans cet intervalle, toutes les fois que nous avons fait une halte et que nous nous remettons en mouvement, ce soit par elle que nous ayons à recom

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Nous étudierons son histoire du vie au vir siècle, sous les deux points de vue déjà indiqués: 1° dans ses relations avec l'État; 2° dans sa constitution propre et intérieure.

Mais, avant d'aborder l'une ou l'autre de ces questions, et les faits qui s'y rattachent, je dois appeler votre attention sur un fait qui les domine tous, qui caractérise l'Église chrétienne en général, et a décidé, pour ainsi dire, de sa destinée.

Ce fait, c'est l'unité de l'Église, l'unité de la société chrétienne, indépendamment de toutes les diversités de temps, de lieu, de domination, de langue, d'origine.

Singulier phénomène! C'est au moment où l'Empire romain se brise et disparaît, que l'Église chrétienne se rallie et se forme définitivement. L'unité politique périt, l'unité religieuse s'élève. Je ne sais combien de peuples divers d'origine, de mœurs, de langage, de destinée, se précipitent sur la scène;

tout devient local, partiel; toute idée étendue, toute institution générale, toute grande combinaison sociale s'évanouit; et c'est à ce moment que l'Église chrétienne proclame le plus haut l'unité de sa doctrine, l'universalité de son droit.

Fait glorieux et puissant, Messieurs, qui a rendu, du ve au xi siècle, d'immenses services à l'humanité. L'unité de l'Église a seule maintenu quelque lien entre des pays et des peuples que tout d'ailleurs tendait à séparer; sous son influence, quelques notions générales, quelques sentiments d'une vaste sympathie ont continué de se développer; et, du sein de la plus épouvantable confusion politique que le monde ait jamais connue, s'est élevée l'idée la plus étendue et la plus pure, peut-être, qui ait jamais rallié les hommes, l'idée de la société spirituelle; car c'est là le nom philosophique de l'Église, le type qu'elle a voulu réaliser.

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les

Quel sens attachaient à ces mots, Messieurs, hommes de cette époque, et quels progrès avaientils déjà faits dans cette voie? Qu'était vraiment, dans les esprits et dans les faits, cette société spirituelle, objet de leur ambition et de leur respect? Comment était-elle conçue et pratiquée? Il faut répondre à ces questions pour savoir ce qu'on dit quand on parle de l'unité de l'Église, et ce qu'on doit penser de ses principes comme de ses résul

tats.

Une conviction commune, c'est-à-dire une même idée reconnue et acceptée comme vraie, telle est la base fondamentale, le lien caché de la société hu

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