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du régime municipal romain, duumvirs, défenseurs, curie, curiales, et présentent ces institutions comme toujours en vigueur.

4° Beaucoup d'actes civils subsistent en effet, des testaments, des donations, des ventes, etc., qui sont passés, suivant les formes du droit romain, dans la curie, et inscrits sur ses registres.

5° Enfin, les chroniqueurs du temps parlent souvent d'hommes versés dans la connaissance de la loi romaine, et qui en font une étude attentive. Au vr siècle, l'Auvergnat Andarchius « était trèssavant dans les œuvres de Virgile, les livres de la . loi Théodosienne et l'art du calcul'. » A la fin du VII° siècle, saint Bonet, évêque de Clermont, « était imbu des principes des grammairiens, et savant dans les décrets de Théodose 2. » Saint Didier, évêque de Cahors, de 629 à 654, « s'appliqua, dit sa vie manuscrite, à l'étude des lois romaines. »>

Ce n'étaient point là, à coup sûr, des érudits; il n'y avait alors point d'Académie des inscriptions, et on n'étudiait pas le droit romain par curiosité.

Il n'y a donc pas moyen de douter que, chez les Francs comme chez les Bourguignons et les Visigoths, il continua d'être en vigueur, surtout dans la législation civile et le régime municipal. Ceux d'entre vous, Messieurs, qui voudraient rechercher les preuves de détail, les textes originaux sur lesquels se fondent les résultats que je viens d'expo

1 Grég. de Tours, 1. iv, c. 47. 2 Acta sanct. Juana, c. 1, no 3.

ser, en trouveront un grand nombre dans l'ouvrage de M. de Savigny (t. 1, p. 267-273; t. 1, p. 101118), et plus encore dans l'Histoire du Régime municipal de France, que vient de publier M. Raynouard', ouvrage plein de recherches curieuses et si complètes sur certaines questions, qu'en vérité on ne peut les taxer que de surabondance.

Vous le voyez, Messieurs, le fait que je me proposais de mettre en lumière est indubitable : les monuments de tout genre nous le montrent, à des degrés inégaux sans doute, chez les différents peuples, mais partout réel et permanent. Son importance est grande, car il annonçait à la Gaule un état social tout différent de celui où elle avait vécu jusqu'alors. Il n'y avait guère plus de cinq siècles qu'elle était tombée au pouvoir des Romains, et déjà il n'y restait plus presque aucune trace de l'ancienne société gauloise. La civilisation romaine a eu cette terrible puissance d'extirper les lois, les mœurs, la langue, la religion nationales, de s'assimiler pleinement ses conquêtes. Toutes les expressions absolues sont exagérées; cependant, à considérer les choses en général, au vi° siècle, tout en Gaule était romain. Le fait contraire accompagne la conquête barbare; les Germains laissent à la population vaincue ses lois, ses institutions locales, sa langue, sa religion. Une invincible unité marchait à la suite des Romains; ici, la diversité s'éta

1 Deux vol. in-8°. Paris, chez Sautelet, rue de Richelieu, 14, et chez Alexandre Mesnier, place de la Bourse.

blit par le fait même et de l'aveu des conquérants. Nous avons reconnu que l'empire de la personnalité, de l'indépendance individuelle, ce caractère de la civilisation moderne, était d'origine germanique ; nous en retrouvons ici l'influence; l'idée de la personnalité préside aux lois comme aux actions ; l'individualité des peuples, bien que soumis à la même domination politique, est proclamée comme celle des hommes. Il faudra des siècles pour que la notion du territoire l'emporte sur celle de la race, pour que la législation, de personnelle, redevienne réelle, pour qu'une nouvelle unité nationale résulte de la fusion lente et laborieuse des éléments divers.

Cela convenu, Messieurs, et la perpétuité de la législation romaine bien établie, que ce mot cependant ne vous fasse pas illusion : on s'y est beaucoup trompé; parce qu'on a vu le droit romain continuer, parce qu'on a rencontré les mêmes noms, les mêmes formes, on en a conclu que les principes, que l'esprit des lois étaient aussi restés les mêmes : on a parlé du droit romain du x siècle comme de celui de l'Empire. Langage plein d'erreur: quand Alaric et Sigismond ordonnèrent un nouveau recueil des lois romaines à l'usage de leurs sujets romains, ils firent exactement ce que firent ailleurs Théodoric et Dagobert, en faisant rédiger pour leurs sujets francs les lois barbares. Comme les lois salique et ripuaire écrivaient d'anciennes coutumes, déjà mal adaptées au nouvel état des peuples germains, de même le Breviarium d'Alaric et le

Papiani Responsum recueillirent des lois déjà vieillies et en partie inapplicables. Par la chute de l'Empire et l'invasion, tout l'ordre social devait changer; les relations des hommes étaient différentes, un autre régime de la propriété commençait; les institutions politiques romaines ne pouvaient subsister; les faits de tout genre se renouvelaient sur toute la face du territoire. Et quelles lois donne-t-on à cette société naissante, désordonnée, mais féconde? Deux lois anciennes les anciennes coutumes barbares et l'ancienne législation romaine. Évidemment ni les unes ni les autres ne pouvaient lui convenir; les unes et les autres devaient se modifier, se métamorphoser profondément, pour s'adapter aux nouveaux faits.

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Quand donc nous disons qu'au vi siècle le droit romain s'est perpétué, que les lois barbares ont été écrites; quand nous trouvons dans les siècles postérieurs toujours les mêmes mots : droit romain, lois barbares, ne croyez pas que nous parlions du même droit, des mêmes lois. En se perpétuant, le droit romain a changé; après avoir été écrites, les lois barbares se sont dénaturées. Les uns et les autres sont au nombre des éléments essentiels de la société moderne; mais comme des éléments entrent dans une combinaison nouvelle, qui naîtra d'une longue fermentation, et au sein de laquelle ils n'apparaîtront que transformés.

C'est à cette transformation successive, Messieurs, que j'essaierai de vous faire assister; les historiens n'en parlent pas; des mots invariables

la couvrent; c'est un travail intérieur, un spectacle profondément caché, et auquel on n'arrive qu'en perçant beaucoup d'enveloppes, en se défendant de l'illusion que nous fait la similitude des formes et des noms.

Nous voilà au terme de nos recherches sur l'état de la société civile en Gaule du vi° siècle au milieu du vIII. Nous étudierons dans notre prochaine réunión les changements survenus dans la société religieuse à la même époque, c'est-à-dire l'état et la constitution de l'Église.

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