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DIXIÈME LEÇON.

Objet de la leçon. - Le caractère transitoire de la loi salique se retrouvet-il dans les lois des Ripuaires, des Bourguignons et des Visigoths?

- 1o De la loi des Ripuaires.- Des Francs Ripuaires. — Histoire de la rédaction de leur loi. Son contenu. En quoi elle diffère de la loi salique. 2o De la loi des Bourguignons. Histoire de sa rédaction. Son contenu. -Son caractère distinctif. -3° De la loi des Visigoths. Elle intéresse plus l'histoire d'Espagne que l'histoire de France. Son caractère général. Effet de la civilisation romaine sur les Barbares.

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MESSIEURS,

Dans notre dernière réunion, le caractère qui, en résumé, nous a paru dominant et fondamental dans la loi salique, c'est d'être une législation transitoire, essentiellement germaine sans doute, marquée déjà cependant d'une empreinte romaine, qui ne possédera point l'avenir, et où se révèlent, d'une part, le passage de l'état social germain à l'état social romain, de l'autre, la décadence et la fusion de ces deux éléments au profit d'une société nouvelle, à laquelle ils concourront l'un et l'autre, et qui commence à poindre au milieu de leurs débris.

Ce résultat de l'examen de la loi salique serait

singulièrement confirmé, si l'examen des autres lois barbares nous y faisait également aboutir; bien plus, si nous trouvions, dans ces diverses lois, diverses époques de la transition, diverses phases de la transformation, qui s'y laissent entrevoir; si nous reconnaissions, par exemple, que la loi des Ripuaires, la loi des Bourguignons, la loi des Visigoths, sont en quelque sorte placées, dans la même carrière que la loi salíque, à des distances inégales, et nous livrent, s'il est permis d'employer ce langage, des produits plus ou moins avancés dans la combinaison de la société germaine et de la société romaine, et dans la formation de l'état nouveau qui en devait résulter.

C'est là, je crois, que nous conduira, en effet, l'examen attentif de ces trois lois, c'est-à-dire de toutes celles qui ont exercé, dans les limites de la Gaule, une véritable influence.

I. La distinction des Francs Ripuaires et des Francs Saliens vous est connue c'étaient les deux principales tribus, ou plutôt les deux principales collections de tribus de la grande confédération des Francs. Les Francs Saliens tiraient probablement leur nom de la rivière de l'Yssel (Ysala), sur les bords de laquelle ils s'étaient établis, à la suite du mouvement de peuples qui les fit passer dans la Batavie; leur nom était donc d'origine germanique, et on peut croire qu'ils se l'étaient donné eux-mêmes. Les Francs Ripuaires, au contraire, reçurent évidemment le leur des Romains: ils habitaient les rives du Rhin. A mesure que les Francs Saliens

s'avancèrent vers le sud-ouest, dans la Belgique et dans la Gaule, les Francs Ripuaires se répandirent aussi à l'ouest, et occupèrent le pays situé entre le Rhin et la Meuse, jusqu'à la forêt des Ardennes. Les premiers sont devenus, ou à peu près, les Francs de Neustrie; les derniers, les Francs d'Austrasie. Ces deux noms, sans correspondre exactement à la distinction primitive, la reproduisent assez fidèlement.

Au début de notre histoire, les deux tribus paraissent un moment réunies en un seul peuple et sous un même empire. Permettez-moi de vous lire, au sujet de cette réunion, le récit de Grégoire de Tours, toujours, et bien à son insu, le peintre le plus vrai des mœurs et des événements de cette époque vous y verrez ce que signifiaient alors ces mots, union des peuples et conquête :

Quand Clovis en vint aux mains avec Alaric, roi des Goths, il avait pour allié le fils de Sigebert-Claude (roi des Francs Ripuaires, et qui résidait à Cologne), nommé Chloderic. Ce Sigebert boitait, d'un coup qu'il avait reçu au genou, à la bataille de Tolbiac, contre les Allemands... Le roi Clovis, pendant son séjour à Paris, envoya en secret au fils de Sigebert, lui faisant dire : « Voilà que ton père est âgé, et il boite de >> son pied malade; s'il venait à mourir, son royaume t'appartiendrait » de droit, ainsi que notre amitié. » Séduit par cette ambition, Chloderic forma le projet de tuer son père.

Sigebert étant sorti de la ville de Cologne, et ayant passé le Rhin pour se promener dans la forêt Buconia, s'endormit à midi dans sa tente; son 'fils envoya contre lui des assassins et le fit tuer, dans l'espoir qu'il posséderait son royaume. Mais, par le jugement de Dieu, il tomba dans la fosse qu'il avait méchamment creusée pour son père. Il envoya au roi Clovis des messagers pour lui annoncer la mort de son père, et lui dire : << Mon père est mort, et j'ai en mon pouvoir ses trésors et son royaume. » Envoie-moi quelques uns des tiens, et je leur remettrai volontiers » ceux des trésors qui te plairont. » Clovis lui répondit : « Je rends

» grâce à ta bonne volonté, et je te prie de montrer tes trésors à més >> envoyés, après quoi tu les posséderas tous. » Chloderic montra donc aux envoyés les trésors de son père. Pendant qu'ils les examinaient, le prince dit : « C'est dans ce coffre que mon père avait coutume d'amasser » ses pièces d'or. » Ils lui dirent : « Plongez votre main jusqu'au fond, » pour trouver tout. » Lui l'ayant fait et s'étant tout à fait baissé, un des envoyés leva sa francisque et lui brisa le crâne. Ainsi cet indigne fils subit la mort dont il avait frappé son père

Clovis apprenant que Sigebert et son fils étaient morts, vint dans cette même ville; et ayant convoqué tout le peuple, il leur dit : «Écou>> tez ce qui est arrivé. Pendant que je naviguais sur le fleuve de l'Es» caut, Chloderic, fils de mon parent, tourmentait son père en lui di>> sant que je voulais le tuer. Comme Sigebert fuyait à travers la forêt » de Buconia, Chloderic a envoyé contre lui des meurtriers qui l'ont >> mis à mort; lui-même a été assassiné, je ne sais par qui, au moment » où il ouvrait les trésors de son père. Je ne suis nullement complice de >> ces choses. Je ne puis répandre le sang de mes parents, car cela est >> défendu ; mais puisque ces choses sont arrivées, je vous donne un >> conseil; s'il vous est agréable, acceptez-le. Ayez recours à moi, met» tez-vous sous ma protection. » Le peuple répondit à ces paroles par des applaudissements de main et de bouche, et l'ayant élevé sur un bouclier, ils le créèrent leur roi. Clovis reçut donc le royaume et les trésors de Sigebert, et les ajouta à sa domination. Chaque jour, Dieu faisait tomber ses ennemis sous sa main et augmentait son royaume, parce qu'il marchait le cœur droit devant le Seigneur, et faisait les choses qui sont agréables à ses yeux 1.

Cette réunion des deux peuples, si un tel fait peut porter ce nom, ne fut pas de longue durée. A la mort de Clovis, son fils Théoderic fut roi des Francs orientaux, c'est-à-dire des Francs Ripuaires; il résidait à Metz. C'est à lui qu'on attribue, en général, la rédaction de leur loi : ainsi l'indique, en effet, la préface de la loi salique que je vous ai déjà lue, et qui se trouve également en tête de la loi des

1 Grégoire de Tours, dans ma Collection des Mémoires de l'Histoire de France, t. 1, p. 104-107.

Bavarois'. D'après cette tradition, la loi des Ripuai res devrait donc être placée de l'an 511 à l'an 534. Elle n'aurait pas, comme la loi salique, la prétention de remonter jusqu'à la rive droite du Rhin et dans l'ancienne Germanie: cependant son antiquité serait grande. Je suis porté à lui retrancher, dans sa forme actuelle du moins, à peu près un siècle de vie. La préface qui la fait rédiger sous le roi Théoderic attribue aussi à ce chef la loi des Allemands: or, il est à peu près constant que celleci ne fut rédigée que sous le règne de Clotaire II, de l'an 613 à l'an 628; ainsi donnent lieu de le croire les meilleurs manuscrits. L'autorité de cette préface devient donc fort suspecte quant à la loi des Ripuaires; et, d'après la comparaison attentive des témoignages, je suis porté à croire qu'elle prit seulement sous Dagobert Ir, de l'an 628 à l'an 638, la forme définitive sous laquelle elle nous est par

venue.

Passons de son histoire à son contenu. Je l'ai soumise à la même décomposition que la loi salique. Elle contient 89 ou 94 titres, et (selon des distributions diverses) 224 ou 277 articles, savoir : 164 de droit pénal, et 113 de droit politique ou civil, de procédure civile ou criminelle. Sur les 164 articles de droit pénal, on en compte 94 pour violences contre les personnes, 16 pour cas de vol, et 64 pour délits divers.

Au premier aspect, d'après cette simple décom

Voyez la leçon précédente, p. 263.

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