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C'est qu'en effet, Messieurs, elle portait dans son sein toutes choses, la théocratie, la monarchie, l'oligarchie, la république, les constitutions mixtes; et toutes choses dans un état de confusion qui a permis à chacun d'y voir tout ce qui lui convenait. La fermentation obscure et déréglée des débris de l'ancienne société, tant germaine que romaine, et le premier travail de leur transformation en éléments de la société nouvelle, tel est le véritable état de la Gaule aux vio et vir° siècles, le seul caractère qu'on puisse lui assigner.

NEUVIÈME LEÇON.

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Objet de la leçon. -Idée fausse de la loi salique.- Histoire de la rédaction de cette loi. Deux systèmes à ce sujet. - Dix-huit manuscrits. Deux textes de la loi salique. - De l'ouvrage de M. Wiarda sur l'histoire et l'explication de la loi salique. - Préfaces jointes aux manuscrits. Valeur des traditions nationales sur l'origine et la rédaction de la loi salique. — De ses dispositions. — Elle est essentiellement un code pénal. — 1o De l'énumération et de la définition des délits dans la loi salique; 2o des peines; 3° de la procédure criminelle. Caractère transitoire de cette législation.

Messieurs,

Nous avons à nous occuper aujourd'hui des lois barbares, et spécialement de la loi salique. Je vous demande pardon d'avance de quelques minutieux détails, indispensables, je crois, pour faire bien connaître le caractère de cette loi et l'état social qui s'y révèle. On s'y est grandement et longtemps trompé. On a attribué à la loi salique une importance fort exagérée. Vous savez la cause de cette erreur; vous savez qu'à l'avènement de Philippe-leLong, et dans la lutte de Philippe de Valois et d'Édouard III pour la couronne de France, la loi salique fut invoquée pour repousser la succession des femmes, et qu'elle a été célébrée dès lors, par

une foule d'écrivains, comme la première source de notre droit public, une loi toujours en vigueur, la loi fondamentale de la monarchie. Les hommes même les plus étrangers à cette illusion, Montesquieu, par exemple, n'ont pas laissé d'en subir un peu l'influence, et de parler de la loi salique avec un respect qu'à coup sûr il est difficile de lui porter, quand on ne lui attribue dans notre histoire que la place qu'elle y tient véritablement. On serait tenté de croire que la plupart des écrivains qui parlent de cette loi n'en ont étudié ni l'histoire, ni le contenu; qu'ils ignorent également d'où elle vient et ce qu'elle est. Ce sont là, Messieurs, les deux les deux questions que nous avons à résoudre : il faut que nous sachions, d'une part, comment la loi salique a été rédigée, où, quand, par qui, pour qui; d'autre part, quels sont l'objet et le système de ses dispositions.

Quant à son histoire, rappelez-vous, je vous prie, Messieurs, ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous dire sur la double origine et l'incohérence des lois barbares; elles sont à la fois antérieures et postérieures à l'invasion, germaines et germanoromaines; elles appartiennent à deux états de société différents. Ce caractère a influé sur toutes les controverses dont la loi salique a été l'objet ; il a donné lieu à deux systèmes : dans l'un, elle a été rédigée en Germanie, sur la rive droite du Rhin, bien avant la conquête, dans la langue propre des Francs; tout ce qui, dans ces dispositions, ne convient pas à cette époque et à l'ancienne société ger

maine, y a été introduit plus tard, par les révisions successives qui ont eu lieu après l'invasion. Dans l'autre système, au contraire, la loi salique a été rédigée après la conquête, sur la rive gauche du Rhin, en Belgique ou en Gaule, au vir° siècle peut-être, et en latin.

Rien de plus naturel que la lutte de ces deux systèmes; ils devaient naître de la loi salique ellemême. Une circonstance particulière est venue les provoquer.

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Il y a, Messieurs, dans les manuscrits qui nous en restent, deux textes de cette loi : l'un purement latin; l'autre latin aussi, mais mêlé d'un grand nombre de mots germaniques, de gloses, d'explications dans l'ancienne langue franque, intercalées dans le cours des articles. Il contient deux cent cinquante-trois intercalations de ce genre. Ce second texte a été publié en 1557, à Bâle, par le jurisconsulte Jean Hérold, d'après un manuscrit de l'abbaye de Fulde. Le texte purement latin a été publié une première fois à Paris, sans date, ni nom d'éditeur; et pour la seconde fois par Jean Dutillet, également à Paris, en 1573. L'un et l'autre ont eu depuis une foule d'éditions.

Il existe de ces deux textes dix-huit manuscrits', savoir : quinze du texte purement latin, trois du texte mêlé de mots germaniques. Ces manuscrits ont été trouvés, quinze sur la rive gauche du Rhin,

1 M. Pertz, si je ne me trompe, en a découvert récemment deux autres; mais rien n'a encore été publié à leur sujet.

en France; trois seulement en Allemagne. Vous pourriez être tentés de croire que les trois manuscrits trouvés en Allemagne sont ceux qui contiennent la glose germanique : il n'en est rien; sur les trois manuscrits avec la glose, deux seulement viennent d'Allemagne, le troisième a été trouvé à Paris; sur les quinze autres, quatorze ont été trouvés en France, et un en Allemagne.

Les quinze manuscrits du texte purement latin sont semblables, à peu de chose près. Il y a bien quelques variantes dans les préfaces, les épilogues, dans la disposition ou la rédaction des articles, mais de peu d'importance. Les trois manuscrits contenant la glose germanique different beaucoup plus; ils diffèrent quant au nombre des titres et des articles, quant à leur ordre, leur contenu même, et encore plus quant au style. De ces manuscrits, deux sont rédigés dans le latin le plus barbare.

Voilà donc deux textes de la loi salique qui appuient les deux solutions du problème; l'un paraît d'une origine plus romaine, l'autre plus purement germanique. Aussi la question a-t-elle pris cette forme des deux textes, quel est le plus ancien? lequel peut être considéré comme primitif ?

L'opinion commune, surtout en Allemagne, attribue au texte portant la glose germanique la plus haute antiquité. Il y a bien, à la première vue, quelques raisons de le supposer. Les trois manuscrits de ce texte portent : Lex salica antiqua, antiquissima, vetustior; tandis que, dans ceux du texte purement latin, on lit ordinairement Lex salica

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