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aucun monument, dont le souvenir même a été perdu.

Une preuve indirecte démontre l'importance des conciles à cette époque. Personne n'ignore qu'en Angleterre, dans l'origine du gouvernement représentatif, lors de la formation de la chambre des communes, on a fait beaucoup de statuts pour ordonner la tenue régulière et fréquente des parlements. Le même fait paraît au ve siècle pour les conciles. Plusieurs canons, entre autres ceux du

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concile d'Orange tenu en 441, portent qu'un concile ne se séparera jamais sans indiquer le concile

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suivant, et que si le malheur des temps empêche qu'on ne tienne un concile deux fois par an, selon les canons, on prendra toutes les précautions possibles pour s'assurer du moins qu'il ne s'écoulera pas un long intervalle sans qu'il s'en réunisse quelqu'un.

Ainsi les deux grandes garanties de la liberté dans une société quelconque, l'élection d'une part, et la discussion de l'autre, existaient, en fait, dans la société ecclésiastique du ve siècle, désordonnées, il est vrai, incomplètes, précaires, la suite des temps l'a bien prouvé; mais, dans le présent, réelles et fortes, à la fois cause et témoignage du mouvement et de l'ardeur des esprits.

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Maintenant, Messieurs, mettez, je vous prie mettez cet état de la société religieuse à côté de l'état de la société civile que j'ai essayé de peindre dans notre dernière réunion. Je ne m'arrêterai pas à tirer les conséquences de cette comparaison; elles sautent aux yeux, et déjà, à coup sûr, vous les avez reconnues. Je les résumerai en deux traits.

Dans la société civile, point de peuple, point de gouvernement; l'administration impériale est tombée, l'aristocratie sénatoriale tombée, l'aristocra◄ tie municipale tombée; la dissolution est partout; le pouvoir et la liberté sont atteints de la même stérilité, de la même nullité.

Dans la société religieuse, au contraire, se révèle un peuple très-animé, un gouvernement trèsactif. Les causes d'anarchie et de tyrannie sont nombreuses; mais la liberté est réelle et le pouvoir

aussi. Partout se rencontrent, se développent les germes d'une activité populaire très-énergique et d'un gouvernement très-fort. C'est, en un mot, une société pleine d'avenir, d'un avenir orageux, chargé de bien et de mal, mais puissant et fécond.

Voulez-vous que nous fassions dans cette comparaison un pas de plus? Nous n'avons considéré jusqu'ici que les faits généraux, la vie publique, pour ainsi dire, des deux sociétés. Voulez-vous que nous pénétrions dans la vie domestique, dans l'intérieur des maisons? que nous recherchions comment employaient et passaient leur temps, d'une part les hommes considérables de la société civile, de l'autre les chefs de la société religieuse? Il vaut la peine d'adresser au v° siècle cette question, car sa réponse ne peut manquer d'être très-instructive.

Il y avait dans les Gaules, à la fin du iv et au va siècle, un certain nombre d'hommes importants et honorés, longtemps revêtus des grandes charges de l'État, demi-païens, demi-chrétiens, c'est-à-dire n'ayant point de parti pris, et, à vrai dire, se souciant peu d'en prendre aucun en matière religieuse; gens d'esprit, lettrés, philosophes, pleins de goût pour l'étude et les plaisirs intellectuels, riches et vivant magnifiquement. Tel était, à la fin du Iva siècle, le poëte Ausone, comte du palais impérial, questeur, préfet du prétoire, consul, et qui possédait, en Saintonge et près de Bordeaux, de fort belles terres; tels, à la fin du ve, Tonance Ferréol, préfet des Gaules, en grand crédit auprès des rois visigoths, et dont les domaines étaient situés

en Languedoc et dans le Rouergue, sur les bords du Gardon et près de Milhau; Eutrope, aussi préfet des Gaules, platonicien de profession, et qui habitait en Auvergne; Consence, de Narbonne, un des plus riches citoyens du Midi, et dont la maison de campagne, dite Octaviana, et située sur la route de Béziers, passait pour la plus magnifique de la province. C'étaient là les grands seigneurs de la Gaule romaine: après avoir occupé les fonctions supérieures du pays, ils vivaient dans leurs terres loin de la masse de la population, passant leur temps à la chasse, à la pêche, dans des divertissements de tout genre; ils avaient de belles bibliothèques, souvent un théâtre où se jouaient les drames de quelque rhéteur, leur client : le rhéteur Paul faisait jouer chez Ausone sa comédie de l'Extravagant (Delirus), composait lui-même de la musique pour les entr'actes, et présidait à la représentation. A ces divertissements se joignaient des jeux d'esprit, des conversations littéraires; on raisonnait sur les anciens auteurs; on expliquait, on commentait; on faisait des vers sur tous les petits incidents de la vie. Elle se passait de la sorte agréable, douce, variée, mais molle, égoïste, stérile, étrangère à toute occupation sérieuse, à tout intérêt puissant et général. Et je parle ici des plus honorables débris de la société romaine, des hommes qui n'étaient ni corrompus, ni désordonnés, ni avilis, qui cultivaient leur intelligence, et avaient en dégoût les mœurs serviles et la décadence de leur temps.

Voici maintenant quelle était la vie d'un évèque,

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