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AVENTURES

DE

TÉLÉMAQUE,

FILS D'ULYSSE.
PERMBS SIRE ~

FRANÇOIS DE SALIGNAC

DE LA MOTHE FENELON, Précepteur de Meffeigneurs les Enfants de France, & depuis Archevêque de Cambray, &c. NOUVELLE ÉDITION,

Augmentée & corrigée fur le Manufcrit original de l'Auteur, Avec des Remarques pour l'intelligence de ce Poëme Allégorique,

TOME SECOND.

A LONDRES,
Suivant l'Edition faite en 1725 à ROTTERDAM,
Chez JEAN HOFHOUT. 1765.

LES AVENTURES

DE

TÉLÉMAQUE,

FILS D'ULYSSE.

LIVRE DOUZIE ME.

SOMMAIRE.

Neftor, au nom des Alliés, demande du fecours à Ido ménée contre les Dauniens leurs ennemis. Mentor. qui veut policer la Ville de Salente, & exercer le Peuple à l'Agriculture, fait en forte qu'ils fe contentent d'avoir Télémaque à la tête de cent Nobles Crétois. Après le départ de celui-ci, Mentor fait une revue exacte dans la Ville & dans le Port, s'informe de tout, fait faire à Idoménée de nouveaux réglements pour le commerce & pour la police, lui fait partager en fept claffes, le Peuple, dont il diftingue les rangs & la naiffance par la diverfité des babits, lui fait retrancher le luxe & les Arts inutiles, pour appliquer les Artifans au labourage, qu'il met en bonneur.

OUTE l'Armée des Alliés dreffoit déjà Tfes tentes, & la campagne étoit couverte

de riches pavillons de toutes fortes de couleurs, où les Hefpériens fatigués attendoient le fommeil. Quand les Rois avec leur fuite furent entrés dans la Ville, ils parurent étonnés qu'en fi peu de temps on eût pu faire tant de bâ

timents magnifiques, & que (9) l'embarras d'une fi grande guerre n'eût point empêché cette Ville naiffante de croître & de s'embellir tout-à-coup.

On admira la fageffe & la vigilance d'Idoménée, qui avoit fondé un fi beau Royaume, & chacun conclut que la paix étant faite avec lui, les Alliés feroient bien puiffants, s'il entroit dans leur ligue contre les Dauniens. On propofa à Idoménée d'y entrer; il ne put rejetter une fi jufte propofition, & il promit des troupes. Mais comme Mentor n'ignoroit rien de tout ce qui eft néceffaire pour rendre un Etat floriffant, il comprit que les forces d'Idoménée ne pourroient pas être auffi grandes qu'elles le paroiffoient. Il le prit en particulier, & lui parla ainfi :

Vous voyez que nos foins ne vous ont pas été inutiles. Salente eft garantie des malheurs qui la menaçoient. Il ne tient plus qu'à vous d'en élever jufqu'au Ciel la gloire, & d'égaler la fageffe de Minos, votre aïeul, dans le gouvernement de vos Peuples. Je continue à vous parler librement, fuppofant que vous le voulez, & que vous déteftez toute flatterie. Pendant que ces Rois ont loué votre magnificence, je penfois en moimême à la témérité de votre conduite.

A ce mot de témérité, Idoménée changea de vifage, fes yeux fe troublerent, il rougit, & peu s'en fallut qu'il n'interrompit Mentor pour lui témoigner fon reffentiment. Mentor lui dit d'un

(9) Quoiqu'Idoménée ne foit pas l'emblême de Louis XIV. à tous égards, ce qui eft dit ici, ne laiffe pas de regarder le Monarque François. L'embarras de la guerre ne l'empêcha jamais de fatisfaire fa paffion pour les bâtiments & pour les jardins; & ces dépenfes énormes, jointes à celles qu'il lui fallut faire pour foutenir la guerre, ont enfin épuisé le Royaume, & l'ont réduit au pitoyable état où nous le voyons aujourd'hui.

ton modefte & refpectueux, mais libre & hardi : Ce mot de témérité vous choque, je le vois bien. Tout autre que moi auroit eu tort de s'en fervir; car il faut refpecter les Rois & ménager leur délicateffe, même en les reprenant. La vérité par elle-même les bleffe affez, fans y ajouter des termes forts. Mais j'ai cru que vous pouviez fouffrir que je vous parlaffe fans adouciffement, pour vous découvrir votre faute. Mon deffein a été de vous accoutumer à entendre nommer les chofes par leur nom, & à comprendre que quand les autres vous donneront des confeils fur votre conduite, ils n'oferont jamais vous dire tout ce qu'ils penferont: Il faudra, fi vous voulez n'y être pas trompé, que vous compreniez toujours plus qu'ils ne vous diront fur les chofes qui vous feront défavantageufes. Pour moi je veux bien. adoucir mes paroles felon votre befoin. Mais il vous eft utile qu'un homme fans intérêt & fans conféquence vous parle en fecret un langage dur. Nul autre n'ofera jamais vous le parler: vous ne verrez la vérité qu'à demi, & fous de belles enveloppes.

A ces mots Idoménée, déjà revenu de fa premiere promptitude, parut honteux de fa délicateffe. Vous voyez, dit-il à Mentor, ce que fait l'habitude d'être flatté. Je vous dois le falut de mon nouveau Royaume. Il n'y a aucune vérité que je ne me croie heureux d'entendre de votre bouche. Mais ayez pitié d'un Roi que la flatterie avoit empoisonné, (10) & qui n'a pu, même

(10) Louis XIV avoit cela de commun avec Idoménée; empoisonné, dès l'enfance, par la flatterie, il n'a pu, même dans fes malheurs, trouver des hommes affez généreux pour lui dire la vérité. Il étoit extrêmement délicat fue tout ce qui avoit feulément l'apparence de réprimande: on

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