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Phalante, à qui la honte & le défespoir donne encore un refte de force & de vigueur, éleve les mains & les yeux vers le Ciel; il voit tomber à fes pieds fon frere Hyppias fous les coups de la main foudroyante d'Adrafte. Hyppias étendu par terre, fe roule dans la pouffiere; un fang noir & bouillonnant fort comme un ruiffeau de la profonde bleffure qui lui traverfele côté; fes yeux fe ferment à la lumiere, fon ame furieufe s'enfuit avec tout fon fang. Phalante lui-même tout couvert du fang de fon frere, & ne pouvant le fecourir, fe voit enveloppé par une foule d'ennemis qui s'efforcent de le renverfer; fon bouclier eft percé de mille traits; il eft bleffé en plufieurs endroits de fon corps; il ne peut plus rallier fes Troupes fugitives. Les Dieux le voient, & ils n'en ont au cune pitié.

Fin du feizieme Livre.

LIVRE XVII.

SOMMAIRE.

Télémaque s'étant revêtu de fès armes divines, court au fecours de Phalante, renverfe d'abord Iphiclès, fils d'Adrafte, repousse l'Ennemi victorieux, & rem. porteroit fur lui une victoire complette, fi une tempête furvenant, ne faifoit finir le combat. Enfuite Télémaque fait emporter les bleffés, prend foin d'eux, & principalement de Phalante. Il fait l'honneur des obfeques de fon frere Hyppias, dont il lui va préfen ter les cendres qu'il a recueillies dans une urne d'or.

UPITER au milieu de toutes les Divinités céleftes, regardoit, du haut de l'Olympe, ce carnage des Alliés. En mêmetemps il confultoit les immuables destinées, & voyoit tous les Chefs dont la trame devoit ce jour-là être tranchée par le cifeau de la Parque. Chacun des Dieux étoit attentif pour découvrir fur le vifage de Jupiter, quelle feroit fa volonté. Mais le Pere des Dieux & des hommes leur dit d'une voix douce & majeftueufe:: Vous voyez en quelle extrémité font réduits les Alliés, vous voyez Adrafte qui renverse tous fes ennemis; mais ce fpectacle eft bien trompeur; la gloire & la prospérité des méchants eft courte; Adrafte, impie & odieux par fa mauvaife foi, ne remportera point une entiere victoire. Ce malheur n'arrive aux Alliés ope pour leur apprendre à fe corriger, & à mieux garder

le

le fecret de leurs entreprises. Ici la fage Minerve prépare une nouvelle gloire à fon jeune Télémaque, dont elle fait fes délices. Alors Jupiter ceffa de parler. Tous les Dieux en filence continuoient à regarder le combat.

Cependant Neftor & Philoctete furent avertis qu'une partie du camp étoit déjà brûlée; que la flamme, pouffée par les vents, s'avançoit toujours; que leurs troupes étoient en défordre, & que Phalante ne pouvoit plus foutenir les efforts des ennemis. A peine ces funeftes paroles frappent leurs oreilles, qu'ils courent aux armes, affemblent les Capitaines, & ordonnent qu'on fe hâte de fortir du camp, pour éviter cet incendie.

Télémaque, qui étoit abattu & inconfolable, oublie fa douleur. Il prend fes armes, don précieux de la fage Minerve, qui, paroiffant fous la figure de Mentor, fit femblant de les avoir reçues d'un excellent ouvrier de Salente; mais qui les avoit fait faire à Vulcain, dans les cavernes fumantes du Mont Etna.

Ces armes étoient polies comme une glace, & brillantes comme les rayons du foleil. On y voyoit Neptune & Pallas qui difputoient entre eux à qui auroit la gloire de donner fon nom à une Ville naiffante. Neptune de fon trident frappoit la terre, & on en voyoit fortir un cheval fougueux. Le feu fortoit de fes yeux, & l'écume de fa bouche; fes crins flottoient au gré du vent; fes jambes fouples & nerveufes fe replioient avec vigueur & légéreté. Il ne marchoit point; il faútoit à force de reins, mais avec tant de vîteffe qu'il ne laiffoit aucune trace de fes pas: on croyoit l'entendre hennir.

De l'autre côté Minerve donnoit aux habitants
Tome II.

L

de fa nouvelle Ville, l'Olive, fruit de l'arbre qu'elle avoit planté. Le rameau auquel pendoit fon fruit, repréfentoit la douce paix avec l'abondance, préférable aux troubles de la guerre, dont ce cheval étoit l'image. La Déeffe demeuroit victorieufe par fes dons fimples & utiles, & la fuperbe Athenes portoit fon nom.

L'on voyoit auffi Minerve affemblant autour d'elle tous les beaux Arts, qui étoient des enfants tendres & aflés. Ils fe refugioient autour d'elle, étant épouvantés des fureurs brutales de Mars, qui ravage tout, comme les agneaux bêlants fe refugient autour de leur mere, à la vue d'un loup affamé, qui, d'une gueule béante & enflammée, s'élance pour les dévorer. Minerve, d'un vifage dédaigneux & irrité, confondoit, par l'excellence de fes ouvrages, la folle témérité d'Arachné, (e) qui avoit ofé difputer avec elle pour la perfection des tapifferies. On voyoit cette malheureufe, dont tous les membres exténués se défiguroient & fe changeoient en araignée.

Auprès de cet endroit paroiffoit encore Minerve, qui, dans la guerre des Géants, fervoit de confeil à Jupiter même, & foutenoit tous les autres Dieux étonnés. Elle étoit auffi représentée avec fa lance & fon égide fur les bords du Xanthe, (f) & du Simoïs, (g) menant Ulyffe par la main, ranimant les troupes fugitives des Grecs, foutenant les efforts des plus vaillants

(e) Arachné, fille d'Idomon, du Pays de Lydie, fut changée en Araignée par Minerve, parce qu elle croyoit mieux travailler en tapiferies que cette Déeffe, à qui on en attribue l'invention.

(f) Le Xanthe ou Scamandre eft une riviere de l'ancien Royaume de Troye, qui tombe dans la mer Egée.

(g) Le Simois eft une riviere du même Pays, qui fe mêle avec le Scamandre, & qui tombe avec lui dans la mer Egée.

Capitaines Troyens, & du redoutable Hector même; enfin, introduifant Ulyffe dans cette fatale machine, qui devoit, en une feule nuit, renverfer l'Empire de Priam.

D'un autre côté, le bouclier repréfentoit Cérès dans les fertiles campagnes d'Enna, qui font au milieu de la Sicile. On voyoit la Déeffe qui raffembloit les Peuples épars çà & là, cherchant leur nourriture par la chaffè, ou cueillant les fruits fauvages qui tomboient des arbres. Elle montroit à ces hommes groffiers l'art d'adoucir la terre, & de tirer de fon fein fécond leur nourriture. Elle leur préfentoit une charrue, & y faifoit atteler des bœufs. On voyoit la terre s'ouvrir en fillons par le tranchant de la charrue; puis on appercevoit les moiffons dorées qui couvroient ces fertiles campagnes. Le moiffonneur, avec fa faux, coupoit les doux fruits de la terre, & fe payoit de toutes fes peines. Le fer deftiné ailleurs à tout détruire, ne paroiffoit employé en ce lieu qu'à préparer l'abondance & à faire naître tous les plaifirs. Les Nymphes couronnées de fleurs, danfoient enfemble dans une prairie, fur le bord d'une riviere, auprès d'un bocage. Pan jouoit de la flûte, les Faunes & les Satyres folâtres fautoient dans un coin. Bacchus y paroiffoit auffi couronné de lierre, appuyé d'une main fur fon thyrfe, & tenant de l'autre une vigne ornée de pampres & de plufieurs grappes de raifin. C'étoit une beauté molle, avec je ne fais quoi de noble, de paffionné & de languiffant. Il étoit tel qu'il parut à la malheureufe Ariadne, (b) lorfqu'il la trouva feule,

(b) Ariadne, fille de Minos & de Pafiphaë, donna à Théféc un fil pour fe conduire dans le Labyrinthe fans s'égarer, & te fuivit jufques dans l'Ile de Naxos, où cet ingrat l'aban

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